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Archipel Tour – Le théâtre interpelle les lycéens

Article mis à jour le 24 avril 2018 à 17:21

« L’Archipel tour », c’est sous ce nom que nous avons reçu un mail à la rédaction en début d’année. Intrigués, nous avons cliqué sur « ouvrir ». À l’intérieur, une invitation pour une pièce au nom très énigmatique : « Origines ». Nous voilà en haleine, rendez-vous fut pris au lycée Jean Lurçat, où malgré la différence d’âge notre journaliste se mêla aux élèves massés devant les grilles de l’établissement.

Puis ce fut le choc !
Les deux classes de terminale L qui avaient cours de philo et notre journaliste étaient attendus dans la salle polyvalente du lycée. À leur arrivée, un homme quasi nu accroupi au centre d’un carré noir. Au fond de la salle, une jeune femme blonde et un autre homme affairés devant une console.

Marie Clavaguera-Pratx, la metteuse en scène de la pièce, nous explique sommairement le principe : « il s’agit d’une expérience », nous précisant que l’homme au centre ne comprend pas notre langue et qu’il ne sait pas ce qu’il va advenir durant la pièce. Débute alors une interaction, Marie lui indiquant par des signes qu’il a des vêtements à disposition pour se vêtir s’il le souhaite.
Marie lui explique également que l’écran posé sur la console permettra la traduction. De quoi rassurer l’interprète mais aussi certains spectateurs qui poussent également un ouf de soulagement. Malgré la barrière de la langue, ils pourront comprendre le message véhiculé par la pièce. « L’Origine » peut commencer…

Une fois habillé, l’homme décide de se présenter, à la manière de Tarzan et Jane. Tapant sur sa poitrine, il lance un Aristophane tout en interpellant de la main un jeune homme dans la salle. Le jeune homme face à lui, est d’abord tenté de répéter « Aristophane » avant de rapidement comprendre qu’il doit décliner son identité.

Après cette rapide présentation, Aristophane commence à parler, s’assurant tout de même que l’écran se charge bien de retranscrire ses paroles.

Et là, c’est le drame ! Le début de l’expérience annoncée par Marie Clavaguera-Pratx
Soudain un grand bruit retentit et l’écran n’affiche plus qu’un laconique « No signal ». Aristophane est décontenancé, impuissant et en colère de ne pouvoir transmettre son discours. Il hurle, gesticule, avant de choisir une méthode alternative. À partir de ce moment là, il accompagnera ses paroles de gestes et onomatopées pour partager avec nous son histoire. Le récit du Banquet (daté de -385 avant JC) est un des plus célèbres dialogues de Platon. À l’invitation du poète Agathon, Phèdre, Pausanias, Eryximaque, Aristophane et Socrate font l’éloge de l’amour, de la science et du beau. L’auteur comique de l’antiquité Aristophane se lance alors dans le récit du mythe de l’Androgyne, des humains doubles ou entiers, certains diront un 3ème sexe.

Paroles de lycéen, de réalisateur et d’enseignant
Rémi Astoul est l’un des lycéens qui ont découvert « L’Origine ». Il nous confiait avoir passé « un très bon moment ». Il se disait avant tout « admiratif du travail du comédien. Un travail  plus que considérable afin d’apprendre la pièce dans une langue étrangère ». Plus qu’une langue étrangère, Emilien Gobard a appris le texte dans une langue morte, le grec ancien. « Un vrai plaisir de jouer dans cette langue ». Il soulignait néanmoins « les nombreuses heures » passées à apprendre « ces deux petites pages ». 

Marie Clavaguera-Pratx répondait aux lycéens sur la mise en scène : « nous avons beaucoup travaillé pour un seul en scène. Nous avons passé 8 semaines à intégrer la problématique du grec ancien ». La jeune femme dont « L’origine » est la 3ème création souhaitait avec ce nouvel opus « explorer la capacité d’inventivité d’un être lorsqu’il est dans l’impossibilité de communiquer avec autrui ; traduire sur scène ladite barrière de la langue ».

Le pari originel de Marie était de faire que les spectateurs s’attachent à un être humain, sans même le comprendre. Pari gagné si l’on en croit la réaction des élèves et de Rémi. Quant à la problématique de la langue, ce dernier très ancré dans son époque, aurait tenté d’utiliser « Google Trad » ou des mimes comme le fait le comédien sur scène. Il disait avoir, lui même, vécu des moments où il s’est « senti incompris », notamment lors d’un voyage scolaire. « Malgré la barrière de la langue, on arrive en général à se faire comprendre d’une manière ou d’une autre, ce problème commence à se dissiper grâce à l’avancée des technologies ».

Marie persiste « à croire fiévreusement en l’humanité »
Marie s’interrogeait : « Lorsque je vois un grand nombre d’immigrés arriver en Europe depuis des décennies, je ne peux m’empêcher de me demander comment font ces populations ne maîtrisant pas la langue du pays d’accueil. Je m’émerveille de voir les capacités que ces personnes ont pour arriver à communiquer, comprendre, se faire comprendre ».

Sur ce point Rémi a également cru percevoir le lien entre la difficulté éprouvée par Aristophane à transmettre son message et l’arrivée de milliers de personnes qui fuient pour sauver leur vie. : « Je pense en effet qu’on peut faire un lien, de par la barrière de la langue qui est un énorme problème, et qui s’accompagne du besoin de l’Homme d’être compris. Le fait qu’il soit démuni de vêtement et toute affaire personnelle au début de pièce renforce peut être aussi ce lien. D’autant plus qu’il est le sujet d’une « expérience » dont il n’a pas été mis au courant, ce qui amplifie, là aussi, l’idée d’une réelle rupture entre ces habitudes et ce qu’on lui impose avec toutes les difficultés que cela implique« .

À l’écoute des réponses de Rémi mais également des questions posées par les élèves à la fin de la représentation, nous constatons que l’objectif de « favoriser le regard critique et la capacité à argumenter et à affiner son jugement » est en partie atteinte. Marie Cwiczynski, enseignante référente, insistait également sur le travail fait en amont et en aval. Un travail qui « permet aussi de faire tomber les frontières entre les matières plus scolaires (philo, histoire) et l’art ». Comme nous le confirmait Sylvie Gougeon enseignante en philosophie, « nous avons trouvé que cela collait bien avec le programme de philosophie », mais également au projet fédérateur porté par le lycée Lurçat qui a pour thème cette année « Limites, Frontières et Territoires ».

Le travail en amont consiste surtout à étudier la légende de l’âme soeur. Cette croyance née du discours d’Aristophane. Il soutient la thèse de l’existence d’un 3ème catégorie d’humains, les androgynes, qui furent sanctionnés par Zeus. Ils furent découpés en leur centre, engendrant un homme et une femme. Ces deux nouveaux être passant toute leur vie à chercher leur moitié pour tenter de refusionner à nouveau. Le travail en aval est consacré à la rencontre sous forme d’atelier avec les élèves  et la Compagnie de La Lanterne.

La démarche pédagogique du Théâtre de l’Archipel (TDA) en partenariat avec les lycées partenaires
Adeline Montes du TDA nous décryptait le principe de L’Archipel Tour « depuis 6 ans, nous identifions une compagnie dont le travail permet une intervention artistique hors les murs sur la base d’un spectacle et d’ateliers de pratique. Il s’agit d’une volonté propre à l’Archipel, qui s’inscrit dans le cadre du développement de parcours d’Education Artistique et Culturelle« . Depuis 2013, des thèmes tels que « l’altérité », « la violence familiale et institutionnelle » ou « la nécessité du théâtre dans la société ». Il s’agit aussi comme le rappelait Marie Cwiczynski de « favoriser la rencontre, renforcer la pratique et se constituer une culture.

Les lycées, Claude Simon de Rivesaltes, Rosa Luxembourg de Canet en Roussillon, Charles Renouvier de Prades et Bon Secours de Perpignan ont également participé à la 6ème édition de l’Archipel Tour.

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Maïté Torres