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Inceste, Marie crée son association à Perpignan pour briser le tabou

Inceste, Marie crée son association à Perpignan pour briser le tabou

Article mis à jour le 23 septembre 2024 à 11:06

Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles en France. Comme un français sur dix, Marie a connu l’inceste lorsqu’elle était enfant. Après plusieurs décennies d’amnésie traumatique, Marie brise le tabou. Il y a deux mois, elle crée l’association AAVI66 aux côtés de Marine Armangaud, psychotraumatologue.

Dés octobre 2024, des groupes de parole seront organisés à Perpignan afin d’accompagner les victimes sur le chemin de la guérison. Témoignage. Photo Illustration Unsplash © Caleb Woods

Selon un rapport de la Ciivise*, 3,9 millions de femmes et 1,5 million d’hommes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Des abus qui surviennent majoritairement au sein de la famille ou de l’entourage proche. Si le mouvement #MeTooInceste a contribué à libérer la parole, la loi du silence persiste.

« J’ai vécu des abus sexuels quand j’étais petite »

« Je n’avais aucun souvenir d’affection et de tendresse dans mon enfance », entame Marie. « Cela m’a travaillé pendant longtemps. » Alors qu’elle suit une thérapie, une montée brutale de souvenirs émerge lors d’une consultation. « J’avais vécu des abus sexuels quand j’étais petite. » Au début, Marie n’y croit pas. A-t-elle rêvé ? Comment imaginer que ce proche ait commis l’irréparable. Ce souvenir enfoui pendant si longtemps va vite devenir une obsession pour la jeune femme.

« Du jour au lendemain, j’ai commencé à ressentir du dégoût pour cette personne. C’était incontrôlable. » Un jour, ce proche se rend chez Marie sans prévenir. « Il était en bas avec mon fils. Et moi, j’étais dans ma salle de bains, j’étais bloquée. Je ne pouvais pas descendre », se remémore Marie. « C’est la première fois de ma vie où je n’ai pas pu lui dire bonjour. Je ne me suis pas approchée. »

Marie estime qu’elle avait entre 6 et 8 ans quand les faits se sont passés. À 44 ans, elle décide de confronter son agresseur après des années de souffrance. « C’est lui qui a mis des mots sur l’abus sexuel. C’était assez hallucinant. » Après ces aveux à demi-mot, Marie se retrouve isolée. « On se sent complètement seule, je n’avais plus de famille… » La majorité des abus sexuels se produisent dans le cadre intrafamilial. Souvent, la famille cherche à étouffer l’affaire.

Pourquoi une association pour les victimes d’inceste à Perpignan ?

Marie est alors frappée par le manque d’espaces dédiés aux victimes d’inceste. Comment libérer la parole dans une société où le tabou n’est pas de commettre mais de parler ? Elle décide alors de monter sa propre structure qu’elle imagine comme un refuge pour les victimes. L’association proposera deux groupes de parole. Le premier est destiné aux adultes ayant vécu de l’inceste durant leur enfance. Le deuxième, aux parents de victime d’inceste. Ces réunions mixtes auront lieu une fois par mois pour commencer. « Le message que je voudrais faire passer, c’est qu’on peut s’en sortir. On ne reste pas victime », assure Marie.

C’est aussi l’histoire d’une belle rencontre, celle de Marine avec sa patiente. « J’ai soutenu ce projet qui s’inscrivait dans un processus thérapeutique pour Marie », raconte la psychologue. L’idée, c’est de pouvoir transformer le négatif, et en faire naître quelque chose de positif dans une dimension altruiste. « Souvent, les patients ont besoin de rencontrer des « semblables » car ils ont l’impression d’être les seuls à souffrir. »

Au sein de ces petits groupes constitués de huit personnes, il sera possible de parler en toute sécurité et sans jugement. « Cela permet aussi de trouver du soutien auprès d’autres victimes membres du groupe et de partager des ressources. Nous ne sommes pas obligés de nous exprimer, parfois, dans un premier temps, certaines personnes ont besoin d’observer pour se sentir en confiance », rappelle Marine Armengaud. Selon la psychotraumatologue, ces réunions assureront une prise en charge complémentaire. Pour d’autres, ce sera un tremplin pour franchir le pas d’une prise en charge individuelle.

Les amnésies traumatiques sont courantes chez les victimes d’inceste

Avant d’entamer sa thérapie, Marie n’imaginait pas qu’il était possible d’oublier pendant 40 ans. « Beaucoup de personnes ne savent pas qu’il existe une mémoire traumatique », explique-t-elle. Les amnésies sont courantes chez les victimes d’inceste. C’est un des symptômes du syndrome de stress post-traumatique. Elles sont parfois totales ou partielles. « C’est ce qui explique pourquoi certaines victimes en parlent souvent plusieurs années après leur agression. De très nombreuses études cliniques décrivent ces phénomènes qui ont d’abord été étudiés chez les soldats amnésiques des combats », explique la professionnelle.

Chez les victimes d’agressions sexuelles, les amnésies traumatiques peuvent durer jusqu’à 40 ans. Parfois plus dans 1 % des cas. D’après la psychologue, ces souvenirs réapparaissent le plus souvent brutalement et de façon incontrôlée comme une bombe sous l’influence d’un déclencheur. Plongeant la victime dans une douleur psychique et dans un état d’effroi et de sidération. « Comme si elle revivait le trauma au moment où il a eu lieu. C’est ce qu’on appelle la dissociation, un mécanisme de sauvegarde que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et de la puissance de la libération des hormones de stress. »

« L’inceste, un drame qui poursuit ses victimes toute leur vie »

Une véritable disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire, qui provoque bon nombre de séquelles. Le plus souvent, une dépression, des douleurs chroniques, une hypervigilance, une perte de confiance en soi et aux autres. « Les violences sexuelles entraînent une spirale de conséquences graves sur le plan psychique et somatique. Tous les champs peuvent être touchés comme les relations sociales, amoureuses, professionnelles ou amicales. L’inceste est un drame qui poursuit ses victimes toute leur vie. »

Le corps de Marie réagit à toute la souffrance qu’il a contenue pendant des années. « J’ai le syndrome de l’intestin irritable. Je souffre de fatigue chronique, j’ai fait une dépression. Et parfois, je trouve refuge dans l’alcool », confie-t-elle. En invalidité, elle ne peut pas travailler. Son malaise physique la renvoie tous les jours à cette agression.

Comme une revanche sur la vie, Marie suit aujourd’hui une formation en psycho-traumatisme pour accompagner à son tour d’autres victimes. « Je me dis que je n’ai pas vécu tout ça pour rien. J’ai envie que cette expérience serve à d’autres. » Aujourd’hui encore, beaucoup de victimes d’inceste ne sont pas accompagnées. « Le sentiment de honte, la peur de ne pas être comprise, l’indicible, font que bien souvent les victimes ont du mal à faire la démarche de soin », souligne Marine Armengaud. « Pour celles qui ont réussi à passer le pas, parfois plusieurs dizaines d’années plus tard, nous travaillons sur la mémoire traumatique afin de mieux se comprendre, retrouver une dignité, déculpabiliser et reprendre espoir. »

Marie se considère « chanceuse ». Dans son malheur, elle ne s’est pas retrouvée seule. Ancienne victime de violences conjugales, la jeune femme a pu compter sur la présence de l’APEX, une association qu’elle fréquente depuis plusieurs années. « J’ai aussi eu les moyens de me payer un accompagnement psychologique. » En trois ans, Marie a déboursé près de 7 000 euros de thérapie.

Porter plainte, une étape importante du processus de guérison

Bien souvent, la première difficulté quand on est victime est de déposer plainte. Lorsqu’elle a confronté son agresseur, une part de Marie doutait toujours, même si le corps ne ment pas. « Je n’ai pas de preuve, c’est sa parole contre la mienne », déplore-t-elle. Il y a encore quelques semaines, Marie était persuadée qu’elle n’irait pas porter plainte, que ce n’était pas la peine. « Et en fait si, j’ai besoin d’aller le déposer quelque part, c’est peut-être une étape importante dans le processus de guérison », affirme Marie.

Pour rappel, le délai pour déposer plainte reste fixé à 30 ans à compter de la majorité de la victime, soit jusqu’à l’âge de 48 ans. « Je le fais pour moi, pour me dire qu’il ne me fait plus peur. » Selon la Ciivise, moins de 7% des plaintes pour violences sexuelles sur mineur aboutissent à une condamnation de l’auteur.

L’importance de briser le tabou

Les parents victimes d’inceste ont-ils la crainte de devenir auteur à leur tour ? Là encore, le sujet est particulièrement sensible. Pour les victimes, la représentation sociale « l’agressé deviendra agresseur » est très culpabilisante et infondée. « Devenir parent en ayant été victime d’inceste est très bouleversant pour beaucoup, cela peut raviver des angoisses qui les font culpabiliser, une peur irrationnelle d’être un mauvais parent et de ne pas pouvoir protéger son enfant ou de ne pas être capable », affirme Marine Armengaud.

D’après la psychologue, avoir une fille pour les victimes est plus difficile. L’entrée dans la parentalité ne sera pas forcément vécue avec autant d’entrain et de sérénité qu’un parent non victime. La douleur prend souvent la place du bonheur. « Dans ma clinique, la peur de reproduire l’inceste n’est pas forcément la plus rencontrée. Justement, si la question se pose c’est plutôt bon signe puisqu’il y a un processus d’élaboration qui permettra justement de casser le phénomène de répétition du trauma dans les familles. »

Marie a deux enfants. Il y a quelque temps, elle a pris la décision de leur expliquer ce qu’il lui était arrivé. « C’est important que ça ne reste pas tabou. Il faut en parler, sinon ça reste un secret de famille. »

Infos Pratiques

L’association AAVI66 est joignable au 06 59 12 41 21 ou via Facebook.

*Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants

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Célia Lespinasse