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Cent ans d’Art Déco : à Perpignan, un patrimoine exceptionnel sans protection

En 1925, Paris organise son « exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes » qui donnera son nom au style Art Déco. Cent ans plus tard, dans les Pyrénées-Orientales, et notamment à Perpignan, l’architecture Art Déco demeure riche, en grande partie épargnée par les opérations de promotion. Mais sans mesure de sauvegarde, jusqu’à quand sera-t-elle préservée ? Photos © Philippe Latger

Alors que l’idée de patrimoine fait souvent songer au médiéval, on oublie le début du XXe siècle et la succession des styles Beaux-Arts, Art Nouveau et Art Déco. Ainsi à Perpignan, on va retrouver des maisons Art Déco juchées sur les remparts du Moyen Âge, une typicité quasi unique en France.

Des rues de Perpignan avec la totalité des façades en Art Déco

Philippe Latger est le fondateur de l’association Perpignan Art Déco, qui a permis d’accueillir à Perpignan des passionnés du monde entier pour découvrir nos façades. Il a recensé plus de mille adresses Art Déco dans la ville, avec des bâtiments construits entre 1930 et 1950.

« Toute la bande du glacis du Palais des rois de Majorque, qui va de la place des Esplanades au cimetière Saint-Martin, ce n’est que de l’Art Déco. »

Beaucoup d’autres quartiers sont concernés, comme le Bas Vernet. Le palais consulaire, ou la grande poste, sont aussi des bâtiments emblématiques de cette architecture.

Hors Perpignan, les communes des Pyrénées-Orientales sont également riches en Art Déco, qu’il s’agisse de maisons particulières, de mairies, du fameux Casino de Vernet-les-Bains, du Grand Hôtel de Font-Romeu, ou même de caves coopératives parfois menacées d’être rasées…

Après les volutes, les lignes géométriques, symboles de modernité

L’Art Déco se repère avec ses décorations géométriques, opposées aux formes organiques de l’Art Nouveau. Avec les débuts de l’automobile et la technologie galopante, il faut faire moderne, et les façades rappellent parfois des éléments industriels. « Des encorbellements sont soutenus par des formes de boulons ou de pièces mécaniques », poursuit Philippe Latger.

Les pyramides en escalier rappellent les sommets des gratte-ciel new-yorkais conçus pour laisser entrer la lumière dans les avenues. Les colonnades et pilastres stylisés sont une filiation avec le néoclassique, comme on peut le voir avec le lycée Arago de Perpignan, dont le premier gymnase avait été installé au centre, à la manière d’un temple antique. Nombre d’or et chiffre 3 sont très utilisés. Enfin l’Art Déco se décline dans le style paquebot et intègre des hublots, des sphères et même des balcons aux allures de bastingages. L’hôtel du belvédère à Cerbère est typique de ce style.

« J’associe ce décor à mon enfance, à la maison de mes grands-parents avec les carreaux de ciment. Les lotissements des années 1930, on peut encore les trouver jolis car même dans les petites maisons d’ouvriers, il y a toujours une coquetterie, ils tenaient compte de l’environnement, respectaient les hauteurs de ce qu’il y avait autour. Mais nous sommes passés d’une société d’architectes à une société de promoteurs, de consommation. »

Le temps vient attaquer les réalisations Art Déco, avec un béton qui se dégrade selon les sables employés. Le granito utilisé sur les pas-de-porte, à savoir des éclats de marbre dans du ciment, plus fins dans les années 1930 et plus larges vers 1960, est souvent fracturé.

Des dégradations délicates à faire réparer

« Plutôt que de réparer au ciment, il faudrait connaître des marbriers. J’habite près de la place Cassanyes où les petites mamies propriétaires n’ont pas la trésorerie. Et beaucoup d’entreprises ne savent plus travailler sur du patrimonial. » Les menuiseries PVC surgissent peu à peu là où ces maisons avaient du bois. Et surtout, l’Art Déco ne dispose pas de mesures de protection pour éviter sa destruction.

« À Toulouse, des maisons familiales des années 1930 ont été détruites les unes après les autres pour monter des petits collectifs. »

Une seule maison particulière Art Déco est inscrite aux monuments historiques dans les Pyrénées-Orientales, la villa Muchir à Canet-en-Roussillon. Au milieu des années 2010, un label sur le patrimoine du XXe siècle est élaboré, en lien avec l’atelier d’urbanisme et la Direction régionale des affaires culturelles. « Cela ne protège de rien, c’est seulement une recommandation pour les propriétaires, qui restent libres de détruire, de modifier. » Le pavillon d’entrée des Courriers Catalans, près de la gare de Perpignan, lui aussi réalisé par l’architecte Férid Muchir, n’a pas échappé à la destruction.

Rue des Remparts, ce bâtiment des architectes Muchir et Joffre, construit en 1933, subit les ravages du temps.

Pour préserver ce patrimoine, Philippe Latger mise aujourd’hui sur la sensibilisation. Pourquoi ne pas relancer un jour le festival Art Déco qu’il organisait entre 2015 et 2018 ? L’idée serait de contextualiser à nouveau l’architecture avec tout ce que la période produisait de littérature, de musique, de cinéma et de mode.

Années folles, Belle époque, Art Nouveau, Art Déco… Comprendre les styles et les périodes :

Le début du XXe siècle est à la fois marqué par les guerres et une succession rapide de styles architecturaux.

Ainsi entre 1860 et 1910 le style Beaux-Arts, imposé à Paris avec les années Haussmann, se développe. Il est très présent dans les Pyrénées-Orientales. On retrouve ainsi les châteaux de Viggo Dorph-Petersen (Aubiry, Ducup et Valmy) ou encore les Dames de France à Perpignan, le cinéma Castillet.

De 1880 à 1910, c’est l’Art Nouveau qui prend son essor, avec ses volutes naturelles : végétal, minéral, fonds marins… C’est le style de Gaudí à Barcelone, qui ne percera pas à Perpignan. Nous sommes en pleine Belle Epoque.

De 1920 à 1950, l’Art Déco fait une entrée fracassante avec une ouverture aux classes moins aisées, contrairement aux précédents styles réservés aux plus riches. On peut voir dans le cubisme, dont Céret à été le laboratoire, les prémices de ces lignes géométriques. Les débuts de l’Art Déco correspondent aux Années Folles.

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Philippe Becker