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Crack, opiacés, nouvelles drogues de synthèse… quelles prises en charge des addictions dans les Pyrénées-Orientales ?

Drogue | Les prix du crack à Perpignan attirent les consommateurs de toute la France

En mai 2025, la préfecture, l’Agence Régionale de Santé (ARS) et le parquet de Perpignan ont signé un nouveau plan de prévention et de lutte contre les pratiques addictives, toujours plus préoccupantes. Made in Perpignan a rencontré les praticiens du CSAPA* Aline Vinot de Perpignan. Médecins, psychologues, infirmiers et psychiatres du centre prennent en charge toujours plus de patients souffrant d’addictions.

« Notre département connaît des fragilités nombreuses qui le rendent particulièrement vulnérable au développement des comportements addictifs » communique le préfet des Pyrénées-Orientales Thierry Bonnier. Les trafics depuis l’Espagne et l’Andorre et les difficultés sociales forment un cocktail favorable aux comportements addictifs. La préfecture relève également l’important nombre d’évènements festifs où circulent des stupéfiants.

Des spirales d’addiction qui commencent par un simple mal de dos

Le centre de soins Aline Vinot est l’un des trois CSAPA de Perpignan. Il suit des patients volontaires, et assure également la délivrance de produits de substitution comme la méthadone et le Subutex.

SUBUTEX BOITES

« Il y a de plus en plus d’addictions avec des médicaments opioïdes prescrits » confie le docteur addictologue Samuel Bureau. « Dans ma pratique, cela explose. »

Tramadol ou morphine prescrits pour la douleur peuvent conduire à l’addiction avec augmentation des dosages. « Quand le médecin traitant dit stop, ils se fournissent ailleurs. » Le grand classique est l’escalade depuis le mal de dos avec morphine puis oxycodone. Si jusque-là, les médecins délivraient tramadol et autres antalgiques aisément, la mise en place des ordonnances sécurisées a stoppé des traitements et déplacé un flux de patients vers le centre Aline Vinot. À l’inverse, le médecin constate une diminution des héroïnomanes fréquentant les centres de soin sur les dernières décennies.

À Perpignan, des adolescents de 14 ans déjà accros

Malgré un phénomène concernant davantage les hommes, les femmes sont de plus en plus touchées par les addictions. Elles sont près de 30 % aujourd’hui contre 10 % quelques années plus tôt. « Les modalités de consommation sont différentes. Pour les femmes, c’est plus discret, moins festif. » S’il y a une majorité de trentenaires, le nombre de jeunes, mineurs inclus, est en augmentation. « Nous avons des adolescents de 14 ans qui frappent à la porte, et qui ont commencé à 12 ans. »

Autre tendance, une présence de plus en plus marquée des cannabinoïdes de synthèse, avec une législation floue et une composition opaque. « Il y a des molécules proches du THC mais avec des effets beaucoup plus forts. » Le tout désormais livré via Snapchat, Telegram et autres plateformes dématérialisées.

« Les jeunes que je rencontre ont quasiment tous expérimenté ces nouvelles substances, ce que je ne voyais pas il y a deux ans. »

La polyconsommation avec alcool ou tabac est fréquente même si les plus jeunes feraient moins usage des produits licites qu’auparavant. Enfin, le nombre de patients serait stable pour les produits présents en festival et soirées étudiantes (ecstasy, MDMA, GHB…).

Quand le crack n’est plus réservé aux marginaux

S’agissant du très médiatisé « crack« , le médecin constate des profils de consommateurs plus divers. Le crack, cocaïne fumée, est aussi appelé « base » ou « free base » quand le consommateur la prépare lui-même. « Cela traverse maintenant toutes les couches de la société. Il y a quatre ou cinq ans c’était plutôt pour des marginaux désocialisés. »

« On peut avoir de la cocaïne pour 5 ou 10 euros. C’est encore plus ‘rentable’ de la transformer pour la fumer. On voit les consommateurs passer du snif à la base. »

PROTOXYDE D AZOTE CARTOUCHES
Des cartouches de protoxyde d’azote jonchant le sol à Perpignan en 2025.

Quant au protoxyte d’azote, ce gaz hilarant contenu dans les cartouches de chantilly, il n’est malheureusement pas une mode passagère. Si les petites cartouches du commerce sont aujourd’hui interdites, les consommateurs se fournissent désormais en bonbonnes géantes sur internet.

Dernière évolution, les addictions sans produits intègrent désormais les prises en charge. Écrans, sexe, achats compulsifs et jeux d’argent ou de hasard peuvent être traités au titre des addictions. « Nous avons beaucoup de demandes. »

« C’est une maladie. L’addiction transforme définitivement le cerveau. »

« On n’est pas si mal lotis à Perpignan, avec trois CSAPA. La problématique est pour les gens qui habitent dans les villages. » Les addictions concernent en effet aussi la ruralité. Près de 2000 patients sont accompagnés par le centre Aline Vinot, avec parfois plus d’une centaine de visites dans une seule journée.

« Nous ne sommes pas dimensionnés pour cela. En particulier sur les points de délivrance méthadone. Nous avons du mal à recruter des médecins addictologues. Et les généralistes manquent de temps pour faire le relais. »

Le docteur Régis Bouquié, chef de service du CSAPA Aline Vinot, en consultation. © P. Becker

Pour le chef de service et addictologue Régis Bouquié, la prise en charge passe par une série de rendez-vous et un maximum de verbalisation. Depuis peu, familles et conjoints sont davantage intégrés au processus à travers les groupes « entourage ». « L’objectif est de faire comprendre la maladie. Parce que c’est une maladie. L’addiction transforme définitivement le cerveau. » L’entretien motivationnel est l’un des outils les plus efficaces, avec un patient qui formalise lui-même sa situation. « Ce sont des histoires de vie souvent dramatiques, que la morale sociale juge mal. » Pour le médecin, il manque de moyens sur la prévention. « On intervient dans les lycées, il faudrait commencer au collège. »

Témoignage : sorti du cannabis, Stéphane** fumait jusqu’à 12 joints par jour

« J’ai commencé par le cannabis au lycée, en seconde » explique Stéphane, 26 ans. Un démarrage classique et festif, pour « rigoler » entre copains. Mais le cannabis devient rapidement la raison des rassemblements. « On finit par être soudé autour du cannabis, du reggae, tout ça. » La tendance passe à la techno et à l’occasion de rave party, Stéphane expérimente d’autres types de drogues.

« C’est vendu à la criée, on te propose tout. J’ai vu arriver des produits de synthèse, genre la kétamine qui est à l’origine un anesthésiant pour cheval, ou le 3MMC. À un moment, il y a un truc qui est arrivé, que les gens appelaient le CPH4, une sorte de kétamine vachement puissante surnommée aussi la ‘ké pour baleine’. »

Aujourd’hui, certains des amis de Stéphane sont décédés, suite à des overdoses ou des accidents de voiture. Mais c’est le cannabis qui fait dégringoler le jeune homme. « On retient les études qui disent qu’il n’y a pas d’addiction physique et on finit par défendre le cannabis. » Peu à peu, l’herbe n’est plus festive. Stéphane en ramène à la maison après les soirées. « Avec les copains, c’était déjà tous les jours, puis à la maison tous les soirs. » Les quantités augmentent en même temps que le budget. Les joints avec 10 % de cannabis et 90 % de tabac deviennent des joints moitié-moitié.

« Je voyais ça comme un sac de couchage rassurant, ça enlève les problèmes, tu ne penses plus à rien. C’était le côté anesthésiant que je recherchais. » Stéphane vit une perte de motivation, tourne à une douzaine de joints quotidiens. « Le cerveau est embrumé, je ne rêvais plus, je perdais la mémoire. »

Il fréquente le milieu du deal avec les mafias marseillaises qui interviennent jusqu’à Perpignan, des histoires de prise d’otage et autres règlements de compte. « Quand tu es client, tu n’as rien à craindre. » Poussé par ses parents, Stéphane finit par accepter de se rendre au CSAPA. « Le docteur Bureau a su trouver les mots. Il m’a parlé des deux personnalités, du démon de l’addiction. J’ai pris conscience qu’il fallait que j’arrête. »

« Il y avait des gens à cran, à bout, anéantis. »

La maman de Stéphane intègre les réunions de famille au centre de soins. « Il n’y avait quasiment que des mamans et seulement un seul papa » raconte-t-elle. « Il y avait des gens à cran, à bout, anéantis. J’ai fait quatre séances. Cela m’a permis de relativiser ma propre situation, comprendre la maladie et déculpabiliser. »

Stéphane sera un temps hospitalisé à la Clinique du Roussillon, avant un stage en maison collective pour se déconnecter du produit. Il reconnaît une unique récidive, et n’a plus touché au cannabis depuis plus de trois mois. Il continue ses rendez-vous au CSAPA et un traitement à base d’anxiolytiques, ainsi que l’utilisation de CBD. Stéphane trouve mieux ses mots, revit. Il reçoit encore sur Snapchat des offres de ses anciens dealers.

« Ça les embêtait que je n’achète plus. J’ai bloqué tout le monde. J’ai eu la chance que mon colocataire s’arrête en même temps que moi. On était dans le même bateau. »

Le plan départemental : tous les acteurs autour de la table

S’il n’y a pas de budget supplémentaire dédié à l’addiction, le plan départemental signé en mai 2025 par le préfet, le procureur et l’Agence Régionale de Santé va cependant permettre une nouvelle articulation entre services pour mieux affronter la problématique. « Le CAARUD, les CSAPA, le service addictologie de l’hôpital, l’Education nationale, la Mission Locale Jeune… » énumère Rémi Cros, directeur adjoint pour la délégation Pyrénées-Orientales de l’ARS. « Il y a aussi la répression, avec le tribunal judiciaire, la PJJ, les forces de sécurité intérieures. Il s’agit de coordonner tout ça. »

Le plan va notamment mettre en place une nouvelle équipe de liaison « ELSA » sur le centre hospitalier de Thuir qui viendra seconder celle de l’hôpital de Perpignan. Des « consultations jeunes consommateurs » seront déployées dans diverses structures. Le côté sanction devrait également être renforcé avec de nouveaux contrôles routiers pédagogiques, davantage d’injonctions thérapeutiques suite aux délits liés à la consommation, on encore une amplification des amendes forfaitaires délictuelles.

* CSAPA : Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie
** Prénom d’emprunt

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