Article mis à jour le 1 juin 2025 à 09:30
Photojournaliste française, Mélissa Cornet couvre la guerre en Ukraine. Lors de l’édition 2024 du festival de photojournalisme Visa pour l’image Perpignan, avec Kiana Hayeri, elles ont reçu le prix Carmignac pour leur travail sur les conditions des femmes afghanes sous le régime des talibans.
Ce reportage en Ukraine a été soutenu par l’initiative « Femmes sur le terrain : reportages sur les fronts invisibles de l’Ukraine » de la Fondation internationale des femmes dans les médias (IWMF), en partenariat avec la Fondation Howard G. Buffett. Crédit texte et photos, Mélissa Cornet.
« J’ai compris que si on gardait notre bébé, je serais seule »
Dans la banlieue de Kyiv, un matin de printemps, Liza, 31 ans, nous accueille dans la maison ensoleillée qu’elle partage avec son mari, Andreii, photographe de guerre, et son fils de six mois, Ivan. Andreii est parti couvrir la guerre, à l’est, laissant Liza s’occuper seule de leur fils.
Quand elle a appris qu’elle était enceinte, en mars 2024, Liza a beaucoup réfléchi avant de décider de garder sa grossesse. En tant que journalistes, Liza et son compagnon voyagent le long de la ligne de front pour documenter la guerre menée par la Russie et ses conséquences sur la population ukrainienne. Il voyage, prend des photos, conduit des entretiens, elle édite, publie et vend. “J’ai compris que si on gardait notre bébé, je serais seule. J’ai essayé d’en parler avec mon mari, mais il ne voulait pas parler des difficultés. Je savais que ce serait difficile,” explique Liza.
Aujourd’hui, tout son salaire va à l’aide à domicile qui lui a permis de reprendre le travail, depuis Kyiv, tandis que son mari voyage la moitié du temps, sans jamais savoir en avance quand il part ni pour combien de temps. Elle a pensé à quitter l’Ukraine pour élever son enfant, mais a choisi de rester dans l’Ukraine en guerre, avec Andreii, plutôt qu’être totalement seule à l’étranger avec son bébé.
Elever un enfant dans un pays qui se bat pour exister
Son mari a déjà raté plusieurs moments importants des premiers mois d’Ivan : sa première dent, la première fois où il s’est retourné tout seul. “Andreii n’a pas décidé de moins voyager à cause du bébé. La vie des hommes n’est pas affectée par les bébés. Il disait même à nos amis que notre bébé faisait ses nuits, parce qu’il ne l’entendait même pas pleurer. C’est moi qui me réveillais.”
Liza n’a aucun regret, “mais c’est le plus grand défi de ma vie. Aujourd’hui, je ne compte que sur moi, je prends toutes les décisions seule. La première année avec un bébé est très difficile. Après, je retrouverai ma vie.”
Pour les familles ukrainiennes, la décision d’avoir un enfant reste lourde de conséquences, quand les hommes entre 25 et 60 ans peuvent être conscrits, que beaucoup ne reviennent pas, et que les frappes de missiles et de drones continuent à causer de nombreux morts dans tout le pays.
En conséquence, le taux de natalité est passé en dessous d’un enfant par famille, l’un des plus bas au monde, et le nombre de naissances a chuté d’environ 23 000 naissances par mois avant l’invasion de 2022 à environ 16 000 en 2023, selon le site d’analyse de données ukrainien OpenDataBot.
Grandir avant leur heure
Aujourd’hui, les familles ukrainiennes se sont adaptées aux réalités de la guerre. C’est le cas de Maryna, 34 ans, et de son mari, travailleur dans le secteur de l’énergie, qui vivent avec leurs deux enfants, une fille de 14 ans, et un garçon de 11 ans, à Mykolaiv, dans le sud du pays.
Après l’invasion, Maryna a rejoint l’ONG Halo Trust et est devenue démineuse. Elle travaille maintenant de longues journées, partant tôt le matin pour rejoindre les communautés à déminer, et les enfants passent donc beaucoup de temps seuls chez eux. “Nous avons des alertes presque tous les jours, qui nous préviennent quand les Russes envoient des drones ou des missiles. Et je pense toujours à mes enfants. Quand je suis sur le terrain, ils sont seuls à la maison. C’est ma plus grande angoisse.”
Ses enfants ont dû grandir plus vite à cause de la guerre: “Ils sont assez autonomes. Ma fille aînée sait cuisiner, elle fait le ménage, les devoirs. Ce sont eux qui me soutiennent.”
Malgré ces difficultés, pas question pour eux de changer de configuration. “Je suis particulièrement fière de la personne que je suis devenue” explique Maryna. “Je suis devenue plus forte. Je me vois comme quelqu’un qui contribue à la paix et à la reconstruction.”
Pour certaines femmes, la guerre représente une opportunité: les employeurs favorisent le recrutement des femmes, car ils veulent des employés qui ne seront pas appelés au front. Les femmes ukrainiennes investissent donc les secteurs traditionnellement masculins: conductrice de camion ou de tram, mineure de charbon, garde de sécurité, ou comme Maryna, démineuse.
Dans la cadre d’un partenariat, Made In Perpignan met en lumière le travail de Mélissa Cornet.
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