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De Gaza et Israël vers l’Europe : l’exil inattendu de 50 ânes pour une retraite paisible

D'Israël à l'Europe : l'exil inattendu de cinquante ânes pour une retraite paisible

L’association Anes et Compagnie, qui accueille déjà plus de 550 animaux dans son refuge à Torreilles, s’est portée volontaire pour accueillir entre cinq et dix ânes en provenance d’Israël et de Gaza. Le convoi qui les amène, qui doit partir début mars, en compte cinquante, et cinquante de plus attendent déjà un vol ultérieur.

Le directeur et fondateur du refuge, Jean-Noël Saniol, a joint sa voix à l’appel lancé par les organisateurs de ce sauvetage pas comme les autres : ils ont besoin de plus de lieux d’accueil en France et en Europe, et de soutien financier.

Le projet : Envoyer cinquante ânes d’Israël et de Gaza vers l’Europe

Faire voyager des ânes par avion pour leur offrir une retraite dorée en France et en Europe : c’est l’un des projets de l’association Starting Over, dont le refuge est basé au nord de Tel Aviv, en Israël. Les animaux viennent « d’un trafic démantelé en Israël », et « des ânes de Gaza que des Palestiniens nous font parvenir », explique Isabelle, ex-journaliste qui a relayé l’appel à l’aide de l’association.

Les nœuds de cette toile logistique internationale, ce sont quatre personnes, d’un village d’Israël à celui de Torreilles : Sharon, gérante de l’association et du refuge Starting Over ; Liza, bénévole de l’association ; Isabelle, ex-correspondante en Israël jusqu’en 2006, habitante des Pyrénées-Orientales, relaie des appels à foyers d’accueil ; et enfin Jean-Noël, qui répond présent avec le refuge Anes et Compagnie à Torreilles.

Pourquoi l’Europe ? Parce que les pays voisins d’Israël « considèrent que l’âne est juste un instrument de travail, pour lesquels il n’y a pas beaucoup de considération ». Et un aller simple vers l’Europe coûte tout aussi cher que l’entretien et le soin d’un âne pendant un an. « Le foin coûte très cher en Israël », explique Liza. « Le prix de l’envoi d’un âne en France, c’est un peu plus de 1 000€ ». Et les ânes envoyés ailleurs libèrent de la place et des ressources pour le flux incessant de nouveaux entrants.

Géopolitique de l’âne israélo-gazaoui

Si en France, l’âne est un animal que l’on croise dans un champ au détour d’une promenade en campagne, il est un véritable outil de travail en Israël et en Palestine rurales. En territoire palestinien, « souvent, il n’y a pas d’essence, il y a des points de contrôle, on ne peut pas passer en voiture », explique Isabelle. « Alors les ânes sont très fortement mis à contribution ». L’ex-journaliste raconte avoir couvert le sujet de l’utilisation des ânes sur le territoire plusieurs fois au cours de sa carrière. « Parfois il valait mieux avoir un âne qu’une voiture ». L’âne est – du moins, était, avant la guerre de 2023 – un enjeu économique essentiel.

Les façons d’y exploiter l’animal sont nombreuses. « Lors de la deuxième Intifada [entre 2000 et 2005], les mouvements terroristes se servaient de vieux ânes pour les barder d’explosifs et les envoyer sur des points de contrôle. Alors quand les Israéliens voyaient arriver un âne seul, ils tiraient », se souvient l’ex-correspondante. D’après Liza, le Hamas utilisait des ânes pour le transport de matériaux de construction, et le déblayage de pierres dans les tunnels.

Et, une fois que l’âne est trop âgé, ou trop abîmé par le travail, « les gens les jettent », explique Liza. « Une fois qu’ils ne sont plus utiles, ils les laissent crever comme ça, tout simplement ». Parfois leur peau est revendue « pour faire des cosmétiques en Chine ». Une enquête commanditée par la fondatrice de Starting Over révèle un trafic d’ânes en – relative – bonne santé qui, au lieu d’être utilisés pour le travail à Gaza, étaient directement revendus en Égypte pour ensuite terminer en Chine. « Sharon a réussi à prouver au gouvernement [israélien] que les ânes ne venaient pas travailler, mais qu’ils étaient revendus en Égypte. Elle a réussi à faire fermer le passage des camions d’ânes ». Mais ça, c’était avant la guerre du 7 octobre.

Comment faire rentrer cinquante ânes dans un avion ?

Un âne en avion, ça se négocie. Et pour ça, Sharon et Liza sont pleines de ressources – et de contacts. Les jeunes femmes constatent que même en temps de guerre, le goût des populations aisées pour le luxe ne se tarit pas. En l’occurrence, le goût pour les chevaux de race. « [Israël] a une culture du cheval, du pur-sang », explique Liza. Alors des vols dédiés exportent des chevaux de l’Europe vers Israël, et repartent à vide. Un manque à combler idéal pour les ânes réfugiés de Starting Over. « On peut en mettre cinquante par avion, nos ânes, ils ne sont pas très grands », continue Liza.

Les ânes atterrissent à Liège, en Belgique, avant d’être acheminés par camion vers leur lieu d’accueil. Les refuges et les particuliers n’ont rien à débourser. Pour Torreilles et le sud de la France, l’association essaye encore de négocier l’atterrissage à Barcelone ou à Lyon. Tout le côté administratif est géré par Starting Over.

Gaza, Israël et les ânes : Récupération politique, y’aura, y’aura pas ?

L’attaque du Hamas en 2023 et le chaos qui a suivi a évidemment impacté les activités de l’association. Starting Over a perdu l’un de ses refuges partenaires, devenu soudainement frileux de se voir associé publiquement à une organisation basée en Israël. Mais c’est plutôt sur les réseaux sociaux que les tensions sont les plus visibles.

« Quand j’ai commencé à diffuser sur les réseaux sociaux, j’ai eu le droit à « Ça génocide les humains et ça sauve les animaux », des trucs comme ça », se souvient Liza. Mais comme lui a dit une amie, « quand je vois un animal en détresse, je ne lui demande pas sa carte d’identité ». Elle de compléter, peut-être à contre-courant des tensions cristallisées autour de la crise humanitaire : « les gens qui ont un cœur ne s’arrêtent pas à des histoires politiques ».

À la seule évocation d’Israël ou Palestine, s’agace Jean-Noël craint d’être taxe d’être antisémites ou anti-palestiniens. Le fondateur déclare hésiter à contacter les élus de sa région par peur d’une récupération politique.

« Entre les amis des animaux, il n’y a pas de frontière », maintient Liza. Dans sa communication, le refuge choisit de mettre en avant le fait que les ânes viennent « d’Israël ET de Gaza. Ça passe mieux, parce qu’on unit les deux », complète Isabelle.

Le refuge de Torreilles et l’association Starting Over appellent à l’aide

Le refuge israélien compte aujourd’hui 1 200 ânes sur quatre hectares de terrain. « Ça fait beaucoup », déplore Liza. Aujourd’hui, les militantes de la cause animale ont trouvé des solutions (refuges, famille d’accueil) pour une centaine de bêtes, mais faute de moyen, la logistique coince.

La collecte de fonds pour faire partir le prochain convoi, prévu pour début mars, est encore loin d’être complète. Les dons s’amenuisent, divisés par la multiplication des crises humanitaires sur le territoire. « Mais les miracles, ça existe, ça arrive même régulièrement, donc sait-on jamais », sourit Liza.

« C’est un animal très rustique, très simple à entretenir », continue la jeune femme. « Si les gens ont un peu de terrain, et un petit abri [et un permis, obligatoire en France, ndlr], c’est bon ! ». Seule condition pour Liza et Jean-Noël : offrir une « retraite dorée » aux animaux, qui seront placés sous contrat d’adoption, avec garantie de ne pas être ni montés, ni attelés, ni bâtés, ni revendus.

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