Article mis à jour le 24 mars 2025 à 11:53
Située dans le massif d’Embullà, la grotte Lachambre a été découverte en 1981, par André, spéléologue qui a donné son nom au réseau souterrain. Protégée par l’État français, la grotte est sous la garde de Jean-Louis Pérez, président de l’association Conflent Spéléo Club, à Prades. La visite de la cavité, qui s’étend sur 28 kilomètres, est uniquement réservée à de petits groupes de scientifiques. Exceptionnellement, Made in Perpignan a pu s’y rendre.
Samedi 15 mars 2025, nous rejoignons Jean-Louis, à 13h, sur le parking de l’ancienne gare de Ria-Sirach. Après une courte marche, nous arrivons devant l’entrée de la grotte protégée par une lourde porte blindée de 20 centimètres, qui rappelle celle d’une chambre forte. Témoignage de cette épopée souterraine.
L’histoire de la plus longue grotte de Catalogne
Une plaque commémorative rendant hommage à André Lachambre et sa femme orne l’entrée. Né a Metz en 1925, André commence à travailler dans les mines dès l’âge de 14 ans jusqu’à la déclaration de la Seconde guerre mondiale à laquelle il participe activement en tant que résistant. À la fin de la guerre, il part au Vietnam où il rejoint les commandos jusqu’en 1949. Atteint du paludisme, André doit se retirer dans une région bénéficiant d’un meilleur climat, il s’installe donc à Prades avec sa famille. C’est là que pour la première fois il découvre la spéléologie, dont il tombe amoureux.
Le 21 juin 1981, André Lachambre et les explorateurs du CSC (Conflent Spéléo Club) font sauter une charge explosive sur une fissure d’où émane un léger courant d’air. Devant eux, s’ouvre un petit conduit obstrué par des blocs. Dans l’espoir de se frayer un passage à l’intérieur, ils commencent à déblayer le boyau. Après plusieurs heures de travail, André et ses camarades atteignent enfin une première galerie. L’excitation est à son comble pour les spéléologues qui ne se décident à ressortir à la surface que 24 heures plus tard, le 22 juin.
Près de 45 ans après la découverte du réseau souterrain, nous suivons les pas d’André Lachambre. D’abord sur la pointe des pieds, on finit carrément par ramper pour descendre le long de l’étroit boyau. Nous entrons dans la grotte par la galerie Pagès. Seules dix personnes à la fois peuvent pénétrer dans la cavité. En file indienne, nous empruntons un premier tronçon aux parois dépouillées, qui s’enfonce dans les ténèbres.
Dans ce boyau de seulement un mètre de diamètre, heureusement que nous sommes bien protégés. Car à cet instant, seul le bruit de mon casque heurtant régulièrement le plafond vient rompre le silence ambiant. Nous continuons à ramper sur les trente prochains mètres, avant d’atteindre le point de départ de la galerie du Merder. Enfin, nous pouvons nous relever et contempler ce qui nous entoure.
Un réseau souterrain qui renferme bien des merveilles
La galerie du Merder abrite toutes sortes de concrétions. Il s’agit de « sculptures » en pierre présentes dans les salles et les galeries souterraines. Elles se forment de façon naturelle. En s’infiltrant à travers la roche, l’eau de pluie se charge de calcaire contenant de la calcite, une matière minérale. En arrivant dans la cavité, celle-ci se dépose goutte à goutte sur les parois et le sol des galeries, modelant les fameuses concrétions. Leur formation est très lente : elles grandissent d’un millimètre à quelques centimètres par siècle. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les explications de Jean-Louis, octogénaire qui connaît par coeur ce labyrinthe souterrain.
Nous passons devant d’excentriques stalagmites et stalactites, des merveilles ciselées par la nature depuis des millénaires. Dans ces cavités, l’eau a créé des formes étonnantes. Autant de merveilles que dissimule cette grotte dans ses entrailles. Un dédale de couleurs et de formes que l’on a du mal à imaginer. Jean-Louis éclaire avec sa torche les parois qui nous entourent, des coulées roses, mauves, violettes… La grotte est remplie de marbre. Nous ne savons plus où donner de la tête. De temps à autre, nous croisons l’entrée d’un siphon, un trou noir profond de 20 mètres, qui mène à un conduit souterrain boueux. Au détour d’une galerie, nous croisons les restes de ce qui semble être un rat, des chauves-souris et des araignées habitent également la grotte.
Nous suivons avec soin le marquage au sol installé par les premiers explorateurs, pour ne rien dégrader pendant les explorations. Jean-Louis nous explique que les spéléologues utilisent des pulvérisateurs et des aspirateurs destinés à supprimer les inévitables marques de passage des visiteurs sur la concrétion blanche. Nous entamons une marche le long d’une ancienne rivière cristallisée, aujourd’hui à sec. Jean-Louis nous désigne des cuvettes blanches autrefois remplies d’eau. « Ces lagons bleus », surnommés ainsi par le spéléologue, ont malheureusement disparu lorsque la sécheresse a frappé le département.
De petites pierres, semblables à des œufs, attirent notre attention. Il s’agit en réalité des fameuses « perles des cavernes ». Un trésor de la grotte Lachambre. À l’origine, il s’agit d’un débris solide comme une pierre, que l’action polissante de l’eau a transformé en concrétion sphérique pouvant atteindre quelques centimètres de diamètre. « La formation de ces perles est due aux mouvements tourbillonnaires de l’eau », désigne Jean-Louis. Les perles des cavernes sont généralement regroupées en nids situés au fond des gours, nom officiel de petites cuvettes que l’on trouve dans une grotte.
Des canyons blancs catalogués au patrimoine naturel de l’UNESCO
Nous marquons une pause à l’ancien campement des spéléologues où il reste encore des bâches, des outils et de l’eau. Jean-Louis nous explique qu’autrefois, certains dormaient sur place. Cela fait plusieurs heures que nous sommes dans la grotte, et pourtant, nous n’avons parcouru que 800 mètres. Nous éteignons nos lampes frontales afin d’économiser les piles. Plongés dans l’obscurité la plus totale, on se laisse porter par les bruits de la cavité : les quelques gouttes d’eau qui dégoulinent du plafond, un caillou qui roule le long d’un éboulis, les pas de Jean-Louis qui résonnent au loin. Se retrouver sous terre est une expérience assez hors-norme.
Nous arrivons devant une rampe de pierres très instable qui permet d’accéder à une salle supérieure. Chacun notre tour, nous tentons d’escalader l’éboulis où il faut peser chacun de ses pas. Une tâche périlleuse qui en valait la peine puisque nous arrivons dans une nouvelle salle garnie de concrétions de toutes tailles, aux formes plus bizarres les unes que les autres. Nous faisons demi-tour pour rejoindre les « canyons blancs », dont Jean-Louis nous a tant parlé. C’est essentiellement pour ses galeries blanches et leur spectaculaire revêtement d’aragonite et d’hydromagnésite – deux minéraux semblables à des cristaux – que la grotte est cataloguée comme patrimoine naturel de l’UNESCO.
Un phénomène unique au monde dans les Pyrénées-Orientales
Pour s’engouffrer dans cette galerie, il faut d’abord monter une échelle. Une fois en haut, nous traversons un canyon blanc, qui semble presque irréel. « C’est comme s’il avait neigé sous terre ! », lance Jean-Louis, qui ne se lasse pas de cette vue. La galerie est tapie d’une couche de cristaux blancs d’aragonite en forme d’aiguilles, auxquels se superposent des dépôts nodulaires d’hydromagnésie, semblable à des flocons de neige.
Après quelques mètres, on se retrouve au pied d’un petit monticule de roches éboulées, conséquence de l’effondrement de la galerie. À son sommet se trouve une grille métallique qui marque le début d’une zone protégée. Là-bas, les cristaux d’un blanc très pur s’étendent sur des kilomètres, un phénomène unique au monde.
Il est temps de faire demi-tour. Absorbés par la beauté de la grotte nous n’avons pas vu le temps passer. Il y a encore tant de galeries à découvrir au sein du réseau Lachambre. Jean-Louis pointe du doigt l’entrée d’un conduit, qu’il s’est promis d’explorer pour ses 100 ans. À nouveau plongés dans l’étroit boyau, nous sentons un courant d’air froid nous traverser, la sortie n’est pas loin. Après quatre heures passées dans la grotte, nous sommes heureux de revoir la lumière du jour. Arpenter les tréfonds de la terre n’est pas donné à tout le monde. Jean-Louis referme la lourde porte métallique derrière lui, l’expédition est terminée. Nous ne mesurons pas encore notre chance d’avoir pu découvrir une infime partie de cette grotte hors-norme.
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