Article mis à jour le 18 juin 2025 à 08:55
Au cœur du « vivre ensemble », les interventions en milieu scolaire du Centre LGBT+66 s’adressent aux élèves des Pyrénées-Orientales, à partir de la classe de 4ème. L’objectif est de lutter contre les discriminations et les violences subies par les personnes LGBTQIA+.
Cet article fait partie d’une série intitulée « Identités LGBTIQA+ », réalisée à l’occasion du mois des fiertés, et soutenue par la Dilcrah avec la collaboration précieuse du Centre LGBT+66.
L, G, B, T, Q, I, A….+ ? Toutes ces lettres renvoient à des réalités vieilles comme le monde
Guy Gaultier, président du Centre LGBT+66, explique la démarche des interventions en milieu scolaire. Dans les Pyrénées-Orientales, au cours de l’année scolaire qui s’achève, le Centre LGBT+66 a rencontré 2 000 jeunes.
Même si ces réalités sont anciennes, leur étude par les universitaires et leur appropriation, y compris par les personnes concernées, sont récentes. Elles sont étroitement conditionnées à la capacité de notre société à leur laisser une visibilité, un espace de vie, une légitimité, des droits… Il s’agit de nommer les situations pour combattre les maux de la haine. Mais comment définir toutes ces lettres sans catégoriser, essentialiser, enfermer, alors que nos identités plurielles sont tellement plus que des cases ?
Pour répondre à ce défi, nous intervenons auprès de collégiens et collégiennes, pour leur donner, non seulement des clés de compréhension, mais surtout pour échanger avec « des vraies personnes LGBTQIA+ ».
Dans les récits de vie de ces bénévoles, entrecoupés de commentaires d’élèves, j’entends des échos de ma propre histoire. La découverte de sa différence – jamais choisie, le manque de modèle à qui s’identifier, l’incompréhension, voire la honte et la peur -toujours- de cette différence, son acceptation personnelle, parfois longue, le besoin d’inventer de nouvelles identités ou de nouveaux mots, le coming-out familial et social avec ses rejets souvent, ses violences aussi… Mais surtout la plénitude lorsqu’on peut enfin être soi et aimer qui l’on veut !
Paroles d’élèves : « Je trouve intéressant de recevoir des gens et on se dit que ce sont des personnes comme les autres. »
« C’est très bien parce qu’on a des témoignages concrets et les réponses à toutes nos questions. »
Marie-Pierre, 69 ans
Marie-Pierre est l’un des piliers du Centre LGBT+66. Elle a mis en place les interventions en milieu scolaire pour l’association, il y a maintenant 7 ans.
Elle vient d’une époque où l’on ne parlait pas d’homosexualité, « on ne parlait d’ailleurs pas de sexualité du tout ». A l’adolescence, elle a « fait comme tout le monde », s’est trouvé un copain, s’est mariée et a eu un fils.
Pourtant, à 25 ans, elle est tombée amoureuse d’une femme. Cela a été une intense période de doute sur la conduite à tenir. Marie-Pierre ne voulait pas blesser sa famille. Mais elle a estimé qu’elle ne pourrait pas vivre en se mentant à elle-même, au risque de se détruire. « Alors j’ai laissé parler mon cœur » dit-elle. Elle a divorcé et s’est mise en couple avec sa compagne.
Son fils a plutôt bien accueilli la nouvelle. Vis-à-vis de l’école, il était admis socialement que « sa maman vivait avec une amie ». Il avait expliqué la situation à sa petite copine qui, faute de mot et avec une belle candeur lui avait répondu : « ah bon, ta maman c’est une ‘homelette’ alors ? ».
Paroles d’élèves : « C’est super bien d’avoir une intervention là-dessus car il y a des familles très fermées d’esprit. Et comme on est encore jeunes, nous ne savons pas forcément tout. »
« Je ne suis pas gay mais j’ai trouvé ça intéressant. »
« Vous avez beaucoup de courage pour être comme ça. Bravo ! »
Nicolas, 49 ans
Devant les élèves, je me présente simplement : « Je m’appelle Nicolas, j’ai 49 ans. Quand j’avais votre âge, au collège de Rivesaltes, je ne savais pas ce qu’était vraiment un homosexuel, un bisexuel, un hétérosexuel. »
Je n’avais aucun modèle, aucune personne dans mon entourage qui aurait pu m’éclairer. Je voyais les gens LGBT comme des marginaux « en cuirs » dans des lieux sombres et sales… avec le SIDA etc…Pour moi, c’était des gens dangereux … Pourtant dès l’école primaire, je sentais bien que j’étais attiré par certains camarades garçons. Comme j’étais aussi attiré par des filles, je ne comprenais pas pourquoi il fallait « choisir ». Mais très vite, j’ai compris que parler de ça était risqué. Les moqueries, les regards, les silences… Comment avoir confiance en moi, quand les seuls mots du dictionnaire qui me correspondaient : bisexuel, homosexuel ou pédé… étaient des insultes sociales.
Et puis je me suis choisi un « grand frère imaginaire », Cyril Collard auteur et réalisateur des « Nuits Fauves ». Je m’étais fait une promesse : « Cyril, tu es mort du Sida jeune. Moi, je vais vivre comme toi « à fond », mais je vais me protéger. Et on va vivre longtemps et bien ! ».
A l’époque, j’avais rédigé un poème intitulé Le Secret, que je peux réciter par cœur aux élèves aujourd’hui.
Je n’ai jamais avoué à personne, un secret que personne ne sait.
Des sentiments, des émotions qui sonnent mal ! Au milieu de la société.
Bien sûr, ce secret ne tient qu’à moi, vous n’êtes sûrement pas concernés.
Mais je veux que vous sachiez quand même, qu’il n’y a pas de différence à nos peines.
Qu’il y même parfois des gens qui m’attirent, avec qui je suis sûr de bâtir un empire.
Mais dans les yeux de certains regards, si je vous le dévoilais, cela paraîtrait bizarre… au milieu de la société.
Alors je préfère me cacher, ne pas vous dire la vérité, avouer que le noir est blanc, que le coupable est innocent.
Ce secret interdit, celui que je ne vous ai pas dit, fait naître en moi la revanche d’avoir un jour ma chance.
Mais d’ici là, vous admettrez que si un jour je vous le dis, ce secret n’aura plus d’intérêt.
Et je pourrai le mettre dans l’oubli…
Paroles d’élèves : « Je ne vois pas l’intérêt habituellement mais votre intervention m’a fait devenir tolérant. »
« Je trouve que prévenir c’est mieux que guérir. Il vaut mieux en parler et sensibiliser qu’essuyer des suicides ou des traumatismes. »
Laure, 57 ans
Je suis une femme trans qui a été assignée garçon à la naissance. J’ai changé de genre il y a quelques années. Devant les élèves, la question qui revient le plus souvent, et à laquelle je ne réponds pas, c’est « quel est votre ancien prénom ? ». Mais on peut tout à fait me demander si je suis opérée, comment on fait… J’explique les techniques. Et dès qu’il y a un silence, je leur demande, « qui pense que j’ai fait de la chirurgie esthétique ? ». Et c’est là qu’on rigole, parce qu’ils sont surpris d’apprendre que je n’en ai fait aucune. Mon visage, ma poitrine, c’est grâce aux hormones.
Ils me demandent aussi souvent si j’aime les hommes. J’explique que l’identité de genre et la sexualité sont deux choses différentes. Que j’aimais les femmes avant, comme aujourd’hui. Des jeunes filles viennent me demander si j’ai mes règles. Je dis que non, mais j’ai tous les symptômes, comme vous ! Une fois, j’ai eu un élève qui était complètement opposé à ce que j’étais. Il a foutu sa tête dans son sac pour ne pas me voir.
Paroles d’élèves : « Bah, je suis homophobe et ma famille aussi. »
« Les interventions de ce type ne servent à rien pour notre avenir, à part à nous retourner le cerveau à notre âge. »
« J’ai beaucoup aimé la diversité : une personne trans, une personne hétérosexuelle et une femme lesbienne. J’ai aussi aimé la diversité de leurs histoires, de leur entourage, et leurs réponses ouvertes. »
Christelle, 53 ans
Je suis hétérosexuelle cisgenre* mariée depuis 25 ans avec un homme, et j’ai deux filles. Quand la première nous a dit qu’elle préférait les filles, on ne s’y attendait pas, mais ça n’a rien changé pour nous. Au collège, mon autre fille n’était pas du tout dans la séduction, ne parlait jamais de garçons ou de filles. Quand elle a eu 25 ans, elle n’avait toujours pas ressenti de désir, elle en a conclu qu’elle était asexuelle.
J’aime penser qu’on vit dans une société capable d’aller au-delà des préférences sexuelles. On continue à me demander régulièrement pourquoi je suis à l’association en tant qu’hétérosexuelle. Et je réponds simplement que je suis une « alliée »**.
Paroles d’élèves : « J’ai beaucoup aimé la manière dont vous aimeriez changer le monde. »
« C’était vraiment inspirant et rassurant qu’on te dise que tu peux t’accepter sans avoir peur. »
Christophe, 64 ans
Je suis en couple avec un homme depuis plusieurs années. Quand j’étais jeune, je pensais qu’on ne pouvait pas être homosexuel et avoir des enfants. Dans le milieu gay où j’évoluais, ça n’existait pas. Et puis, quand j’ai eu 30 ans, j’ai découvert l’Association des Parents Gays et Lesbiens, à Toulouse. J’y ai rencontré des personnes qui sont devenues des amis, et qui voulaient devenir parents.
À ce moment-là, j’ai commencé à me questionner sur mon désir d’enfant, sur la situation d’un enfant avec un père gay. Après mûre réflexion, j’ai choisi de ne pas devenir papa. Mais c’était douloureux, c’était un choix par défaut. Je refusais une GPA pour des questions éthiques, idem pour les conditions d’adoption. J’aurais voulu élever un enfant en coparentalité avec une femme, mais ça ne s’est pas fait.
Un jour, j’ai eu un débat sur l’homoparentalité avec un universitaire. Je me suis rendu compte que je préférais miser sur mon couple, m’investir plus profondément, plus sereinement.
Paroles d’élèves : « Moi personnellement, je préfère les femmes. J’aurais préféré rester dans l’ignorance parce que, là, ça nous incite à être gay ou trans. »
« Je pense que ce genre d’interventions sont nécessaires pour sensibiliser les jeunes face aux inégalités, notamment pour ceux qui n’abordent pas le sujet chez eux. »
Nonny, 28 ans
Je suis une personne non binaire, c’est un terme parapluie pour toutes les personnes qui ne se sentent ni totalement dans le genre masculin, ni féminin.
Rien de ce que je fais n’a de genre. Par exemple, on pourrait dire qu’une petite fille joue à la poupée parce que c’est une fille, ou que cet homme bricole parce que c’est un homme. Mais je crois que c’est surtout la société qui donne un genre aux choses et aux comportements.
Quand j’interviens en milieu scolaire, je propose souvent aux élèves d’utiliser des mots neutres ou d’inventer de nouveaux mots inclusifs. Comme par exemple « monestre », dérivé de l’ancien français, qui est plus large que « monsieur » ou « madame ». Si vous connaissez une personne non-binaire, appelez-la « monestre ! »
Paroles d’élèves : « Pour moi une femme reste une femme et un homme de même. »
« C’est très intéressant, ça aide beaucoup les personnes qui sont différent(e)s et qui ont peur d’être jugées. Merci à vous. »
Eloane, 54 ans
J’ai grandi dans les années 80, où l’esthétique gothique-pop me permettait d’oser le maquillage pour mon apparence un peu androgyne. Mais ça ne m’a pas empêché de me faire harceler et agresser. Je me suis renfermé. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais probablement transgenre. J’ai toujours dit que dans ma prochaine vie je serai une femme. Mais j’avais tout de même des doutes sur cette histoire de réincarnation. Alors je n’ai pas voulu attendre la prochaine vie et j’ai entamé une transition.
Paroles d’élèves : « On normalise des choses, mais c’est pas normal les gens LGBT, c’est juste des déficients mentaux. »
« Je veux juste vous dire merci, de m’avoir fait apprendre ces choses. Je suis contente que vous ayez pu trouver le bonheur. »
Rose*** 43 ans
En Côte d’Ivoire il est très mal vu pour une femme de ne pas être mariée. Devant la pression sociale, j’avais un copain pour les apparences. Mais j’étais secrètement amoureuse d’une femme. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, la société la rejète l’homosexualité et notamment dans mon milieu catholique. Quand ma famille l’a appris, ils m’ont traitée de « malade » et de « démon ». J’ai reçu des menaces de mort. J’ai dû tout quitter alors que j’avais une bonne situation professionnelle. Quand je vois ces collégiens je leur dis qu’ils ont de la chance d’échanger avec des associations comme le Centre LGBT+66.
Paroles d’élèves : « C’est intéressant de comprendre qu’être LGBTQ+ est normal et que les personnes qui le sont ne sont pas des « erreurs de la nature ». Les personnes qui se moquent de ça, c’est eux les bizarres. »
« Ça m’a beaucoup aidé à comprendre comment vous avez vécu vos différences. Pour moi, ça me semblait bizarre qu’un garçon sorte avec un mec et l’inverse avec les filles. Mais, grâce à vous, j’ai tout compris. »
Zak, 52 ans
Je suis un homme transgenre, j’ai été assigné fille à la naissance. Je suis non-binaire. Si je viens faire des interventions en milieu scolaire, c’est parce que mon fils de 11 ans, en jouant en ligne ou à l’école, est confronté à des propos comme : « Si tu bouges, t’es un pédé ». C’est très discriminant. Cela m’a fait prendre conscience qu’il faut en parler avec les jeunes, les adolescents, échanger avec eux, et répondre à leurs questions.
On me demande comment mes enfants ont accepté ma transition. S’ils m’appellent papa ou maman, et des questions beaucoup plus intrusives auxquelles je n’ai pas forcément envie de répondre. Il faut aussi leur apprendre le respect de l’intimité.
Paroles d’élèves : « Je vous avais déjà eu en 3ème, dans mon collège, et à cette époque je n’avais pas beaucoup apprécié votre intervention. Mes camarades et moi avions eu l’impression de devoir vous ressembler. Aujourd’hui je trouve que votre intervention est nécessaire et très claire. Les envies et besoins sont différenciés selon chaque individu, et vos histoires sont poignantes. J’espère que la société avancera en vous offrant plus de liberté. Merci pour ce que vous avez partagé. »
*Cisgenre : Qui concerne une personne dont l’identité de genre correspond au sexe qui lui a été assigné à la naissance (par opposition à transgenre).
**Alliés : Un allié est, dans le jargon LGBT, généralement une personne hétérosexuelle et cisgenre qui soutient l’égalité des droits civiques et des genres, les mouvements sociaux LGBT.
*** Certains prénoms ont été modifiés.
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