Fin avril, l’association les Chasseurs de mythes est intervenue au sein de la rédaction de Made in Perpignan, dans le cadre d’un café-socio. Hugo et Simon, anciens étudiants de l’université de Perpignan et membres de l’association de médiation scientifique ont animé la conférence.
Ce soir-là, une vingtaine de personnes étaient réunies dans les locaux de Made in Perpignan, pour débattre, discuter, et échanger sur le thème : « Sommes-nous manipulés par les médias ? ». Un mythe qui perdure depuis un siècle et qui est encore fortement ancré dans nos sociétés. Fondé en mars 2025, le collectif a pour objectif de diffuser et promouvoir des connaissances scientifiques et des savoirs critiques au plus grand nombre.
Les chasseurs de mythes organisent un café-socio à Perpignan
Leur mission ? Balayer les idées reçues qui façonnent l’imaginaire collectif. « Certains mythes ou croyances peuvent exercer une influence négative, propager de fausses informations, attiser la peur et le repli sur soi. Ce sont ces mythes-là que nous souhaitons chasser, en prenant pour cible plus particulièrement ceux qui participent à la reproduction des inégalités et qui génèrent des discriminations », présente Hugo.
L’idée du café-socio, c’est de partir d’un ouvrage, d’un concept, d’un chercheur afin de jeter les bases d’un sujet de discussion sur les médias. « Il ne faut pas avoir peur de prendre la parole et de s’exprimer ! », lance le président de l’association, désireux de partager les savoirs et les connaissances acquises durant sa formation universitaire. Alors, les individus se laissent-ils manipuler par les médias ? C’est ce qu’on appelle le mythe de « l’omnipotence des médias », nous apprend Hugo. En clair, c’est l’idée que les médias exercent une influence sur nos opinions, un fort pouvoir de persuasion, et de manipulation.
Pour introduire le sujet, Hugo et Simon ont choisi de présenter l’auteur Paul Lazarsfeld. « Il est considéré comme l’un des pères fondateurs de la science politique. Il a, entre autres, écrit un ouvrage en 1944, qui s’intitule The People’s Choice« , souligne Hugo. Ce livre analyse les effets de la campagne présidentielle opposant Roosevelt à Willkie, dans les années 40.
« Paul Lazarsfeld était d’origine autrichienne, il s’est exilé dans les années 30 pour fuir le régime du Troisième Reich nazi. À son arrivée aux États-Unis, il a fondé une multinationale qui a employé des centaines de personnes dans la recherche scientifique. Il a notamment participé à populariser la technique récente des sondages », ajoute le sociologue.
Comment « tonton » s’empare des idées diffusées par les médias ?
Dans son ouvrage, le scientifique questionne les intentions de vote avant, pendant et après la campagne présidentielle. Et ce qui va retenir son attention, ce sont les personnes qui ont changé d’avis. « Les années 30, c’est une période où on croit fortement aux effets de la propagande sur les opinions. Hitler choisit par exemple de mettre en place un régime de propagande dans le cinéma, Mussolini, en Italie, essaye de l’imiter », énumère Hugo, qui se saisit d’un deuxième livre intitulé Propaganda, écrit par Edward Bernays en 1928.
« Il y explique comment manipuler l’opinion publique », raconte Hugo. La propagande n’est pas l’exclusivité des régimes totalitaires », prévient le chasseur de mythes. « Edward Bernays a écrit sur la fabrique du consentement. Une technique très utilisée dans le marketing et la publicité. Il est connu pour avoir incité les femmes à fumer. »
Simon se saisit du micro afin de présenter les résultats de la thèse de Lazarsfeld. « Le revenu, la religion, l’entourage sont vraiment des variables lourdes dans le choix du vote. Les individus se font une opinion bien avant la campagne ! À partir des statistiques sur l’élection de Trump, on voit qu’il y a des corrélations entre l’appartenance religieuse et le vote démocrate et républicain », observe le jeune homme.
Pour les chasseurs de mythes, il est important de ne pas tomber dans « la facilité ». Avant même de voter, les individus ont déjà une prédisposition pour tel ou tel candidat, en fonction de leur parcours, de leur famille, de leur situation financière. « Les individus politisés, considérés comme compétents par leur entourage, vont jouer un rôle de filtrage. » Un rire s’élève de l’assemblée : « Comme le fameux tonton au repas de Noël ? », lance une spectatrice. Hugo et Simon acquiescent. Les influenceurs ou les éditorialistes jouent aussi ce rôle, « ils captent les informations diffusées par les médias de masse tels que CNews ou BFMTV et les retransmettent. »
« Les médias ont un rôle de catalyseur sur des opinions déjà préexistantes »
« Quel était l’écosystème des médias à l’époque de Lazarsfeld ? », interroge une personne dans la petite assemblée. « C’est le début de ce qu’on appelait les médias de masse. Les gens s’informaient via le journal et la radio, il n’y avait pas encore la télévision. On constate à ce moment-là que les médias ont un rôle de catalyseur sur des opinions préexistantes. On peut le voir aussi avec les réseaux sociaux aujourd’hui, on parle alors de polarisation des opinions », affirme Simon.
« On voit bien ce que certains médias mettent à l’agenda pour cacher des sujets qui préoccuperaient bien plus la population… C’est une stratégie de distraction qui est assez visible aujourd’hui », intervient un spectateur. « Le fait divers, ça clive, ça fait parler, ça fait des commentaires et ça permet de jouer sur l’algorithme », intervient Maïté Torres, rédactrice en chef de Made in Perpignan. Mais alors, est-ce que le média donne à l’opinion ce qu’elle a envie de lire ? Ou est-ce l’inverse ? « En sociologie, on appelle cela un fait diversion. Le fait divers porte bien son nom, il est là pour faire diversion », nous répond simplement Simon.
Hugo nous invite à réfléchir sur la thèse des effets limités des médias et des leaders d’opinion. Et à comment cette thèse s’applique aujourd’hui. « Notre objectif à nous, foncièrement, c’est d’informer. On ne veut pas convaincre, mais donner les clés », entame Maïté.
« Vous cherchez une vérité, mais on voit bien aujourd’hui que les faits n’aboutissent pas forcément à cette quête », lui répond un spectateur dans la salle. Pour un autre auditeur, le rôle des médias n’est pas tellement de présenter des faits mais de faire évoluer des opinions.
Les médias sont-ils vraiment neutres ?
Le débat glisse doucement vers la neutralité des médias. Pour la plupart des spectateurs présents dans la salle, cette notion n’existe pas. Les lecteurs croient cependant au traitement neutre et impartial des faits.
Une jeune femme prend la parole dans l’assemblée : « Frontières est un magazine d’extrême droite, financé avec des dons. Sa publicité est largement diffusée à Paris, via des affiches en kiosque, par exemple. Quand on voit de plus en plus ce genre d’opinion sur la voie publique, est-ce qu’on n’est pas quand même influencés inconsciemment ? », s’interroge-t-elle. « J’ai tendance à penser que les médias ont un impact sur notre système de valeurs et notre perception du monde. »
« C’est exactement ce qu’il s’est passé en préambule du Brexit, tous les médias portés par Steve Bannon à l’époque ont travaillé dans ce sens. Et ça a eu comme effet un renversement de tendance », lui répond un auditeur. Il est vrai qu’influencer un petit nombre de personnes bien ciblées peut parfois faire pencher la balance.
« C’est vrai, je l’ai vu sur TikTok »
Les chasseurs de mythes évoquent l’usage des réseaux sociaux durant les campagnes présidentielles de Trump. « Sans Twitter, je ne serais probablement pas là. J’ai près de 100 millions de personnes qui me suivent sur Twitter, Facebook, Instagram. J’ai mon propre média. Je n’ai pas besoin de m’en remettre aux faux médias », avait déclaré Donald Trump, en 2017. Accusant pêle-mêle, CNN, NBC, CBS ou encore ABC d’être des médias « malhonnêtes. » Plus récemment, l’élection en Roumanie a fait débat avec le candidat TikTok Calin Georgescu. Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux que semblent se dessiner les choix politiques.
« J’ai l’impression que tout est beaucoup plus complexe aujourd’hui et que quand vous extrayez un fait, il vous en manquera toujours un. Si on voulait mettre tous les faits d’un événement sur un article, il faudrait en faire un livre », déplore un spectateur. « N’empêche que la société a besoin de sens et nous ne reviendrons jamais à l’époque, où mon grand-père disait ‘c’est vrai je l’ai lu dans le journal !' », conclut-il. Aujourd’hui, on dirait plutôt : « c’est vrai je l’ai vu sur TikTok. »
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