Article mis à jour le 31 octobre 2025 à 09:17
Elle descend de la montagne, en canal. En Capcir, Cerdagne et Conflent, l’eau circule à travers les villages le long d’ouvrages historiques. Ils sont parfois si escarpés que leur conception tient du génie. 100 à 200 canaux connectent les communes du Parc naturel régional des Pyrénées catalanes (PNRPC). Avec la sortie prochaine du livre « La montagne irriguée », le parc ravive la mémoire d’un patrimoine vital. Un projet qui évoque une histoire du partage, pas toujours simple, à l’heure où la question de l’eau revient au coeur des préoccupations. Photo d’ouverture © Alain Tendero
Marie-Ange Lasmènes, docteure en ethnologie, et Alain Tendero, photographe, ont été missionnés par le parc pour concevoir le livre. Christelle Frau, chargée de mission patrimoine au PNRPC, nous explique l’importance de ses ouvrages si discrets qu’ils en sont souvent oubliés.
« L’idée du livre est venue quand un président d’ASA (NDLR : Association Syndicale Agréée) nous a demandé de venir voir une partie du canal de Sahorre, en pierre sèche, qui s’était effondrée. » Ce seul canal court sur 8 km. « Rien que le fait de le construire à cet endroit est incroyable, il passe dans des endroits tellement vertigineux. »
Les ASA, composées de bénévoles ou salariés selon les endroits, gèrent l’entretien des canaux. Si l’eau est gratuite, cet entretien est facturé aux irrigants. Pour les particuliers, cela ne revient en général qu’à quelques dizaines d’euros par an.
Christelle Frau explore alors l’univers d’une mémoire menacée. Les bénévoles questionnent une relève quasi inexistante, et des moyens financiers toujours plus ardus à trouver pour les réparations. Les auteurs du livre entament une tournée où ils donnent la parole aux présidents d’ASA, agriculteurs et autres montagnards qui travaillent au quotidien sur ces canaux.
« Du jour au lendemain, l’eau peut s’arrêter »
« Entre-temps il y a eu la sécheresse avec beaucoup de tensions sur les sujets des canaux d’irrigation. » Faut-il en maintenir l’usage face aux débits réservés des rivières et à la concurrence des forages ? Faut-il toujours les étanchéifier ou bien considérer que leurs fuites sont utiles à la biodiversité ? Ces canaux pourraient se révéler précieux dans un territoire où les ressources se raréfient, sans compter qu’ils permettent de lutter contre les incendies, abreuvent les animaux sauvages ou créent des zones humides avec des arbres qui freinent l’érosion.
« Je ne m’attendais pas à une telle fragilité des canaux » confie Christelle Frau. « Du jour au lendemain, l’eau peut s’arrêter. Il suffit de cailloux qui tombent pour que le canal soit coupé. »
Sans les bénévoles qui entretiennent, et des réparations parfois via hélicoptère sur les tronçons inaccessibles, les canaux disparaîtront. Beaucoup se dégradent déjà, ou sont à sec fautes d’irrigants. C’est un monde ancien qui change. Des villages concernés, comme Py, sont passés de 700 à 70 habitants, des secteurs agricoles ont laissé la place aux lotissements et au secondaire touristique. Le principe des « tours d’eau » fléchés en mairie, qui permettent, avec le jeu de vannes, de répartir la ressource, s’est souvent perdu.
Le gravitaire, cette intelligence du relief qu’avaient nos anciens
Une partie de ces canaux remontent au Moyen-Âge, avec des premières traces à Vernet-les-Bains en 863. L’autre remonte à la fin du XIXe siècle. Ils sont les témoins d’une intelligence du relief avec un gravitaire à degré constant.
« C’est une pente régulière, l’eau ne prend jamais de vitesse » admire Christelle Frau. Pierre sèche, béton à la longévité limitée, tôle avec une meilleure durée de vie, passages busés, simple tranchée dans la terre… les formes changent sur un même canal au fil des réparations.
Certains, suivis par un sentier, sont l’occasion de balades. Christelle Frau recommande le canal d’Eyne, en forêt, ou celui de Canaveilles, plus vertigineux.
Avant d’être en librairie, l’ouvrage « La montagne irriguée » fait l’objet d’une prévente auprès du PNRPC. On y retrouvera histoire, techniques gravitaires, anecdotes et batailles de partage. Mais aussi ce lien social, à l’image de ces nettoyages annuels qui mobilisaient tout un village. Les canaux, comme les veines d’un territoire pas si reculé.
Objectif 2026 ? Plus d’enquêtes … Faites un don pour permettre à une presse libre d’exister, et d’enquêter sur les dossiers sensibles des Pyrénées-Orientales !
Rassurez-vous, la rédaction de Made In Perpignan ne change pas subitement de cap. Nous continuerons toujours de défendre une information de proximité en accès libre. Désormais, notre équipe souhaite vous proposer plus d’investigation, un genre journalistique le plus souvent absent dans les médias locaux.
Parce qu’enquêter sur les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales a un coût, soutenez-nous !
- « Il est obligé de plagier » : un administrateur Wikipédia des Pyrénées-Orientales décrypte le « Grokipedia » d’Elon Musk - 31 octobre 2025
- La montagne irriguée : un livre sur nos canaux d’altitude, patrimoine menacé des Pyrénées catalanes - 30 octobre 2025
- « Docteurs juniors » et « médecins solidaires » : un retour de généralistes dans les Pyrénées-Orientales ? - 29 octobre 2025
