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« Au final, c’est l’IA qui finit par faire cours ? » : À Perpignan, ChatGPT révolutionne le quotidien des enseignants

"Au final, c'est l'IA qui finit par faire cours ?" : À Perpignan, Chat GPT révolutionne le quotidien des enseignants

Depuis son lancement en 2022, ChatGPT (OpenAI) bouscule les codes de l’enseignement. D’abord massivement utilisé par les lycéens et collégiens, les enseignants ont vite suivi la tendance. Questionnaires, barèmes de notation et leçons… le corps professoral s’est emparé de ChatGPT, devenu un outil pédagogique à part entière.

Dans les Pyrénées-Orientales, Marine* et Fabien, professeurs d’anglais et d’informatique, nous racontent leur usage de l’IA (Intelligence artificielle).

L’assistant ChatGPT comme prof particulier

Depuis quatre ans, Fabien enseigne l’informatique au lycée Maillol de Perpignan. Cet ancien professeur de physique-chimie a toujours eu un attrait pour les nouvelles technologies. « Je faisais beaucoup de programmation à titre personnel », nous explique-t-il. Lorsque sa discipline est devenue une spécialité, Fabien a entamé plusieurs formations pour devenir professeur de NSI (Numérique et sciences informatiques). 

L’enseignant sollicite quotidiennement ChatGPT et pousse également ses élèves à l’utiliser. Notamment pour du mentorat : « c’est comme un professeur à domicile à qui ils peuvent demander des conseils sur la méthodologie », assure Fabien. « Si vous n’avez pas compris une consigne en classe, il est possible de demander à ChatGPT de la reformuler. »

Seulement voilà, si les lycéens ont le droit de mobiliser ChatGPT pour leur travail à la maison, certains n’hésitent pas à tricher et rendre à leur professeur un texte produit de A à Z par l’intelligence artificielle. Bien plus qu’une béquille, l’assistant fait alors tout le travail à la place de l’élève. « Le risque est qu’ils obtiennent un résultat qu’ils ne comprennent pas », déplore Fabien. Face à ce constat, les enseignants adaptent leurs corrections. Aujourd’hui, le nombre de devoirs à la maison notés est en baisse. « On demande surtout à nos élèves de revoir leurs cours. Les exercices et les contrôles se font exclusivement en classe », assure-t-il.

La fin des devoirs à la maison ?

Originaire de Perpignan, Marine est jeune enseignante stagiaire dans un collège en région parisienne. Selon elle, les élèves commencent à se familiariser avec ChatGPT dès la cinquième. « Les IA écrivent avec des mots de grands », sourit l’enseignante, qui a démasqué de nombreux tricheurs en herbe. « En début d’année, je leur ai donné une production écrite à faire à la maison. Ils ont tapé la consigne sur ChatGPT qui a fait le devoir avec un vocabulaire presque universitaire. Ils étaient incapables de m’expliquer la signification des mots qu’ils avaient employés, ils n’avaient même pas cherché la traduction », déplore Marine. 

Screen ChatGPT © Levart photographer unsplash
Screen ChatGPT © Levart photographer / Unsplash

Depuis ce jour, elle ne demande plus aucune production écrite à la maison. Une poignée d’élève en a fait les frais et le constat est accablant. Notés uniquement sur leurs devoirs réalisés en classe, certains sont passés de 17 à 8 de moyenne. Mais comment repérer un écrit généré par l’IA ? « C‘est malheureux à dire, mais le premier indice est qu’il n’y a pas de faute d’orthographe », relève Fabien. Une copie sans faute, des réponses impersonnelles, une structure qui diffère et un vocabulaire parfois « trop » parfait. Autant de signes qui ne trompent pas selon l’enseignant. 

« Si l’élève ne précise pas le niveau attendu, l’IA va produire un rendu qui n’est pas adapté », indique Fabien, qui se rappelle avoir corrigé la copie d’un lycéen mobilisant des termes de niveau BAC+3. ChatGPT fait aussi des références culturelles dans ses productions écrites. « Mes cinquièmes citent des évènements historiques qui ne sont même pas au programme, comme les suffragettes », mentionne Marine.

ChatGPT comme bouée de sauvetage

Dans le collège où enseigne Marine, les parents d’élèves restent très axés sur les résultats scolaires. « Tant que leur enfant a de bonnes notes, ils se moquent qu’il utilise ChatGPT ou non », regrette-t-elle. D’autant plus qu’il est difficile de prouver qu’un élève a triché avec l’aide de l’IA. « Avant, ils piochaient tout sur Internet. Dès la première phrase de leur devoir, on tombait sur l’article qu’ils avaient plagié. C’était plus simple à repérer », assure Marine. Pour l’enseignante, les collégiens ne sont pas assez matures pour utiliser ChatGPT. « Ils ne font pas le devoir pour eux, mais pour la note. »

Les enseignants pointent aussi du doigt l’usage des téléphones portables, des montres connectées ou des écouteurs en classe. « On peut recourir à l’IA par tous les moyens possibles, plus personne ne copie sur son voisin. » Le professeur d’informatique estime que 100% de sa classe utilise ChatGPT, notamment pour se faire expliquer un texte. « Au final, c’est une recherche Google avec un côté plus interactif », nuance-t-il.

Pour Fabien, l’intelligence artificielle est un véritable atout si elle est utilisée à bon escient. « J’ai un élève atteint d’un trouble autistique qui l’utilise à chaque fois qu’il a une question », nous confie l’enseignant. À l’image d’une bouée de sauvetage, ChatGPT est une nouvelle ressource vers laquelle se tourner pour obtenir du soutien. 

« J’ai des collègues qui utilisent ChatGPT pour tout ! »

Fabien pousse ses élèves à utiliser l’intelligence artificielle de manière raisonnée et forme aussi ses collègues sur le sujet. En tant que référent numérique, il a déjà organisé deux formations sur le lycée Maillol. « Le but de ces ateliers est de montrer aux enseignants comment reconnaître une production générée par l’IA, et comment utiliser l’outil pour gagner du temps », avance-t-il. Parmi les volontaires, une quarantaine de professeurs ont déjà participé aux ateliers. Pour lui, l’usage de ChatGPT représente un gain de temps énorme.

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Screen ChatGPT © Rolf Van Root / Unsplash

Au quotidien, Fabien et ses collègues génèrent par exemple des énoncés d’exercices via la plateforme. « Cela nous permet d’avoir un premier jet, des idées qu’on n’aurait pas forcément eues. » Fabien y voit aussi l’occasion de proposer des exercices adaptés au rythme de chacun. « Si un élève se trompe sur une question en particulier, l’exercice suivant portera sur le thème où il a eu faux. Ainsi, on pourrait avoir des exercices personnalisés tout au long de la séance. »

À terme, il envisage même d’entraîner une IA destinée au corps professoral. Marine ne l’entend pas de cette oreille : « j’ai des collègues qui utilisent ChatGPT pour tout ! Quand un élève pose une question, on lui répond ‘attend, on va demander à ChatGPT’. Au final, c’est l’IA qui finit par faire cours ? », s’interroge la jeune femme.

L’IA se démocratise au sein du corps professoral

Il y a encore trois ou quatre mois, Marine était contre l’utilisation de ChatGPT. Finalement, elle ne l’avait jamais vraiment utilisé, reconnaît-elle. « C’est mon compagnon, lui-même enseignant, qui m’a formée. » Si son usage de ChatGPT reste très restreint, l’enseignante sollicite l’IA pour synthétiser ses leçons, obtenir une mise en page plus agréable ou pour l’aider à mettre en place un barème de notation…

Les bulletins scolaires n’échappent pas non plus à l’intelligence artificielle. Au moment d’écrire les appréciations tant redoutées, Marine pèse chacun de ses mots. « Je me sers parfois de ChatGPT pour nuancer mes propos. » Difficile pour l’enseignante d’écrire noir sur blanc qu’un élève est insolent, elle préférera la formule de ChatGPT lui suggérant « qu’il devrait adopter un comportement plus mesuré en classe. » « Ce sont des questions que je pourrais poser à mes collègues en salle des profs, pour qu’ils me donnent leur point de vue. »

Comment l’Éducation nationale encadre-t-elle l’usage de l’IA ?

Aujourd’hui, la seule limite imposée, c’est la réglementation générale de la protection des données. En clair, il ne faut pas que les données personnelles des élèves puissent fuiter. En effet, n’importe qui pourrait mettre la main sur vos bulletins scolaires en tapant simplement votre nom. « Il faut que tout soit anonymisé au maximum », prévient Fabien, supposant qu’à l’avenir, les bulletins de notes pourraient être générés par l’IA.

Selon le Ministère de l’Éducation nationale, un appel à projets, financé à hauteur de 20 millions d’euros par France 2030, sera lancé pour développer une IA à destination des enseignants. Disponible dès l’année scolaire 2026-2027, cet outil permettra de soutenir les enseignants dans leurs activités telles que la préparation des cours ou l’évaluation des élèves, peut-on lire sur le site du gouvernement.

*prénom d’emprunt

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