Aller au contenu

« C’est violent pour moi d’entendre tout ça » : À Perpignan, un débat sur les violences sexistes et sexuelles au travail

« C’est violent pour moi d’entendre tout ça » : À Perpignan, un débat sur les violences sexistes et sexuelles au travail

Ce mercredi 14 mai 2025, l’association Idem Question de genre organisait une conférence sur les violences sexistes et sexuelles, à Perpignan. Aux côtés de Françoise Birkui, présidente de l’association, Marilyn Baldeck, spécialiste des droits des femmes au travail, animait la soirée.

Dans la petite salle de la Ligue de l’enseignement, une vingtaine de personnes était réunie, dont trois hommes, pour débattre sur ces questions essentielles. Article écrit en collaboration avec Juliette Verlin. © Photo d’illustration.

De New York à Paris, ces femmes victimes de violences sexuelles ont ouvert la voie

Marilyn Baldeck travaille depuis cinq ans sur l’intersection entre la question des violences sexuelles et le travail. Deux sujets « qui passionnent » la spécialiste. Lors de l’affaire Strauss-Kahn, en 2011, à New York, les médias français s’emparent de façon inédite d’une situation de violence sexiste et sexuelle au travail. À l’époque, Marilyn Baldeck accompagne, en tant que juriste, une femme de chambre d’un grand hôtel parisien de la place Vendôme. Étonnante coïncidence, la victime, d’origine libyenne, porte également le nom de Diallo. Autre point de convergence, l’auteur des violences n’est pas n’importe quel client de l’hôtel puisqu’il jouit d’une certaine influence, « il faisait partie de la délégation de l’émir du Qatar », révèle la spécialiste.

« L’hôtel a voulu préserver son client et a organisé sa fuite en l’informant qu’il y avait une plainte qui allait être déposée. Évidemment, il est rentré au Qatar et on ne lui a jamais remis la main dessus. » Mais pourquoi Marilyn Baldeck nous raconte cette histoire ? « Quand on parle de violence sexuelle, le premier réflexe, c’est de porter plainte. S’il y a un super alignement des planètes, la victime va tomber sur quelqu’un de bien, qui va faire une bonne enquête, qui va atterrir sur le bureau d’un procureur intéressé par la question, un miracle ! », lance, avec une pointe d’ironie, la spécialiste.

Qu’en est-il de la responsabilité de l’employeur, qui doit organiser des conditions de travail exemptes de tout risque pour la santé physique et mentale des travailleurs ? « Les violences sexistes ou le harcèlement sexuel n’étaient pas pensés comme un risque », déplore-t-elle. Elle pointe du doigt le lien étroit qui relie pornographie, prostitution et lutte contre les violences faites aux femmes, plus particulièrement dans le cadre du travail, en évoquant une autre affaire.

Une histoire comme des milliers d’autres

C’est l’histoire d’une agricultrice à la tête d’une exploitation avec son mari. Une année, le couple perd toutes ses récoltes. « Elle a dû aller travailler en dehors de l’exploitation pour joindre les deux bouts », raconte la spécialiste. « Elle a trouvé un boulot où elle était la conductrice d’un chef d’entreprise malvoyant. C’était quelqu’un qui se déplaçait énormément dans tout le sud de la France, donc il y avait des nuités d’hôtels. Petit à petit, il lui a fait un chantage sexuel terrible. Il a grignoté toutes ses résistances. Elle a fini par capituler totalement, craignant de se retrouver vraiment dans de très grandes difficultés sur le plan économique. »

La victime finit par porter plainte pour viol, puisqu’elle a été soumise à des pénétrations sexuelles non désirées dans ce contexte. « Il y a eu une ordonnance de non-lieu. Selon la juge d’instruction, si l’on poursuit l’employeur pour viol commis sous la contrainte économique, alors il faudrait poursuivre tous les clients des prostituées ! » Selon une étude de l’INSEE, on estime que 5% des viols commis en France sont commis au travail.

« Je suis certaine qu’on peut attribuer des échecs judiciaires de femmes victimes de violences sexuelles, dans le cadre du travail, à une pensée réglementariste. Et d’ailleurs, depuis, le code pénal a été modifié pour préciser que la contrainte n’était pas seulement physique. Autrement dit, elle peut être économique. »

Chez les hommes, un long chemin reste encore à parcourir

« J’ai une question » : Dans la salle, Robert, 51 ans, lève la main. « Cette femme a dit non, mais elle n’a pas été entendue. Comment peut-on en arriver là ? Ça m’est arrivé de dire non. Et je suis entendu ». La question, naïve pour le groupe de féministes convaincues qui compose l’écrasante majorité de l’audience, a le mérite d’être posée par un homme qui a conscience de partir de très loin.

« Ce qui est intéressant, c’est que tu penses ‘comment elle en est arrivée là.’ Alors qu’il faudrait dire ‘comment il en est arrivé là’ « , nuance une femme au premier rang.

Au tour de Marilyn Baldeck de lui répondre : « L’exercice du pouvoir peut faire faire des choses à certains individus contre leurs propres intérêts. Si on ne part pas de cette réalité-là, on passe à côté de plein de choses. » Les violences sexuelles, c’est aussi une affaire de conditionnement mental. D’autant plus que les femmes sont davantage socialisées à l’obéissance depuis l’enfance.

Songeur, Robert avoue n’avoir pas complètement intégré la réalité des pressions subies par les femmes au quotidien, puisqu’il estime ne s’être pas suffisamment confronté à ces problématiques dans sa vie. « C’est violent pour moi d’entendre tout ça ». Il est en revanche persuadé qu’il va pouvoir partager ce qu’il aura appris ce soir-là auprès de ses amis. « Quand c’est un homme qui parle à un homme, peut-être que … » commence-t-il, hésitant. « Ce qui est sûr, c’est que plus nombreux on sera derrière cette cause, plus le combat sera aisé ».

Le combat législatif pour faire reconnaître le harcèlement sexuel

Marilyn Baldeck évoque ensuite la question du harcèlement sexuel et notamment son évolution sur le plan juridique. Pour rappel, la France est le premier pays au monde à s’être doté d’une loi contre le harcèlement sexuel au travail. En 1992, la loi est votée dans une grande adversité. « À l’époque, la définition du harcèlement sexuel n’était plus du tout la même. On avait une définition qui rendait quasiment impossible les sanctions, puisqu’il fallait que le harceleur ait usé d’un certain nombre de modes opératoires, qu’il ait été violent ou qu’il ait été menaçant, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. »

Au cours des décennies, le texte sera modifié à maintes reprises. Selon Marilyn Baldeck, aucune autre infraction pénale n’a observé autant de modifications. La loi sera même abrogée par le Conseil constitutionnel, le 4 mai 2012, soulevant l’indignation de la gauche et de la droite. Les juges justifient leur décision par le fait qu’un délit, qui n’est pas précisément défini, n’entre pas dans la norme de l’État de droit. Les plaintes pour harcèlement sexuel, en cours de procédure, risquent alors de tomber sous le coup du vide juridique. Rétablir cette loi sera le premier acte législatif du quinquennat de François Hollande.

Désormais, les propos et les comportements à connotation sexuelle suffisent, lorsqu’ils sont prouvés, à caractériser l’infraction. Autre nouveauté, le harcèlement sexuel peut être de nature environnemental. La spécialiste évoque l’histoire d’une journaliste, seule femme dans une rédaction d’hommes, qui multipliaient les blagues et remarques sexistes sur la gent féminine, et ornaient leurs fonds d’écran d’images pornographiques.

Si elle n’était pas attaquée directement, l’ambiance profondément machiste et irrespectueuse l’a bouleversée, et a résisté à ses nombreuses tentatives de dialogue. La justice a tranché en sa faveur. « Le fait d’être plongé dans une ambiance qui nous fait du mal, qui dégrade nos conditions du travail suffit à caractériser le harcèlement sexuel. »

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances