Article mis à jour le 5 avril 2024 à 18:32
Mardi 2 avril 2024, l’ancien procureur de Paris, François Molins, était en visite à Perpignan pour la présentation de son livre « Au nom du peuple français ». Entouré de ses anciens camarades de faculté, l’enfant du pays souvent qualifié de « super-proc », a fait salle comble. Focus sur le parcours d’un homme aux mille vies.
Natif de Banyuls-del-Aspres, François Molins a été procureur général de la Cour de cassation et directeur de cabinet pour deux gardes des sceaux. Après 46 années consacrées au parquet, cette figure de la magistrature n’a jamais regretté son choix de carrière. Retraité depuis juin 2023, François Molins l’affirme, il ne fait pas partie de ceux « qui écrivent pour consigner ce qu’ils ont vécu après une dure journée de travail ». Pourtant, au lendemain des attentats terroristes de 2015, de nombreuses maisons d’édition sollicitent le procureur. Puis, il se décide enfin à franchir le cap et rédige durant quatre années. Paru aux éditions Flammarion, « Au nom du peuple français » est écrit en collaboration avec la journaliste Chloé Triomphe.
« Dans notre travail, nous sommes en permanence confrontés à l’humain »
Pour le magistrat du parquet, pas question de se laisser submerger par l’émotion. « Dans notre travail, nous sommes en permanence confrontés à l’humain. Nos émotions, il faut savoir les accepter, mais aussi les maîtriser. » Pour cela, chacun a sa petite recette. Sur une scène de crime, François Molins explique qu’il a toujours un moment de recueillement. L’enjeu est de maîtriser cette émotion et de revenir à un exercice professionnel, avec toute la rigueur nécessaire. « Il faut être capable de prendre la bonne décision. »
« Quand on est procureur, on est habitué à voir des horreurs. Comme les policiers et les gendarmes, nous nous rendons sur les scènes de crime. Mais nous ne sommes jamais préparés, ni habitués, à voir la salle de rédaction de Charlie Hebdo, les 90 victimes du Bataclan, et tous ces morts sur les terrasses des cafés parisiens. »
À l’époque de ces attentats « hors-normes », la compétence terroriste appartenait encore au parquet de Paris. « C’est nous qui avons mené l’enquête pendant 15 jours. Sur chacun des dossiers Charlie Hebdo, Hyper Cacher, et Vendredi 13, entre 800 et 1000 officiers de police judiciaire ont travaillé en même temps. C’est quelque chose d’absolument phénoménal ! » Cette cellule fonctionnait 24h sur 24.
« Lorsque les terroristes étaient dans la nature, -Salah Abdeslam se cachait en Belgique- on traversait une dimension psychologique extrêmement anxiogène. En réalité, vous courez derrière des gens, vous ne savez pas où ils se trouvent, mais vous savez qu’il faut absolument les arrêter avant qu’ils ne commettent d’autres attentats. »
Les réalités du métier de procureur
« Le livre porte aussi sur des affaires avérées, jugées, et qui ont souvent donné lieu à de fortes médiatisations », avertit l’auteur. Bygmalion, Cahuzac, Dupond-Moretti… ces procès aux noms retentissants, le magistrat du parquet les a suivis de très près. « J‘ai toujours refusé d’écrire quoi que ce soit lorsque j’étais en fonction, je trouve que ça n’aurait pas été convenable, au regard des obligations auxquelles j’étais soumis. »
Depuis 11 ans, le pouvoir politique n’a plus le droit de donner des instructions aux procureurs dans les affaires individuelles. « Un gros progrès qui nous retire une pression énorme », confie François Molins. Si aujourd’hui, les procureurs travaillent plus librement, François Molins a vécu une époque où les parquets n’étaient pas indépendants du politique. « Les politiques ont peut être parfois le tord, quelque soit leur bord, d’imaginer que l’on est pas légitime de s’intéresser à eux. Ils ont une façon de considérer qu’ils devraient être au dessus des lois. »
En presque 50 ans de carrière, François Molins a vu la justice se précariser. « Nous n’avons eu de cesse « de charger la barque » et de donner aux procureurs toujours plus de tâches à accomplir, sans avoir les moyens de le faire. En réalité, nous avons une vision beaucoup trop légiscentrée des choses, on fait des lois, mais on ne s’intéresse pas aux conditions nécessaires à leur mise en oeuvre », dénonce l’ex-procureur. En attendant, les délais de réponses aux justiciables se dégradent, ils ont même doublé dans le civil.
« Je me suis fait éreinter »
Parmi les nombreux combats portés par François Molins, il y a le lancement du dispositif Téléphone grand danger. Il s’agit d’un téléphone portable qui dispose d’une touche dédiée, permettant à une victime de violences conjugales de joindre une assistance 7j/7 et 24h/24. Au besoin, la victime peut déclencher l’alerte et les forces de l’ordre la géolocaliser..
« Ce téléphone grand danger, c’est une longue histoire », entame François Molins, sourire aux lèvres. L’ancien procureur de la République de Paris se remémore ce jour où il fut déstabilisé par les militantes féministes.
« Je ne sais pas si certains d’entre vous connaissent le grand amphithéâtre de la Sorbonne. C’est impressionnant, il y a plus de 800 personnes sur trois étages. J’étais entouré de femmes qui étaient toutes des féministes. Donc autant vous dire qu’en défendant la médiation pénale en matière conjugale, je me suis fait éreinter », plaisante-t-il.
Face à cette redoutable assemblée, François Molins avoue avoir quelque peut perdu son sang-froid. « Il y a des questions qui m’ont complètement déstabilisé. J’ai beaucoup réfléchi à ce que j’avais dit, et à ce que j’avais entendu. J’ai fait un virage à 180 degrés ! », lâche-t-il. « La médiation pénale, c’est bien, entre des personnes qui sont sur des terrains de relative égalité. Le problème des violences conjugales, c’est qu’il y a une emprise de celui qui exerce les violences. »
Les grands combats du procureur Molins
Deux ans plus tard, François Molins est nommé au parquet de Bobigny. La médiation pénale est alors interdite. Ernestine Ronai, fondatrice de l’Observatoire des violences envers les femmes, fait une proposition au procureur : lancer le téléphone grand danger. Trois ans plus tard, le téléphone est inauguré en 2009 et le dispositif inscrit dans la loi.
Aujourd’hui, François Molins enseigne et travaille bénévolement pour l’association Parlons Démocratie. Un collectif qui regroupe des dizaines d’anciens magistrats. « On tourne dans les établissements scolaires pour expliquer aux jeunes les institutions de la République et développer le sens civique des lycéens. »
Un brin provocateur, François Molins souhaite, avec l’écriture de ce livre, faire connaitre le métier de procureur. « La justice est rendue au nom du peuple français et c’est pour cela qu’il fallait rendre compte de ce que j’avais fait. » Ce livre est aussi une façon de rappeler la légitimité de la justice.