« Rebel in red » est la teinte de rouge à lèvres qui symbolise ma libération. C’est l’objet qui a précipité la rupture avec ma famille et m’a permis d’accepter celui que je suis aujourd’hui. J’ai 21 ans, je suis gay et mon nom d’artiste drag est Ouragance.
Cet article fait partie d’une série intitulée « Identités LGBTIQA+ », réalisée à l’occasion du mois des fiertés, et soutenue par la Dilcrah avec la collaboration précieuse du Centre LGBT+66.
« Je crois que je suis gay »
Un vendredi 13, alors que j’avais 14 ans, je suis sorti de mon cours de sport et j’ai dit à mes amis « je crois que je suis gay ». Il était dix heures du matin, en pleine récréation. La rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre dans toute la cour du collège, et en quelques minutes, une centaine d’élèves m’entourait en me demandant si c’était vrai. Je me rappellerais toujours de tout ce monde autour de moi. Ils cherchaient à comprendre. J’ai eu l’impression d’être au centre d’un fait divers, comme si j’avais tué quelqu’un.
A partir de ce moment-là, j’ai assumé de manière totalement transparente qui j’étais et j’ai été tranquille. L’école, c’était gagné. La famille, ça allait être un autre combat…
Un été libérateur au camping : la découverte du drag en même temps que mes relations familiales se dégradaient
En cette fin d’année de 3e, j’ai passé une dure semaine. Cet été-là au camping, les tensions familiales étaient à leur comble. Et puis, un soir, il y a eu un spectacle de transformiste. Je ne savais pas ce que c’était. Mais je me doutais un petit peu du truc, j’avais vu du strass, des plumes, des paillettes sur le petit programme d’animation. J’ai fait de superbes rencontres ce soir-là, des inconnus avec qui nous avions sympathisé, m’ont invité avec eux voir le spectacle. Les rideaux se sont ouverts, et j’ai vu, pour la première fois de ma vie, un transformiste : un homme transformé en femme.
Sur scène, je ne savais pas que l’homme que je voyais maintenant en drag était le même homme que j’avais vu, l’après-midi, préparer ses affaires. Ces hommes qui étaient sur scène, n’étaient plus vraiment des hommes. Et, au cours de cette semaine que je ressentais comme l’une des plus difficiles de ma vie, ce fut la plus belle soirée de mon existence.
J’étais admiratif. Je pleurais, je riais. C’était libérateur. Une véritable bulle de protection où je sentais que je pouvais être moi-même. Et ça m’a fait tellement de bien.
Plus tard dans la semaine, le soufflé est retombé. J’avais 14 ans, je me suis mis en danger en discutant avec un homme sur les réseaux sociaux. Je l’ai rencontré sans prévenir mes proches. À mon retour au camping, à deux heures du matin, une trentaine de personnes m’attendaient pour me sermonner. On m’a dit que j’étais un malade mental, que j’étais fou. Alors, quand on est rentrés à la maison, j’ai tout de suite pris rendez-vous chez un psy, et on m’a conseillé de prendre mes distances avec ma famille.
« Ma grand-mère voyait bien son maquillage diminuer »
Lorsque j’ai coupé les ponts avec mes parents, je suis allé vivre chez ma grand-mère. Elle est très coquette, elle se maquillait tous les jours. Donc un jour, hop, dans la salle de bains, je lui ai piqué son maquillage. J’ai commencé à faire ça quotidiennement : je m’enfermais pendant de longues minutes, je me maquillais avant de filer sous la douche et de tout effacer. Ma grand-mère me disputait, elle se demandait ce que je pouvais bien faire pendant si longtemps. Je lui répondais « je regarde des vidéos ! ». Crédible ? Sauf qu’elle voyait bien que son maquillage s’épuisait…
Quelques jours plus tard, je me suis maquillé chez une amie, qui était au courant. J’avais enfilé une robe au moment où sa tante est entrée dans la chambre. Elle m’a vu, elle m’a souri. Ça a été une petite révolution pour moi. J’ai ressenti ces fameux papillons dans le ventre, que j’aurais dû ressentir avec des filles au collège. Ce moment-là a complètement chamboulé mon identité.
« Peut-être que c’est juste moi qui suis un petit peu fou, parfois »
C’est peu après mon arrivée à Perpignan, il y a deux ans, que j’ai découvert la scène drag. C’était merveilleux, puisque ça me permettait d’exprimer des choses en les sublimant. Et d’assumer mon identité dans un contexte qui n’est pas celui de la contestation.
Je pouvais être moi-même, sans que ce soit perçu comme un acte militant. C’est en me transformant en femme, que j’ai découvert l’homme que je suis devenu.
En 2024, les Galeries Lafayette ont organisé un défilé dans la rue, devant le Castillet. Ça a été une révélation. Dans la rue, la réaction des gens est authentique, puisqu’ils sont surpris dans leur activité quotidienne. Si les gens sont heureux, ils le sont vraiment. S’ils sont dégoûtés, ça se voit tout de suite, et s’ils t’ignorent totalement … c’est cash.
Quand je fais du drag, je peux exprimer un cri du cœur, un sentiment, de l’émerveillement. J’essaie de provoquer un sentiment ; je m’inspire de récits, de contes, de créatures. Je cherche des symboles, je travaille sur certaines couleurs. Un véritable exutoire. Peut-être que tous les incidents dans ma vie m’ont façonné comme ça. Ou peut-être que c’est juste moi qui suis un petit peu fou, parfois.
Lire ou relire l’article de la série :
Made In Perpignan est un média local, sans publicité, appartenant à ses journalistes. Chaque jour, nous enquêtons, vérifions et racontons les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales.
Cette information locale a un coût. Et pour qu’elle reste accessible à toutes et tous, sans barrière ni influence, nous avons besoin de votre soutien. Faire un don, c’est permettre à une presse libre de continuer à exister, ici, sur notre territoire.
- « Un soir, il y a eu un spectacle de transformiste au camping » : Les souvenirs fondateurs d’Angel, 21 ans, artiste drag - 2 octobre 2025
- À Perpignan, l’ex-président du Centre LGBT+66 alerte : « Ne baissons pas la garde, nos droits sont fragiles » - 2 juillet 2025
- Alexandr(A) : Histoire d’une transition de genre, et d’une lettre qui change tout - 25 juin 2025