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A Perpignan, le lycée Maillol accueille les arts du cirque comme langage de la mémoire populaire pour le projet « Mémoires du Vernet »

Nous continuons à suivre Mémoires du Vernet, projet protéiforme mêlant récits de vie, arts vivants et histoire du quartier, initié avec des élèves du lycée Maillol. Photo © Pierre Bertrand

Après une conférence inaugurale de Jean-Michel Galley et le début des récoltes de témoignages sur le terrain, un trapèze volant s’est installé dans la cour du lycée. Lise Raivard, coordinatrice, nous explique le lien entre récits de mémoire et art circassien.

Cet article a été rédigé par Lise Raivard et Juliette Verlin, dans le cadre d’une série sur le travail collectif « Mémoires du Vernet » qui s’étend de novembre 2024 à avril 2025. Cette série couvre les coulisses du projet, l’histoire du quartier du Vernet, et les rencontres avec le quartier, du portrait d’habitant au paysage urbain, réalisés par les lycéens.

Du saut dans le vide à la prise de parole

Au milieu de la cour, sous un chapiteau invisible, le trapèze a surgi du sol il y a quelques semaines. Depuis, les lycéens, un peu timides, un peu curieux, s’essayent à l’art du saut dans le vide. Après le premier face à face – remporté – avec le vide, c’est souvent le sourire aux lèvres qu’ils livrent leurs émotions. « Ça perturbe… et en même temps, c’est de l’adrénaline », dit Lysandre. Pour Wassim, c’est l’envolée lyrique. «

Je me suis souvenu d’une fable de La Fontaine, le corbeau sur son arbre perché… C’est un peu ça. Je voulais monter, j’étais arrogant… et une fois là-haut, j’ai eu peur. Je suis tombé de trois étages, et j’ai sauté. »

Lise Raivard, coordinatrice de Mémoires du Vernet, a rassemblé la Compagnie Les Mains Blanches et le collectif Les Zutopistes pour amener le cirque, « langage d’élévation et de transmission », auprès des élèves. Et pour la professeure de Lettres, c’était une étape cruciale et nécessaire au travail de mémoire.

Le cirque comme langage vivant des mémoires populaires

« Quand il s’est agi de penser Mémoires du Vernet, projet mêlant récolte de récits intimes et mise en partage artistique à l’échelle d’un quartier, le cirque s’est imposé comme une évidence. Non pas le cirque de vitrine, figé dans une arène de velours rouge, mais le cirque vivant, populaire, itinérant – celui qui, depuis ses origines, prend la rue, plante son chapiteau au bord des routes, rassemble petits et grands autour de numéros aussi spectaculaires qu’intimistes », explique Lise Raivard.

« Dans l’espace urbain, où tout semble parfois figé, ce trapèze s’élève comme une respiration, une brèche ouverte vers d’autres horizons. Il incarne la mémoire en mouvement, le lien entre hier et demain. Il raconte aussi la rencontre : entre celui qui se jette et celui qui rattrape, entre celui qui ose et celui qui soutient ». Et ce n’est que le premier d’une série d’arts du cirque invoqués comme des « métaphores sensibles des récits récoltés » selon la coordinatrice.

Quand les artistes traduisent les récits en mouvements

Courant avril, la Compagnie Vitalamine viendra tendre un fil de fer, parcouru par Thibault Mullot, pour illustrer la trajectoire fragile mais bien présente entre le silence et la parole, entre l’effacement et la mémoire partagée. La roue Cyr de Pierre Bertrand, impliqué en tant que photographe dans le projet, représentera une « horloge sans aiguilles, spirale des jours, forme mouvante du passé ».

La jonglerie, elle, sera considérée comme « une tentative de garder vivantes les choses qu’on ne peut porter toutes à la fois ». Les chevaux-marionnettes de Thibault Mullot et de Frédérique Guérin incarnent les rêves de ceux qui les animent. Enfin, en « haut-parleur de l’invisible », la crieuse Ninon de Graff, de la Cie En Compagnie Imaginaire, viendra « passer les paroles confiées, la mémoire chantée des pas perdus, des colères tues, des rires enfouis ». L’artiste sera accompagnée du GORI, Grand Orchestre Rayonnant d’Improvisation.

Le cirque à Perpignan, un écho à l’histoire oubliée

« Le cirque, dans son essence, est un art des marges et du peuple », rappelle Lise Raivard. Cet art hybride, multiformes, installé aux portes des villes, possède un côté « immédiat, inclusif, qui éveille la curiosité, même de ceux qui ne vont jamais au théâtre ».

Si Perpignan n’est pas fondamentalement liée aux arts du cirque, en dépoussiérant quelques passages historiques, on retrouve par exemple l’Alcazar Roussillonnais, inauguré en 1874 par François Jobe dans le faubourg Notre-Dame. Ce café-théâtre-cinéma accueillait régulièrement des spectacles de cirque au sens large – acrobatie, pantomime, funambulisme, chevaux dressés. Il s’inscrivait dans la tradition des « alcazars » populaires du Sud, mêlant chanson, théâtre, et attractions. Détruit au XXème siècle, il a été transformé en bâtiment résidentiel.

« Le cirque, c’est aussi la magie sans tricherie », ajoute la professeure de Lettres. « Il fait surgir la beauté dans l’ordinaire, le sublime dans le béton, l’exploit dans les gestes simples. C’est cette magie-là que nous cherchons à faire apparaître : la beauté des mémoires, même les plus fragiles, l’héroïsme discret des habitants du Vernet ».

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