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S’entendre comme ours et louves : Comment cohabitent ces deux prédateurs au parc Ecozonia ?

Lors d’une visite au parc Ecozonia, Made in Perpignan a assisté au nourrissage des loups et des ours, qui partagent un vaste enclos à flanc de colline. Comment ces deux prédateurs cohabitent-ils ? Mangent-ils la même chose ? Ces bêtes sont-elles aussi terribles que leur réputation le dit ? Coline, soigneuse, a partagé sa science pour nous éclairer.

Dévorer des carottes avec appétit

Devant la vitre, à deux pas du public, une ourse se promène de long en large. Quelques mètres au-dessus d’elle, trois louves la regardent à peine. Mais lorsque Coline et ses collègues s’approchent de l’enclos, les oreilles se dressent. « Quand on arrive avec notre voiturette remplie de nourriture, les ours nous voient et nous sentent arriver de très loin ». Les trois colosses velus se rendent lentement dans le bâtiment en dur, dans le coin de leur enclos, où les grilles se referment derrière eux. Question de sécurité élémentaire. Les louves, elles, trottinent le plus loin possible des humaines.

Les soigneuses lancent des morceaux de poulet, qui sont rapidement récupérés par les louves et emmenés dans un coin éloigné de l’enclos. Taïga, la cheffe de meute, est la première à se servir, suivie de ses deux sœurs, Toundra et Tania. Puis des seaux de fruits et légumes sont vidés près des vitres, tout autant par confort pour les ours que pour le plaisir du public. Les grilles s’ouvrent, les ours rejoignent leur buffet et se mettent à table.

Glués aux grandes vitres des enclos, enfants et adultes commentent avec enthousiasme le festin des gros prédateurs. L’évènement est imprévisible : à Ecozonia, les soigneuses et les soigneurs pratiquent le nourrissage aléatoire pour imiter le rythme naturel de l’alimentation à l’état sauvage. « Dans la nature, il se passe parfois des jours entre deux repas », explique Coline.

Les règles d’une colocation sauvage

Felipe, Rebecca, Daza – les ours -, et Taïga, Toundra et Tania – les louves – s’entendent bien. Ou plutôt, cohabitent bien et se stimulent juste ce qu’il faut, d’après Coline. Ils sont ensemble depuis l’ouverture du parc en 2021. Dans la nature, les animaux sont amenés à se rencontrer, notamment ces deux espèces qui peuvent se croiser, par exemple, dans les Pyrénées. « Chez les herbivores, il n’y a pas de soucis : ils se croisent, et chacun mange sa petite herbe. Forcément, avec les loups et les ours, c’est un petit peu plus touchy* » admet-elle. Mais les deux espèces ne sont pas en concurrence alimentaire. Une paix est possible.

« L’enclos est également assez grand pour que chacun ait son espace », ajoute Coline. Les ours occupent la partie basse, avec un bassin, près des vitres où arrivent les premiers visiteurs. Les louves restent plutôt en hauteur. « C’est comme dans la nature, elles aiment bien surplomber un peu la vallée ». Cette répartition en strates est une technique habituelle des zoos et des espaces de conservation comme Ecozonia.

« C’est un enrichissement social », ajoute la soigneuse. « Les animaux s’ennuient beaucoup moins. On a des loups qui, de temps en temps, se liguent contre un ours et essayent de lui faire peur. Mais elles savent très bien que si elles se prennent un coup de patte d’ours, ça va leur faire mal. Ça peut grogner, mais chacun finit par retrouver son territoire et sa place ». Les soigneuses gardent cependant un œil sur leurs interactions, même si, rappelle Coline, dans la nature, les animaux vont très rarement au contact physique et font tout pour éviter la blessure. « C’est que de la gueule », sourit-elle.

« Ils sont nés ici. Ils ne seraient pas capables de survivre seuls dans la nature »

Les animaux viennent de parcs animaliers d’Europe de l’Est, et sont tous nés en captivité, comme, en théorie, la totalité des animaux des zoos de France et d’Europe. Lorsque les petits arrivent à maturité sexuelle, ils sont sevrés et transférés de parc en parc pour assurer un brassage génétique. A ceux-ci s’ajoutent les saisies chez des particuliers, des animaux venant de laboratoires, ou trouvés orphelins dans la nature après le braconnage, ou la mort accidentelle, de leurs parents, ajoute Coline.

C’est le cas de Felipe, Rebecca et Daza. Les soigneuses ignorent en revanche si le mâle et les deux femelles font partie de la même famille. Alors, « dans le doute, Felipe a été stérilisé ».

« De fait, on a l’interdiction de faire se reproduire ces animaux », ajoute-t-elle. Mais des exceptions existent. « La génétique et la conservation sont gérées de façon très raisonnée. […] Chez nous, l’espèce la plus en danger, c’est la panthère de l’Amour. On en compte une centaine dans la nature, en Asie du Sud-Est [contre environ 300 en captivité]. On veut faire de la reproduction pour conserver une population viable en captivité, et on espère, à terme, pouvoir les réintroduire dans leur milieu naturel ».

« Bien sûr, on aimerait tous que les animaux soient dans la nature, sans être embêtés, sans braconniers, sans trafic illégal de fourrure », regrette Coline. « Mais l’histoire a fait que nous nous sommes retrouvés avec des animaux sauvages dans des parcs animaliers. Ils sont nés ici. Ils ne seraient pas capables de survivre seuls dans la nature ». Aujourd’hui, Felipe, 19 ans, souffre d’arthrose. Il est surveillé de près par les soigneuses.

Le grand méchant loup et autres fariboles

Si les louves n’ont pas besoin d’être parquées dans une cage pendant qu’on leur apporte leur nourriture, c’est parce qu’elles sont bien moins dangereuses que les ours. « Contrairement à ce qu’on dit, toutes ces histoires de grand méchant loup, des trois petits cochons… les loups fuient l’homme », précise la soigneuse.

« Ils savent que l’humain est très dangereux. Nous sommes chasseurs depuis des générations ». Peu de chances donc de croiser un loup en randonnée, puisqu’il nous aura senties arriver de loin. « Mais évidemment, si vous tombez nez à nez avec une louve et ses petits dans un terrier, qu’elle ne vous a pas vues venir et que vous non plus, il peut y avoir des accidents, mais comme avec n’importe quel animal », précise Coline.

Si les cinéphiles sont nourris de violentes scènes d’attaques d’ours dans les films hollywoodiens, et que les faits divers sur les poursuites de joggeurs par les grizzlys des forêts canadiennes alimentent la peur, il convient de rappeler un autre fait : les ours sont omnivores à tendance végétarienne. « Ils mangent environ 80% de légumes et 20% de viande et de poissons », sourit Coline. Plus charognards que chasseurs, ils se nourrissent essentiellement de jeunes pousses, de fleurs, de fruits secs, de baies, d’écorce, de champignons…

Réapprendre à protéger les espèces en danger

Même si les soigneuses peuvent entrer dans l’enclos des louves, « on se méfie, on ne va pas essayer de les approcher ou de les caresser, ce ne sont pas des chiens domestiques », insiste la jeune femme, qui a un tatouage mi-chat mi-chien sur le bras. Selon elle, la peur du loup s’estompe avec les nouvelles générations, qui n’ont pas baigné dans les mêmes contes pour enfants que leurs parents.

La chasse de cette espèce protégée reste un débat que les soigneuses ont régulièrement avec les visiteurs. Ecozonia travaille avec l’association Ferus, pour la protection des ours, loups et lynx, cédant une partie de l’argent récolté par le parc. « Une partie très importante de notre métier est de faire comprendre aux gens que l’on peut cohabiter avec ces espèces. Forcément, ça demande des moyens, puisqu’en France, on a oublié comment faire », regrette Coline.

* délicat

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