Ce mardi, la rédaction de Made in Perpignan rencontrait Gérard Davet. Le journaliste d’investigation a mené de nombreuses enquêtes sur les affaires retentissantes des dernières décennies. Dans son livre, « Les juges et l’assassin », paru aux éditions Flammarion cette année et co-écrit avec son acolyte Fabrice Lhomme, il révèle les failles de l’État sur la gestion du Covid-19.
Sous un temps orageux, nous retrouvons l’écrivain dans son fief, à Céret, attablé à la terrasse du café Le Pablo, comme le célèbre peintre. Sourire avenant et regard curieux, le journaliste de renommée, âgé de 58 ans, partage son temps entre la rédaction du journal Le Monde et les Pyrénées-Orientales.
Originaire de la région parisienne, Gérard Davet a grandi dans une cité des Hauts-de-Seine, « ni horrible, ni reluisante, où tout le monde vivait bien ensemble », décrit-il. Dans un immeuble tout gris, il habite un appartement avec sa mère, institutrice, son père, commercial, et trois sœurs. Toutes ont embrassé une carrière d’enseignante dans l’Éducation nationale. Une lueur d’ironie dans le regard, Gérard Davet nous confie que dans la famille, personne ne lisait le journal Le Monde. « Je viens d’un milieu qui n’était pas forcément très éduqué », souligne le journaliste.
À l’origine de toutes les enquêtes de Gérard Davet, l’envie irrépressible de trouver des réponses à ses questions
Nichée dans le Vallespir, la petite ville de Céret a, pour Gérard Davet, des allures de films hollywoodiens. Avec ses places et ruelles typiques abritées de platanes et décorées de petits drapeaux, ses façades en pierres authentiques, ses fêtes traditionnelles… « J’adore la Catalogne et les Catalans », nous confie le journaliste. Il y a quelques années, sa femme et lui sont tombés sous le charme d’un vieux mas dissimulé au cœur de la forêt. Le couple s’attèle à rénover cette bâtisse où ils passeront tous leurs étés en famille. « J’aime cette ville franche où il y a un boulanger incroyable. »
Régulièrement, Fabrice Lhomme le rejoint dans les Pyrénées-Orientales. Le duo travaille ensemble, fait du vélo, du tennis… côtoie biches, chevreuils et sanglier dans la forêt du Vallespir. Facilement identifiables lorsqu’ils sont ensemble, on les interpelle souvent : « Mais qu’est-ce que Le Monde vient faire ici ? » C’est dans ce havre de paix que Gérard Davet se livre à l’écriture. « Les Juges et l’assassin » a été écrit ici, à Céret. Son prochain livre le sera également.
« Tout part d’une question dont j’ai envie de trouver la réponse. Si jamais il y a un angle mort qui n’a pas été traité par mes confrères et que je peux apporter quelque chose, je me mets en chasse avec Fabrice. ‘Les juges et l’assassin‘, c’est exactement ça. » Est-ce que l’État a bien ou mal géré la crise du Covid-19 pendant les six premiers mois ? Cette question fut le point de départ d’une enquête passionnante pour les deux journalistes.
Gérard Davet rencontre ses sources à des endroits aussi improbables que des guichets de gare, des parkings ou des hôtels de province où il loue une chambre juste pour la journée. Durant cette enquête, le journaliste a par exemple rencontré le cercle proche d’Édouard Philippe. « On ne correspond que sur Signal et on efface toute la conversation à la fin, c’est souvent très touchy », assure-t-il. Avant de se lancer dans le journalisme d’enquête, Gérard Davet a couvert de nombreux conflits armés, écrit des dizaines de reportages et portraits, notamment pour le journal Le Monde.
Pour le journaliste, l’écriture, c’est avant tout un ressenti : « J’aime m’imprégner de ce que font les gens, de ce qu’ils dégagent. L’investigation, ce n’est pas du tout ça. On va aller chercher ce qui est caché, ce qu’on ne veut pas forcément vous montrer pour de bonnes ou mauvaises raisons. Il y a une part de finesse qui permet d’amener un peu plus de justice dans ce monde. » Un brillant équilibre dont seuls Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont le secret.
Davet et Lhomme signent une série d’enquêtes sur les faces cachées du pouvoir
Co-auteur de nombreux livres-enquêtes comme « Sarko m’a tuer », en 2011, « Un président ne devrait pas dire ça », en 2016 ou « Le traître et le néant », en 2021, Gérard Davet ne se qualifie ni de justicier, ni de procureur. « Avec Fabrice, nous ne sommes pas militants, nous amenons des faits et les gens font ce qu’ils veulent avec. Nous restons très humbles, on ne change pas la face du monde, mais la publication d’une enquête permet parfois de faire un peu bouger les choses », soutient-il.
Pour lui, l’enquête la plus marquante aura été ces quatre ans et demi passés dans l’entourage de François Hollande, lors de l’écriture de « Un président ne devrait pas dire ça« . « C’était un rêve de journaliste », nous confie-t-il. « Un rêve tout court, d’être au cœur du pouvoir le plus élevé possible et de raconter comment cela se passe ». Fascinés par le pouvoir, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont signé L’obsession du pouvoir avec Pierre Van Hove, une bande dessinée aux éditions Delcourt. « Avec Fabrice, on était dans le petit secret des dieux, tout en étant à distance », confie le journaliste, avec une étincelle dans les yeux.
« On n’assassine pas les journalistes, enfin, pas encore »
Questionné sur les pressions subies, Gérard Davet en a malheureusement été la cible, de manière plus ou moins insidieuse. « Cela peut aller d’un procès qu’on nous fait quand on sort une affaire à des menaces plus directes : « Tu ne passeras pas Noël, on sait où tes enfants vont à l’école », énumère le journaliste. « Cela peut être des écoutes téléphoniques, des surveillances, des filatures, on y a eu droit aussi… »
Aujourd’hui, Fabrice et lui relativisent. « Ce n’est rien en comparaison de ce que vivent nos confrères en Russie ou en Chine. Je suis encore là pour en parler, en France, on n’assassine pas les journalistes, enfin, pas encore »
« Papa, est-ce que tu ne peux pas aller enquêter ? »
Une autre enquête, plus personnelle, a particulièrement touché l’écrivain. « La meilleure amie de ma fille était interne du Collège Cévenol à Chambon-sous-Lignon. Elle s’appelait Agnès Marin », révèle Gérard Davet. Un jour, la jeune fille disparaît subitement. « Elle avait été violée, tuée et martyrisée par un autre élève, âgé de 16 ans. Ma fille, qui était très proche d’Agnès, m’a dit : « Papa, je voudrais bien savoir ce qu’il s’est passé. Est-ce que tu ne peux pas aller enquêter ? ».
Alors j’y suis allé et j’ai fait deux pages dans Le Monde pour raconter à quel point on avait eu tort d’accepter ce criminel qui avait déjà violé une jeune fille. » Ce drame a aussi permis à Gérard Davet de se rapprocher de sa fille. « J’ai mieux compris ce que vivait une adolescente de 13 ans et à quel point je n’avais pas été assez présent pour elle à ce moment-là. »
Du journal Le Parisien au mentorat chez Flammarion
Gérard Davet a débuté sa carrière au journal Le Parisien où il couvrait les conflits armés du Kosovo, de la Bosnie, de l’Afghanistan ou du Pakistan. En 2001, il intègre Le Monde, où il enquête dans le service des sports. À l’époque, Edwy Plenel est le directeur du journal. Alors que l’affaire Patrice Alègre éclate, il demande au journaliste d’enquêter. « J’y ai consacré six mois et je suis parti au service société, où il y avait déjà Fabrice Lhomme, que j’ai rejoint là-bas. Je suis devenu chef du service enquête, et puis j’ai été nommé au service des grands reporters. »
En 2010, l’affaire Bettencourt signe son retour dans l’investigation pure et dure, aux côtés de Fabrice Lhomme, qui réintègre le journal Le Monde. Depuis 2011, Gérard Davet consacre tout son temps à l’investigation. Aujourd’hui, il accompagne des auteurs dans leur travail d’écriture chez Flammarion. Il a notamment relu le livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, paru en 2022.
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