Article mis à jour le 2 mai 2025 à 10:32
Ce mercredi, nous rejoignons Sophie dans un café à deux pas de la Préfecture. Autour de nous les clients dégustent une limonade, un brunch ou une boisson réconfortante, mais Sophie nous parle d’un sujet beaucoup plus lourd contrastant avec l’ambiance cosy du lieu : les auteurs de violences sexuelles. De la prison de Fresnes en région parisienne au centre d’information des droits des femmes de Perpignan, la psychiatre nous livre son parcours.
Au regard du contexte actuel et de la profession exercée par Sophie, la rédaction de Made in Perpignan a convenu de ne pas publier de portrait photo.
« L’expérience des victimes, si nous n’en faisons rien pour les auteurs, nous n’avancerons pas », entame la professionnelle. Depuis plus de 20 ans, elle travaille sur les auteurs de violences sexuelles. Si la psychiatrie ne s’est pas immédiatement imposée à Sophie, cette façon d’exercer la médecine est, selon elle, ce qui lui correspond le mieux. Concernant sa rencontre avec le monde carcéral, « c’est un peu un hasard » qu’elle s’est lancée dans ce domaine, reconnaît Sophie, qui n’est pas fan des romans policiers et ne s’enquiert pas de faits divers. « C’était un champ en friche où il y avait tout à faire ! », s’enthousiasme la psychiatre.
« On m’a confié l’ouverture des soins en prison, une chance inouïe »
Celle qui a rencontré Robert Badinter ou travaillé avec Christiane Taubira, ne regrette pas son choix. Mais revenons à ses débuts… « J’ai commencé à un moment où les urgences psychiatriques n’existaient pas », entame Sophie.
À l’époque, elle travaille à l’Hôtel-Dieu de Paris où une petite salle est réservée à l’hospitalisation des gardés à vue et des détenus qui ont besoin de soins. Elle participe à la création des premières urgences médico judiciaires (UMJ). « J’étais la psychiatre des UMJ quand elles ont ouvert en 1986 », nous explique-t-elle. L’unité médico judiciaire de l’Hôtel-Dieu assure, sur demande de la justice, l’examen médico-légal des personnes majeures ou mineures victimes de violences.
« Au début des années 90, on entendait dire qu’il y avait de plus en plus de « pointeurs » [ndlr : auteurs de violences sexuelles] en prison. Comment s’occuper des auteurs, c’est quoi les stratégies ? Comment contribuer à ce qu’il y ait moins de victimes ? Personne n’osait y aller, il n’y a que les psys qui vont voir ! », sourit Sophie. Cette interface avec la justice la passionne, à tel point qu’elle décroche son premier poste à la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne.
« On m’a confié l’ouverture des soins en prison, une chance inouïe », se rappelle-t-elle. Là-bas, elle apprend à connaître les personnels pénitentiaires et à travailler avec eux. Elle ouvre une unité UPH, dédiée à l’hospitalisation psychiatrique à temps plein où les auteurs de violences sexuelles sont pris en charge. « J’ai participé à des recherches nationales, je suis allée au Québec, où nous avons monté la première unité de traitement pour les auteurs de violences sexuelles… »
En 1996, l’ARTAAS (Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles) est créée. Des professionnels spécialistes mutualisent leurs compétences et savoirs pour améliorer la prévention, la compréhension, et la prise en charge des violences sexuelles. « Nous allions rencontrer les détenus, les primaires [personne détenue en première incarcération, ndlr], les récidivistes… Nous réfléchissions à comment travailler sur les conflits, les comportements sexuels… Quelle était la part individuelle et en groupe dans les thérapies, la place des médicaments… Nous devions aussi préparer la sortie de prison, bien sûr », énumère Sophie. À l’époque, les soins à l’extérieur de la prison sont quasiment inexistants, tout s’opère entre les murs.
Son engagement auprès des auteurs dans les Pyrénées-Orientales
Le suivi sociojudiciaire évolue et Sophie est chargée de suivre ses patients une fois leur peine purgée.
« Ça a toujours été difficile. Dès qu’il y a un fait divers où l’auteur a déjà été incarcéré ou suivi, on en veut immédiatement aux professionnels. Alors qu’en réalité, c’est comme si on avait demandé à des cancérologues, quand ils ont commencé à traiter les cancers, qu’il n’y ait pas de mort », nuance la psychiatre.
Dès sa petite enfance, Sophie se rend régulièrement au cœur de la cité catalane où habitent sa grand-mère et ses sœurs. Des années plus tard, elle s’installe dans les Pyrénées-Orientales où elle occupe le poste de chef de service sur le secteur de la vallée de la Têt. Un endroit qu’elle affectionne particulièrement puisque ses parents avaient un chalet à Bolquère. « J’étais quand même la seule chef de service femme, ce n’était pas forcément simple », nous confie-t-elle.
Pour la professionnelle, il est essentiel que les soins prodigués aux détenus débouchent sur un partage de formation, d’information et un travail accessible à tous les intervenants. La psychiatre imagine déjà les futurs CRIAVS (Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles). « J’ai vu qu’ici, on ne me le laisserait pas faire », se désole Sophie, qui reprend le chemin de la capitale pour créer le premier centre ressource parisien. En parallèle, elle préside l’association française de criminologie. « Je suis revenue dans les Pyrénées-Orientales quand le docteur Pécastaing a pris sa retraite. C’est lui qui s’occupait des auteurs de violences sexuelles au SMPR (Service médico-psychologique régional). »
La cause des femmes n’a jamais été étrangère à Sophie, qui prend la présidence du CIDFF (Centre d’Information des Droits de la Femme) local, dès 2016. « Nous avons formé des cadres à repérer les victimes de violences conjugales parmi les personnels et comment gérer cette situation. Nous avons recruté une psychologue qui travaillait avec les auteurs et les victimes », glisse-t-elle.
« Ceux que l’on ne veut plus voir »
En 30 ans, Sophie a vu l’accompagnement des auteurs de violences sexuelles considérablement évoluer. « Ce qui me laisse perplexe, c’est à quel point ces notions scientifiques sont difficiles à partager. » Interrogée sur son approche avec les auteurs de violences sexuelles, la psychiatre nous révèle sa posture. « La part relationnelle est importante, mais elle n’est pas facile à tenir », nuance-t-elle. Sophie travaille souvent en binôme avec un autre psychiatre. Les professionnels proposent trois rendez-vous de rencontre, avec une évaluation, toujours à deux. « Seul, on est dans l’emprise, les détenus vont utiliser un mode défensif », nous explique la psychiatre.
À partir de ces trois entretiens, les médecins déterminent quel accompagnement sera mis en place pour le détenu. « Nous allons lui poser des tas de questions sur sa vie… Souvent, il est plus difficile pour les auteurs de parler de leur vie relationnelle que de leur vie sexuelle. » Sophie construit des outils de médiation, via des questionnaires, des supports de films, des articles de journaux, des livres pour enfants…
« Face à des fragilités narcissiques, une différence de point de vue peut réactiver divers processus. À nous de déterminer quels sont les niveaux de différence supportables », nous confie la psychiatre. D’après Sophie, il est souvent plus simple pour un groupe d’auteurs de parler entre eux. En groupe, les détenus se soutiennent. « Ils ne sont pas là pour les mêmes faits, mais ils font partie de la même catégorie, ceux que l’on ne veut plus voir et qu’on désigne comme des monstres. Ils se soutiennent, mais pas de façon malsaine », assure-t-elle.
« S’occuper des auteurs, c’est aussi respecter la parole des victimes »
Avec humilité, Sophie compare souvent l’esprit de ses patients à un collier de perles cassé. Le travail du psychiatre serait de renfiler ces perles et de leur donner un sens. La psychiatre se souvient d’un jeune auteur âgé de seulement 18 ans. Il vivait seul avec sa mère, celle-ci a perdu son poste d’assistante maternelle suite aux agressions sexuelles commises par son fils sur les enfants.
« Je lui demande ce qu’il fait dans la journée », entame Sophie. « Il reste enfermé dans la maison. Sa mère est furieuse, il a perdu sa formation en boulangerie… Des fois, il va jouer dans le jardin avec les enfants d’à côté. On est dans l’augmentation des facteurs de dangerosité et de vulnérabilité pour tout le monde », alerte la psychiatre. Dans l’urgence, Sophie fait appel à un travailleur social pour que le jeune soit relogé dans un foyer et qu’il reprenne une formation dans une boulangerie, sans enfant à demeure.
« Il faut toujours penser qu’un auteur n’agit pas forcément pour faire du mal. Les pulsions sont dans certains cas plus fortes qu’eux. Ils sont harcelés, c’est quasi psychotique. Dans le cas de ce jeune homme, cela a été démontré et nous l’avons accompagné. » À quel moment la prison, la prise de corps ou la contrainte sont-elles utiles et pour qui, nous questionne Sophie. D’après la psychiatre, certains détenus sont plutôt dans la régression, d’autres dans la colère. Si on alimente la colère, il serait encore plus difficile de suivre, traiter et prévenir.
« J’entends encore trop souvent : ‘on fait plus de choses pour les auteurs que pour les victimes.’ Je veux qu’on comprenne que c’est faux ! Cela traduit le sentiment que ce que l’on fait pour les uns, c’est contre les autres. » Sophie reste perplexe, comment expliquer que l’accompagnement des auteurs sert aussi aux victimes. « Si les victimes ne parlent pas, on ne sait rien. S’occuper des auteurs, c’est aussi respecter la parole des victimes », assure Sophie. Pour elle, le silence est porteur de la violence.
Le cheminement des auteurs de violences comme récompense
« Je me souviens des personnes que j’ai rencontrées, de leur entourage, de la façon dont elles parlaient du travail que j’ai fait avec elles. Mais ce qui m’a le plus marquée, ce sont les mots… » Sophie se rappelle ce patient schizophrène arrivé à 4h du matin aux urgences. « Je voudrais une tartine de miel », avait-il lancé à la psychiatre. « Je trouve cette phrase tellement merveilleuse. Il était dans sa folie, dans son errance… Ça m’émeut terriblement. »
Elle marque une pause, comme plongée dans ses souvenirs… avant de reprendre : « Je n’oublierai jamais le regard de ce jeune homme beau comme un dieu. Il souffrait d’un handicap et n’avait pas accès à la parole. Je lui ai proposé de le traiter en EMDR (psychothérapie par mouvements oculaires ciblant les mémoires traumatiques des individus). »
Sophie nous relate une séance avec un autre patient, qui finit par lui confier au bout d’un an de suivi qu’il est terrifié par lui-même. Auteur de violences, il avoue à la psychiatre que son père le violait aussi. « Il était heureux d’écrire à ses frères pour leur raconter le travail réalisé avec moi », nous confie la psychiatre. « Je retiens cet homme, encore, qui a bénéficié d’un traitement hormonal et à quel point il se sentait soulagé. »
Finalement, ce qui émeut Sophie, c’est surtout le cheminement de ses patients, et « comment ils s’approprient certaines choses qu’on leur apporte. »
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