Depuis septembre 2024, les pluies correspondent enfin à des années dites « normales » et ont même permis par endroits de faire remonter le niveau de nos nappes, y compris des plus profondes. Pour autant, cela ne rattrape nullement le terrible creux des années précédentes. Nos prélèvements sont bien supérieurs aux recommandations et nous ne sortons pas de la crise. Photo d’illustration : Forage de Saint-Jean en 2024 à Bouleternère, destiné à l’eau potable. © Syndicat des nappes de la plaine du Roussillon
« Il y a un problème structurel sur le pliocène » explique Hichem Tachrift, directeur du syndicat des nappes de la plaine du Roussillon, à propos des nappes profondes dans lesquelles beaucoup de communes puisent l’essentiel de leur eau potable.
« Il y a une tendance globale à la baisse avec, pourrait-on dire, des marches d’escalier. En crise, on baisse significativement, et quand il y a une année humide, ça se stabilise. »
Le problème est qu’on ne remonte jamais au niveau initial, même lors de très fortes pluies ou d’épisodes de tempêtes. Le coup dur, ce sont les années de sécheresse 2022 et 2023. La question va moins porter sur le volume restant dans les nappes que sur notre capacité éviter les répercussions du déclin. En effet, pour les forages de la côte, la baisse entraînera une entrée du sel qui contaminera l’eau de manière irrémédiable alors même qu’il reste des volumes. Cette contamination existe déjà pour certains forages, comme l’un des trois de Sainte-Marie-la-Mer. Pour retrouver un seuil de potabilité, son eau est mélangée à celle des deux autres.
Après les nappes profondes, l’inquiétude se porte aussi sur les plus superficielles
Dans le secteur de la Têt, Hichem Tachrift évoque une quantité d’eau dans les canaux plus faible depuis 2022. Or ces canaux alimentent les nappes quaternaires moins profondes et indirectement le pliocène. « Les nappes quaternaires sont en lien direct avec les cours d’eau. » Une continuité mise en évidence notamment pour l’Agly, avec deux lâchers expérimentaux lors des étés 2023 et 2024. « Le barrage de Caramany peut soutenir l’Agly en période de sécheresse, et l’Agly réalimente le karst, qui lui vient réalimenter le pliocène. » Les deux lâchers ont permis de compenser les pertes de l’Agly et avoir une influence directe sur les nappes.
« C’est positif, cela permet de passer des moments très critiques, mais l’effet est succinct. Après l’arrêt des lâchers, le niveau rebaisse très vite. »
Si à ce jour les nappes du quaternaire sont moins en déclin que le pliocène, leur avenir questionne. « On s’interroge beaucoup sur leur évolution en fonction du débit des cours d’eau. »
Le changement climatique pourrait imposer une révision des volumes prélevables
Les trois vallées, mais aussi les Aspres avec en particulier le secteur de Terrats, sont au niveau de crise le plus absolu. Pour Hichem Tachrift, non seulement les quotas de prélèvements recommandés, répartis par secteurs – tourisme, agriculture, industrie, alimentation… – ne sont pas respectés, mais demanderaient à être revus. « Les volumes prélevables ont été définis il y a dix ans. L’état des connaissances évolue sur le changement climatique. Il est plus rapide qu’annoncé. Il faudra se poser la question, d’ici un à trois ans, de la révision de ces volumes. »
Sans compter le problème de la qualité. « Plus on pompe, plus on augmentera les problèmes de qualité. » En effet, paradoxalement, prélever trop profondément crée un phénomène d’aspiration d’eaux plus en surface avec un risque de pollution. C’est cette même crainte de contamination qui pour le moment freine les projets de réalimentation des nappes par des ressources alternatives.
À quel point faut-il être alarmiste ?
Pour Hichem Tachrift, il n’existe pas de solution unique. Il assure qu’au regard des volumes actuels dans les nappes, en dépit de leur déclin alarmant, il ne devrait pas y avoir une multiplication à court terme de coupures au robinet comme Corbère-les-Cabanes a pu en connaître. À plus long terme, il devient en revanche difficile de se projeter. La répartition des pluies futures sera une des clés. Les voix les plus inquiètes, au niveau de certains techniciens à l’échelle régionale, vont jusqu’à imaginer un département dont il faudrait un jour déménager la population si on ne solutionne pas la crise de l’eau. Sans compter un déclin progressif des valeurs immobilières à mesure que la sécheresse rebutera les nouveaux arrivants. Déjà, selon un sondage Odoxa, trois Français sur dix se disent prêts à déménager pour raisons climatiques.
Le maillage entre les communes, en cours de déploiement, est positif, car il permet de répartir la ressource. Mais encore faut-il pouvoir remplir les tuyaux. L’effet pervers à éviter ? L’utilisation du maillage comme prétexte pour urbaniser davantage avec des projets consommateurs d’eau, les nouvelles constructions étant désormais soumises à des volumes d’eau disponibles.
On sort ici du rôle du syndicat des nappes pour entrer dans la responsabilité de nos politiques. « La notion de bien commun, pour l’eau, ce n’est pas simple. »
Enfin les nouvelles ressources, comme l’eau des Corbières davantage exploitée avec la nouvelle usine de Cases-de-Pène, le projet de l’eau du Rhône avec l’Aqua Domitia, les éventuelles retenues pour davantage de stockage, ne sauront constituer des solutions uniques sans une nouvelle gestion fine des prélèvements. Le tout dans un département où, contrairement à l’Ariège par exemple, il n’existe aucune instance unique pour la ressource en eau. Le précieux liquide est entre les mains de collectivités fragmentées qui vont devoir s’entendre. Pas impossible pour autant, selon Hichem Tachrift.
« Avec la crise, on est dans une phase où cela avance beaucoup plus qu’il y a une dizaine d’années, il y a la mise en œuvre du plan de résilience. Nous avons de meilleures connaissances des prélèvements, notamment touristiques et agricoles. »
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