Article mis à jour le 18 mars 2025 à 10:21
Portée par un groupe d’anciens étudiants de l’université de Perpignan, la première association de médiation en sciences sociales a vu le jour dans les Pyrénées-Orientales. Le collectif a pour objectif de diffuser et promouvoir des connaissances scientifiques et des savoirs critiques au plus grand nombre. Photo illustration Unsplash © Tom Barrett.
Prénommés « les chasseurs de mythes », en référence à la fameuse réplique du sociologue Norbert Elias, les membres de l’association ont animé un premier café-philo à Bélesta, ce dimanche 16 mars 2025. « Nous avons introduit la discussion par l’allégorie de la caverne* de Platon. Puis les participants ont réfléchi ensemble à la notion de liberté, de servitude volontaire, d’accès à la connaissance et au rapport entre gouvernants et gouvernés », révèle Hugo, président de l’association.
Une association qui questionne l’imaginaire collectif
Leur mission ? Balayer les idées reçues qui façonnent l’imaginaire collectif. « Certains mythes ou croyances peuvent exercer une influence négative, propager de fausses informations, attiser la peur et le repli sur soi. Ce sont ces mythes-là que nous souhaitons chasser, en prenant pour cible plus particulièrement ceux qui participent à la reproduction des inégalités et qui génèrent des discriminations », assure Hugo.
Âgés de 23 à 31 ans, Flora, Hugo, Clément et Olivier ont étudié la sociologie, la géographie ou l’audiovisuel… Un point commun les unit, ils sont tous désireux de partager les savoirs et les connaissances acquises durant leur formation universitaire. « Pour autant, nous ne souhaitons pas nous enfermer dans un « entre-soi » d’experts ayant fait des études supérieures », indique Hugo, qui souhaite inclure des personnalités de tous horizons et susceptibles de mobiliser les sciences sociales dans leur activité quotidienne ou professionnelle.
L’objectif premier reste de sensibiliser le public à la démarche scientifique, mais il s’agit aussi de créer un espace d’échange et de partage autour des sciences sociales. À l’image du dernier café-philo organisé à Bélesta, les chasseurs de mythes prévoient de mettre en place des ateliers, des rencontres, des conférences, des formations. En parallèle, diverses actions seront menées sur les réseaux sociaux.
Démocratiser les sciences sociales dans les Pyrénées-Orientales
Si les sciences humaines et sociales restent cantonnées au champ académique et à un cercle restreint de spécialistes, les connaissances produites par les chercheurs se répandent peu à peu dans la société. Selon Hugo, ce processus s’est accéléré depuis la démocratisation scolaire et l’entrée d’une partie des classes populaires dans l’enseignement supérieur, mais aussi depuis l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Depuis une quinzaine d’années, on observe une multiplication « des chaînes de vulgarisation en ligne », lancées par des youtubeurs comme Sociologeek, Grégoire Simpson ou Anthropologique(s), qui s’efforcent de rendre accessibles différents concepts et outils d’analyse. Les streamers s’y mettent aussi, comme la vidéaste Modiie qui propose des lectures d’ouvrages et d’articles scientifiques durant ses lives, tout en échangeant avec ses viewers sur le sujet du jour.
« Récemment, le média indépendant Blast a aussi lancé un nouveau format d’émission intitulé « Contraste », proposant d’analyser l’actualité au prisme des sciences humaines et sociales », souligne Hugo. Pour ces anciens étudiants, « la science ne doit plus être réservée à une élite. »
Avec la création de cette association, Hugo et les autres espèrent créer un espace d’échange autour des sciences sociales en dehors de l’université. « Reprendre mes études m’a fait comprendre plein de choses sur le monde et sur moi-même. Je me suis dit que ça pourrait aussi intéresser d’autres personnes d’avoir des clés de compréhension, des grilles de lecture, des armes », nous confie le président. « Pour moi, c’est la notion d’accessibilité, de médiation culturelle qui m’a vraiment intéressée dans ce projet », lance à son tour Flora.
« Nous voulons créer un lieu où l’on se sent libre d’échanger »
À leur échelle, ces jeunes vont tenter de déconstruire certaines idées reçues présentes dans la société, en s’appuyant notamment sur des travaux scientifiques. « C’est aussi une façon d’aborder des questions qui fâchent, et d’apporter une dimension critique afin d’établir un lieu de discussion et d’échange. Les participants auront la possibilité de s’exprimer, notre rôle sera aussi de leur donner les clés pour mobiliser leurs arguments. On n’est pas là pour savoir qui a tort ou raison, mais pour apporter une méthodologie permettant de structurer sa pensée de façon efficace », insiste Flora.
« Nous voulons créer un lieu où l’on se sent libre d’échanger, de discuter sur différents sujets, sans un aspect autoritaire et maître d’école. On veut essayer de créer un goût pour apprendre, une sorte d’esprit critique sur la société », ambitionne Flora. Pour Hugo, chacun a son niveau d’expertise et sa spécialité. « Nous, on a fait des études supérieures, mais on ne connaîtra jamais autant le terrain qu’un travailleur social, par exemple. Le but, c’est de planter une graine pour amener la réflexion. »
Une volonté de déconstruire les idées reçues
Les chasseurs de mythes comptent aussi faire appel à des spécialistes ou à des auteurs pour appuyer leur analyse. « Si nous choisissons de traiter une thématique autour du militantisme écologique, nous pourrions recevoir des militants qui échangent sur leur parcours, leurs revendications… pour comprendre ce qui se cache derrière leurs actes. »
Parmi les premiers mythes que l’équipe souhaite « chasser » : les idées reçues autour du travail. « L’assistanat, les inégalités qui interviennent dans l’employabilité, le diplôme qui protège du chômage… On sait par exemple que, si on n’est pas blanc, on a quatre fois plus de chances de ne pas trouver de travail », affirme Hugo. « Ce sont des discriminations qui existent. »
À l’heure où certains puissants cherchent à déconstruire le discours scientifique, cette association est presque d’utilité publique. « Des enseignants de la fac, des élus locaux et d’autres associations soutiennent déjà notre projet », atteste Hugo. Les chasseurs de mythes demandent une participation de 5 euros à leurs membres.
*L’allégorie de la caverne de Platon illustre notre tendance à confondre illusion et réalité : des prisonniers, enchaînés depuis toujours, ne voient que des ombres projetées sur un mur et les prennent pour la vérité, jusqu’à ce que l’un d’eux soit libéré et découvre le monde réel. Cette métaphore symbolise le chemin de la connaissance et montre que sortir de l’ignorance est difficile, mais nécessaire pour accéder à la vérité.
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