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Travailler autrement : les formats collaboratifs encore trop méconnus

[L’emploi autrement, épisode 2/2] Les formats collaboratifs s’inscrivent dans une vision plus horizontale du travail. Ils intègrent l’ESS, l’économie sociale et solidaire, qui avait connu une nouvelle dynamique lors des lois Hamon de 2014. Ces organisations atypiques continuent de faire leur chemin, mais peinent parfois à se faire connaître dans l’hégémonie canonique des modèles traditionnels. Photo d’illustration © Scott Winterroth / Unsplash

Dans les Pyrénées-Orientales, des SCOP et des SCIC ont traversé les crises

Au sein de l’ESS, on trouve les fameuses SCOP*, entreprises appartenant à leurs salariés et les SCIC**, qui élargissent la gouvernance aux usagers et partenaires. Leur nombre progresse chaque année et elles semblent même, selon leur confédération générale, mieux résister aux crises. Elles concernent plus de 87 000 salariés en France, pour un chiffre d’affaires qui vient de dépasser les 10 milliards d’euros. La SCOP n’est plus seulement un moyen de sauver une entreprise de la faillite, mais aussi d’en créer.

Les Pyrénées-Orientales en comptent une trentaine, dont beaucoup de service à domicile, de la rénovation et construction, mais aussi plusieurs sociétés liées à la production d’énergie, comme CatENR, Conflent énergie ou la Ferme d’Escoums. Plusieurs se maintiennent depuis plus d’une décennie. La dimension solidaire est souvent présente. « L’objectif est la réappropriation citoyenne de l’énergie » expliquait un responsable de Conflent Energie. La solidité des SCOP et SCIC locales n’est plus à démontrer, mais on est encore loin d’une généralisation avec un nombre qui demeure stable depuis quelques années. Le type de gouvernance, ou encore les règles comme le réinvestissement des gains, impliquent de repenser l’entreprise et peuvent freiner les ardeurs.

Le GEIQ, des groupements d’employeurs bien connus en agriculture, mais qui s’élargissent à tous les domaines

Moins connus, il existe d’autres formats collectifs, comme les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification ou GEIQ. Francis Lévy est le délégué général de la fédération française des GEIQ.

« Depuis cinquante ans il y a une demande de flexibilité, de souplesse de la part des entreprises » explique-t-il. « Côté salarié, il y a des attentes un peu différentes qui ne sont pas uniquement des CDI temps plein. Cela s’est accéléré avec le Covid. Les jeunes supportent moins les organisations très verticales. »

Les groupements d’employeurs vont recruter des salariés qui ont du mal à accéder à l’emploi pour répondre aux besoins des adhérents. Un système qui existe depuis quarante ans dans le secteur agricole, mais seulement vingt ans de manière élargie. Même si rien n’interdit au GEIQ de faire des CDD, la formule permet généralement d’offrir plus de stabilité à des salariés qui jusque-là enchaînaient des missions ponctuelles. Pertinent dans un département aussi précaire que les Pyrénées-Orientales, où l’on trouve notamment des GEIQ dans le BTP. Mais cela demande une implication des entreprises pour un système plus complexe que le recours au travail temporaire.

Plutôt qu’une micro-entreprise, la peu connue « CAE » et son étrange statut d’entrepreneur salarié

Enfin, il existe des Coopératives d’Activité et d’Emploi qui elles regroupent des travailleurs indépendants et forment une alternative à la micro-entreprise. Elles sont très, voire trop discrètes. Dans les Pyrénées-Orientales, le format est incarné par la CAE Perspectives, créée en 2000 à Perpignan. Le rédacteur Yann Kerveno en est l’un des coopérateurs. « C’est un statut d’entrepreneur salarié. » En clair, Perspectives lui permet d’avoir une couverture sociale avec des arrêts de travail, de cotiser facilement pour le chômage, la retraite, de bénéficier d’une comptabilité et d’un collectif d’entraide. Les adhérents sont à la fois des salariés et leurs propres patrons.

Perspectives compte 125 entrepreneurs dont 65 associés et 35 en phase de test. « Chacun verse une cotisation. Depuis le début de l’année, j’ai fait 20 000 euros de chiffre d’affaires, et ma contribution coopérative est de 2000 euros, c’est 10 %. »

En contrepartie, la sérénité. « Cela m’a apporté une tranquillité d’esprit. » Les métiers des coopérateurs sont variés : peintres en bâtiments, création de bijou, service à domicile… Mais Yann Kerveno reconnaît un manque de communication autour de ces formes collaboratives. Pour Julie Peyron, co-gérante de Perspective, c’est d’autant plus difficile que les CAE seraient moins soutenues par les pouvoirs publics qu’auparavant et doivent davantage sélectionner à l’entrée pour maintenir leur budget de fonctionnement. « Avant on pouvait accueillir tous les profils. Aujourd’hui nous avons plus de critères sur le professionnalisme et l’expérience. »

Des modèles résilients malgré une baisse des soutiens publics

Il n’existe que 155 CAE en France. « La première a été créée en 1995 à Lyon. A Perpignan, Perspectives a une bonne résistance au battage médiatique autour de la micro-entreprise et aux crises successives. » Pour Julie Peyron, le fait d’être un modèle hybride entre le salariat et l’entreprise individuelle reste très innovant, loin des standards dominants. Elle évoque un positionnement engagé pour obtenir une protection sociale en gardant de l’autonomie.

Il faut néanmoins parvenir à s’entendre, comme dans tout collectif. Une précédente CAE sur les Pyrénées-Orientales avait ainsi périclité. « Il faut construire des espaces d’arbitrage internes si des tensions apparaissent. » Pour la co-fondatrice, tout est affaire d’un système de gouvernance et d’une maturité gagnée avec le temps. Julie Peyron envisage de mutualiser les CAE à l’échelle de la région pour gagner en autonomie dans un contexte où les soutiens publics s’amaigrissent.

« Nous défendons une forme d’entreprise peu hiérarchisée, où la propriété du capital est collective, où la solidarité est systémique. »

* SCOP : Société coopérative de production
** SCIC :Société coopérative d’intérêt collectif

➡️ Lire ou relire l’épisode 1 de cette série consacrée au travail

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Philippe Becker