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Rencontre avec Jacques Séguéla de retour dans le Perpignan de sa jeunesse

Article mis à jour le 15 janvier 2019 à 12:21

Le célèbre publicitaire et spin doctor* a passé sa jeunesse et plus de 20 ans à Perpignan. Jacques Séguéla a fait escale ce mercredi 19 décembre en Pays Catalan à l’invitation du Pôle Action Média, cluster** et pépinière d’entreprises située au Soler. Le temps de découvrir le lieu et d’une conférence sur les GAFA***, thème de son dernier ouvrage paru aux éditions Coup de Gueule : « Le diable s’habille en GAFA ».
Et pour nous l’occasion d’une déambulation dans les rues perpignanaises et d’un entretien avec l’homme réputé pour ses campagnes publicitaires et ses murmures aux oreilles des présidents. Propos recueillis sur l’évolution de la communication politique, de « la réclame » jusqu’à l’avènement des « fake news », sur l’empire des GAFA, et sur la crise de confiance entre Emmanuel Macron et les Gilets Jaunes.

♦ La communication d’Emmanuel Macron ? « S’il ne fait pas une communication de proximité extrêmement cadrée et revient à une parole rare pour les grands évènements, il ne pourra pas remonter »

J’ai travaillé avec lui à sa campagne, parce qu’il voulait tout connaître de la campagne de Mitterrand. Et je lui ai dit : « Il faut que tu sois 4 présidents dans tes 5 ans ».

« Il faut que tu sois le président des pauvres, le président des riches, le président des territoires et enfin le président des jeunes« . Il ne m’a pas écouté, il a d’abord été le président des riches. Et dès qu’il a été le président des riches, je lui ai envoyé un mail en lui disant : « Demain matin, il faut lancer le grenelle du pouvoir d’achat pour tout de suite être le président des pauvres ». Il a mis 2 ans à faire ça, trop tard…

Tout a commencé en juillet avec l’affaire Benalla. Il suffisait de faire un tweet à la Trump. En disant : « Ce jeune garçon a trahi ma confiance. Il a quitté l’Elysée, il n’y remettra plus jamais les pieds. Il est dans les mains de la justice ». Deux heures après, il serait sorti sur le perron de l’Elysée en tenant le même discours et ça s’arrêtait là. Mais au lieu de cela, les gens qui le conseillent lui ont dit pendant 4 jours : « Mais non ça va passer, ne sors pas du bois, fais le gros dos« . Alors qu’en cas de crise, on réagit avec fermeté, en donnant des faits et dans l’heure ! Après, tout s’est enchaîné. Ils ne peuvent pas gouverner comme ça !

Cette dégringolade d’En Marche et de notre président est due à des fautes de communication. Mais, après tout, il vaut mieux que la politique soit bonne et la communication mauvaise, que l’inverse.

Alors maintenant, il doit revenir à une communication mitterrandienne, avec une parole rare. Il doit parler peu, seulement quand il a quelque chose à dire, et de manière professionnelle. Parce que sur sa dernière allocution, on dirait qu’il est mal rasé. Mais en fait il est juste mal éclairé. Ils ne sont pas foutus de faire une bonne image, bien cadrée ! Ils doivent s’entourer de professionnels. Et au lieu de cela, ils bricolent ça entre eux.

Ensuite, il faut qu’il régionalise sa com’, qu’il délocalise ses conseils des ministres. Il faut qu’il dorme sur place, qu’il reçoive les agriculteurs, les officiels, rien que des réunions de travail, avec des comptes rendus. Et non pas qu’il aille traverser les rues pour prendre les coups.

♦ L’histoire de la communication politique ? « De la réclame à la fake news »

Il y a plusieurs grandes étapes dans la communication politique. La première, c’est l’ère de la réclame, l’époque où la communication politique se résumait à une affiche.

Puis on est passé de la réclame à la publicité avec la première campagne de François Mitterrand. « La force tranquille » où les mots sont le sous-titre et l’emportent presque sur l’image. Ensuite, il a eu toute une campagne qui s’est organisée autour. C’est la première campagne qui a inventé les spins doctors en France. François Mitterrand a été élu avec une campagne qu’il a dirigée lui même, qu’il a co-créée et qu’il a revendiquée. Cela a fait basculer les politiques français vers la communication politique.

À la suite de la seconde campagne de Mitterrand, pour moi la plus professionnelle, Michel Rocard interdit la publicité politique avant de quitter son poste. Nous sommes la seule république au monde qui s’est tirée une balle dans le pied en n’utilisant pas le moyen le plus efficace pour communiquer. Depuis, les dernières campagnes politiques en France sont sans intérêt et se résument à un slogan sur le pupitre et à une image derrière le candidat. Finalement, ce sont des sommes folles dépensées en meeting, entre 300000€ et 1,5 M€ pour une minute à la télévision et un seul slogan. Alors que pour beaucoup moins cher, on pourrait faire de vraies campagnes comme celles qui se font dans tous les pays du monde. Toujours dans le respect de l’enveloppe prévue, et avec une publicité positive et non pas basée sur le dénigrement comme c’est le cas aux Etats-Unis.

Désormais, la 3e époque est celle du net. Qui fait que tout le monde peut parler avec tout le monde et que le média est gratuit. C’est donc l’idée qui fait la campagne. À l’époque, il fallait payer pour passer à la télévision. Aujourd’hui, il faut avoir une idée qui fait le buzz, et suffisamment forte pour donner envie de la partager. Une idée qui comporte en elle le pouvoir gratuit de diffusion. Cela a complètement changé la communication politique comme dans le cas d’Obama. Il a utilisé l’incroyable outil technologique pour lever une armée qui est ensuite allée faire du porte-à-porte. Il a utilisé le moyen le plus moderne de l’époque avec le plus ancien mode de vente, la vente à domicile.

La 4e époque est la plus dramatique. Aujourd’hui, c’est le net qui fait la campagne. Le net a sombré dans les fake news. On découvre que la campagne de Trump est une campagne qui a été volée, la campagne du Brexit est un vote qui a été volé. Et la dernière en date, celle du Brésil, elle aussi a été volée. C’est la démocratie qui est aujourd’hui en danger.

♦ Coup de gueule contre les GAFA ? « Que l’on garde la partie Bon Dieu du numérique et qu’on régule la partie Diable, pour qu’elle ne puisse pas détruire nos vies »

C’est à la fois un cri du cœur, de rage, d’alarme, mais aussi un cri d’espoir. Parce que c’est la publicité que l’on assassine, et notre personnalité, le plus grand hold-up du siècle. Les GAFA sont en train de créer un empire, un état numérique. Dans 30 à 40 ans, ils pourront gouverner le monde. Aujourd’hui les GAFA, c’est le PIB de la France, dans 10 ou 15 ans celui de l’Europe et dans 20 ou 30 celui du monde ! Donc 4 garçons dans le vent, dans des sociétés américaines, vont être l’empire le plus riche du monde. Un empire qui possédera toutes les données du monde pour les manipuler à sa guise. Ce qui est scandaleux, c’est qu’ils nous ont pillé ce que nous avions de plus intime, nos données les plus personnelles, sans nous les demander, sans les payer et sans payer leurs impôts.

En ayant fait ces fortunes, ils sont en train de ruiner le petit commerce et vont réussir à nous manipuler intégralement. Je ne veux pas de ce monde-là ! Mais ce monde, c’est aussi la part de Dieu. Celle où des chercheurs américains, grâce à un algorithme basé sur des milliers de données, sont capables en visionnant une photo, de vous de dire si un petit bouton est un mélanome ou pas.

La part du Diable, ce sont ces chercheurs de Stanford qui sur le même principe d’algorithme sont capables de dire si vous êtes homosexuel en regardant une simple photo de vous. C’est cette part de diable que je refuse ! Le jour où on a inventé la roue, il y a 6000 ans dans les contreforts de l’Europe de l’Est, on a inventé les accidents de la route et les États ont créé une prévention routière. Moi, je demande une prévention numérique.

♦ Résister face aux GAFA  ? « Il nous faut être les Gilets Jaunes du numérique »

Résister, c’est d’abord faire comme les Gilets Jaunes. Pousser les gouvernements à résister et à changer. Il faut que le gouvernement impose la loi antitrust créée en 1850 pour contrer John Rockefeller qui possédait 80% du pétrole dans le monde. Aujourd’hui, la puissance dans le monde, ce sont les données. À l’époque, c’était le pétrole. Les GAFA vont bientôt avoir 80% des données, mais la loi antitrust a obligé Rockefeller à scinder sa fortune en 4 pour n’en garder qu’un quart et à mettre le reste sur le marché. Il faudrait faire cela avec les GAFA.

Ensuite, il faut les obliger à payer des impôts et la France va le faire à partir de janvier. Je le demandais depuis 3 ans, et ce sont les Gilets Jaunes qui l’ont obtenu. C’est un début qui va rapporter 500 millions d’euros. Puis, ce sont les continents qui doivent agir. Et l’Europe a agi avec la réglementation de la RGPD [règlement de protection des données imposé par l’Europe entré en vigueur en 2018].

Il faut aussi que les GAFA se fassent la guerre entre eux. Comme ça, il y aura des morts. Aujourd’hui, ils sont tellement riches que quand quelque chose ne va pas, Facebook rachète WhatsApp 10 fois le prix. Mais demain, les Chinois, qui ont leurs propres GAFA, seront plus puissant que les Américains.

*Spin doctor : conseiller en communication et marketing politique agissant pour le compte d’une personnalité politique (source wikipédia)

**Cluster : Les clusters sont des réseaux d’entreprises constitués majoritairement de PME et de TPE, fortement ancrés localement, souvent sur un même créneau de production et souvent à une même filière. Dans une économie mondialisée, les clusters permettent, en fédérant les énergies, de conquérir des marchés qui n’auraient pas été accessibles par des entreprises seules. Source France cluster.

***GAFA : Acronyme de Google, Amazon, Facebook et Apple.

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Maïté Torres