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L’envers du réseau social Mym : Créateur de contenu érotique et manager témoignent à Perpignan

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La plateforme Mym, où sont largement partagés des contenus érotiques, connaît un succès grandissant. Alex*, créateur de contenu, Julien*, manager, et Monica Moulaï, consultante en santé sexuelle, nous dévoilent les dérives de cette plateforme. Focus sur cette sexualité virtuelle et tarifée, qui a trouvé son public dans les Pyrénées-Orientales.

Lancée à l’aube de la pandémie du Covid 19, la plateforme française Mym, acronyme de Me You More, permet à des influenceurs, sportifs et artistes de proposer un contenu exclusif à leurs abonnés. Mais à l’image d’OnlyFans, son équivalent anglais, le contenu à caractère sexuel a submergé le réseau social. Aujourd’hui, la plateforme compte plus de 400 000 créateurs et 17 millions d’utilisateurs dans le monde. En 2023, Mym enregistrait un chiffre d’affaires de 69 millions d’euros.

« Sur Mym, il y a de toutes les catégories socioprofessionnelles »

Alex a 30 ans, cet ancien créateur de contenu a découvert Mym un peu par hasard, lors d’une soirée entre amis. « On a joué au cap’ ou pas cap’, et j’ai eu pour défi de poster sur Mym », nous révèle-t-il. À l’époque, il publie du contenu de charme avec sa compagne. « Au début, je n’y croyais pas mais ça a fonctionné, c’est ça le pire ! » À force de travail, Alex se constitue une communauté fidèle de 180 abonnés. « Il faut être honnête, quand on est quelqu’un de lambda, comme moi, c’est très dur de percer. Il ne faut pas croire que c’est de l’argent facile. »

Si Alex se définit comme un « petit » créateur de contenu, cette activité lucrative lui rapporte tout de même 1 800 euros par mois, en plus de son salaire habituel. « J’ai pu me payer une nouvelle voiture », se félicite le jeune homme. « Sur Mym, il y a de toutes les catégories socioprofessionnelles », nous assure Alex, qui a rencontré des médecins, des infirmières, des policiers, des pompiers… Je connais même un élu qui poste sur Mym. Que ce soit du côté des consommateurs ou des utilisateurs, il y a tous les profils. »

Le modèle économique est le même pour tous les créateurs : 80% de l’argent qu’ils ont récolté leur est reversé, les 20% restants revenant au réseau social. Sur Mym, c’est le modèle qui fixe son tarif d’abonnement, celui d’Alex est passé de cinq à dix euros mensuels au fil des ans. « Pour attirer les clients on met quelques photos visibles et le reste est flouté. Les gens doivent s’abonner pour découvrir l’intégralité de notre profil. » Un commerce qui s’opère aussi en dehors de la plateforme, Alex nous assure qu’il a déjà vendu des photos de charme sur Twitter, devenu X. Un tremplin pour se faire connaître.

« Ce monde, je n’en veux plus »

Le jeune homme, qui travaille dans un lieu très connu de Perpignan, a su conserver son anonymat jusqu’au bout. « Je ne veux pas être un influenceur. Moins on me connaît, mieux je me porte », affirme-t-il. Lors de son inscription sur la plateforme, il choisit de renseigner une autre ville que Perpignan, pour brouiller les pistes. « Je n’avais pas envie que les gens viennent sur mon lieu de travail. » Alex prend toujours soin de dissimuler son visage, y compris pour les commandes privées.

En effet, les créateurs ont la possibilité de proposer un contenu personnalisé à leurs abonnés. Des demandes tarifées ouvertes à toutes sortes de fantasmes : « on m’a demandé de tourner des films pornographiques, on voulait me voir en train de déféquer… Certaines personnes m’ont même proposé d’avoir des rapports sexuels avec elles », se remémore-t-il.

Parmi les abonnés d’Alex, beaucoup de femmes aux profils aussi variés que les contenus demandés. Le jeune homme en rencontrera certaines. Aujourd’hui, il nous confie avoir définitivement stoppé son activité sur Mym. « Ce monde, je n’en veux plus », lâche Alex, qui se dit libéré d’un poids. « Je n’ai plus à me demander quelle photo ou vidéo je vais faire. Quand je rentre de ma journée de travail, je ne me prends plus la tête. Je sors mon chien, je joue à la Playstation ou je vais à la salle de sport… » Un retour à une vie « normale » qui n’est pas sans conséquence.

L'envers du réseau social Mym : Créateur de contenu érotique et manager témoignent à Perpignan

D’après les témoignages que Made in Perpignan a pu recueillir, pour certains modèles ayant du mal à joindre les deux bouts, « publier des photos érotiques en lingerie est bien plus lucratif que n’importe quel job. » Pour d’autres, la fuite des photos sur le web a réduit à néant les chances de trouver un travail classique, les contraignant à continuer leur activité sur Mym. Un véritable cercle vicieux.

Ces dernières années, la fuite de contenu est devenue monnaie courante sur la plateforme. Ainsi, de nombreuses photos ou vidéos sont volées avant d’être diffusées sur des canaux tels que Telegram. « On appelle ça des leaks« , nous confirme Julien, manager. Une fois répandu sur la toile, le contenu échappe totalement au contrôle de la plateforme et des créateurs.

Des adolescents présents sur la plateforme Mym

Sur le principe, l’accès à la plateforme est interdit aux moins de 18 ans, que l’on soit créateur ou consommateur. Des systèmes de vérification d’âge ont été mis en place, avec la demande de fournir un certificat d’identité. Mais ces mesures, bien que régulièrement renforcées, restent, selon Alex, facilement contournables. « Un jour, une fille m’a envoyé une photo de sa poitrine. Je lui ai demandé son âge, elle avait 15 ans ! Je lui ai dit que si elle me recontactait je préviendrais la police », nous raconte Alex.

En France, la majorité sexuelle est fixée à 15 ans. D’après Monica Moulaï, consultante en santé sexuelle, près de 2,3 millions de jeunes visionnent du contenu pornographique, à raison de 50 minutes par mois. Pour 53% d’entre eux, « c’est un moyen d’apprendre. » Monica intervient régulièrement au sein des établissements scolaires et au-delà des statistiques, elle rapporte la parole recueillie sur le terrain : « Les adolescents suivent sans difficulté certains comptes sur Mym. Ce sont des choses qui les font rire quand ils sont en groupe. Souvent, ils reconnaissent un influenceur de la téléréalité. »

Ce qui lui paraît problématique, c’est la catégorisation que l’on retrouve sur ces plateformes : « malheureusement, on retrouve trop souvent la culture du viol ou de l’inceste via ces catégories. L’utilisation d’un certain vocabulaire peut aussi être problématique pour des enfants. Il y a une représentation de performance, de corps toujours en érection et extrêmement musclé, la réalité est complètement déformée », alerte la spécialiste.

À son sens, consommer ce type de contenu peut être délétère pour des jeunes, surtout sans préalable éducation à la sexualité. Monica parle « d’ubérisation du sexe », « entre l’industrie du porno telle qu’on la connaissait et l’arrivée de ces plateformes, il y a une consommation de masse, avec un accès toujours plus rapide. »

Au-delà du visionnage de contenus érotiques ou pornographiques, il faut aussi s’inquiéter de la possible arrivée de mineurs en quête d’argent « rapide. » « Il y a une explosion des rapports tarifés chez les mineurs. On parle d’argent facile, mais émotionnellement, c’est très compliqué de se dénuder sans parler et de mettre en scène des rapports filmés », souligne Monica. Pour rappel, le fait de livrer son corps aux plaisirs sexuels d’autrui pour de l’argent et d’en faire un métier est considéré comme de la prostitution.

La dérive des agents Mym

Les modèles, jeunes ou non, peuvent également tomber sous l’emprise de « managers ». Ces agents Mym gèrent les comptes des créateurs de contenu sur la plate-forme, moyennant une commission. En clair, le manager « décharge » le créateur de tout ce qui touche au marketing et chatting (discussion avec les clients). « Une personne m’a déjà contacté pour me proposer ses services », nous confie Alex. Pour le jeune homme, « ces managers ne sont là que pour gagner de l’argent, sans se montrer et sans prendre de risque. » Il nous livre l’expérience d’une jeune modèle, qui sous la pression de son manager, aurait été forcée à avoir des pratiques sexuelles avec des abonnés.

Julien a accepté de nous en dire un peu plus sur son activité d’agent Mym. Il y a un an, il découvre ce milieu sur les réseaux sociaux. « J’adore les femmes et j’adore l’argent. J’ai essayé de lier l’utile à l’agréable », sourit-il. En apparence, ce jeune homme souriant, âgé de 23 ans, semble aux antipodes du sombre portrait dépeint par Alex. « J’ai commencé Mym en tant que créateur de contenu, avec une amie. J’ai vu que ça générait des revenus, donc j’ai continué sous la forme d’un management. C’est une rente plus facile, on va dire. Il n’y a pas besoin de s’exposer », explique-t-il simplement.

Le manager recrute généralement ses clientes sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’anonymes, âgées d’une vingtaine d’années, souvent dans une situation précaire. « J’ai pas mal d’abonnés sur Instagram, ça donne une crédibilité », assure le jeune homme. Une fois un contrat oral établi entre les deux parties, il faut convenir de la répartition des gains. « Lorsque je gérais les messages et le contenu, je prenais 40 à 50% de commission sur ce que ma cliente gagnait. Si je m’occupais juste de faire la promo, je demandais dans les 15-20%. » Grâce à son activité de manager, Julien affirme avoir gagné des milliers d’euros par mois.

Mym, une vitrine pour la prostitution ?

« Les gens parlent de proxénétisme virtuel, c’est une fausse idée de la chose », affirme Julien. « Le proxénétisme, c’est profiter de personnes en situation instable. Sur Mym, en l’occurrence, ce sont des femmes consentantes et dans la légalité. » Pourtant l’article 225-5 du Code pénal prévoit que le proxénétisme englobe notamment l’aide et l’incitation à la prostitution d’autrui, ou encore le fait d’en tirer profit.

Mais c’est dans la définition de la prostitution que se glisse la subtilité. En effet, la loi prévoit que seul le contact physique entre le solliciteur et la personne sollicitée qualifie l’acte de prostitution. Les managers de comptes érotiques peuvent donc se cacher derrière cette faille juridique.

Sur son site internet, la plateforme Mym encourage les managers à se faire connaître. Sur la base du volontariat, les agences doivent par exemple fournir le contrat qui les lie au modèle et leur consentement.

L’intelligence artificielle bouscule les codes de Mym

Comme sur Instagram, les créateurs de contenu érotique ont besoin de visibilité. D’après Julien, sans aucune promotion, le compte du modèle restera à zéro. C’est précisément là qu’il entre en scène. Certains modèles peuvent générer des milliers d’euros, d’autres, à peine une centaine. La stratégie du manager est à géométrie variable, en fonction de chaque cliente. « Je m’adapte à leurs besoins et j’essaie d’y répondre. Le prix d’un abonnement se situe entre cinq et trente euros par mois. Il faut savoir que si l’abonnement est cher, c’est un frein à l’achat », prévient-il.

La plupart des rentrées d’argent se font grâce aux demandes privées, sur mesure. « Un abonné peut très bien demander à ma cliente de se faire couler du cheddar sur le pied, pour une certaine somme », nous explique Julien, qui gère généralement la messagerie de ses modèles. « Si elle se sent de réaliser la demande, on le fait, sinon on laisse tomber. Je n’aime pas cette notion de pousser les gens à faire des choses qu’ils ne veulent pas. »

Aujourd’hui, beaucoup de créateurs se lancent sur Mym avec des modèles 100% générés par l’intelligence artificielle. « Moi, je vois ça d’un bon œil. Ils ont réussi à repérer un bon filon », souligne Julien, qui assure avoir cessé son activité de manager, par conviction personnelle. « Il y a moins de contraintes, plus de bénéfices pour l’utilisateur – qui n’a pas à partager ses gains – et il y a aussi moins de risques. » À l’image de la plateforme Fanvue, rivale d’OnlyFans ou MYM, qui dispose d’un éventail de profils mettant en scène des modèles d’IA.

*prénom d’emprunt

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Célia Lespinasse