Parvenir à franchir le seuil du monde institutionnel. C’est ainsi que Mireille et Rémi, alias Rémireille, résument ce que leur a offert leur récente résidence à l’Archipel, scène nationale de Perpignan. Une semaine pour répéter, peaufiner, ajuster, mais surtout espérer – qu’à la marge du réseau, on leur ouvre enfin des portes.
« On avait déjà fait des résidences pour la création. Mais ici, c’était autre chose : une façon de rentrer dans le milieu moins alternatif, plus officiel », confie Rémi, dessinateur de presse au long cours, passé par Hara-Kiri, Libération et les marges militantes. Leur duo artistique, qui a émergé de leur relation de couple pendant le confinement, est une forme hybride, mêlant cinéma d’animation en stop-motion, automates fantasmagoriques et charnels, ciné-concert et performance sous tente, nourri d’objets trouvés et de voix anonymes.
C’est justement une cassette audio récupérée dans une poubelle qui a donné naissance à « Janine », leur spectacle. Une voix de femme, furieuse, bouleversée, crue et drôle, qui laisse des messages incendiaires sur un répondeur. Une matière sonore brute, montée en théâtre d’animation, bruitages en direct et musique live. Un spectacle protéiforme, sanglant, punk et merveilleux, que ses auteurs déconseillent à un public de moins de quinze ans.
Une scène nationale, un tremplin ?
Ce type de création inclassable peine à circuler. « On a un vrai succès public, les retours sont bons, mais pour ce qui est des gens qui décident, c’est plus compliqué », admet Mireille. L’Archipel leur a donc offert un espace et un cadre pour tester, montrer, faire exister.
Le point de départ ? Une rencontre humaine. L’année précédente, Rémi était invité pour l’ouverture de saison avec ses automates. De fil en aiguille, des liens se nouent avec Jackie, Françoise, Sylvie, Christine – des membres de l’équipe que Mireille qualifie avec tendresse de « fées penchées sur notre berceau ». L’occasion d’une résidence s’ouvre alors, même si le duo insiste : « Ce n’était pas une résidence dans les règles comme ils en font ici, ils nous ont glissé entre deux projets, mais ils nous ont donné toute l’aide technique possible ».
Ce que permet une résidence
« Un lieu chauffé », sourit Mireille. C’est déjà beaucoup pour le couple qui travaille d’ordinaire dans sa grange dans la Creuse. Une équipe technique pour monter et démonter leur dispositif complexe en deux heures, au lieu de six. L’accès à des outils, à un local. Autant d’éléments concrets mais essentiels. « Juste pouvoir travailler avec la tente montée, c’est déjà énorme. On ne peut pas faire ça chez nous », souligne Rémi. La résidence leur permet aussi de filmer le spectacle, pour démarcher d’éventuels programmateurs. « Tout seuls, on filme avec nos moyens, l’appareil cherche la netteté dans le noir… Ce n’est pas idéal. »
Sur le plan artistique, plusieurs effets ont été testés ou intégrés : des rideaux qui recadrent l’image, une cellule sonore collée sous la table pour capter les sons en direct, une séquence retravaillée autour de la langue, ce personnage à part entière du spectacle. « C’est une chorégraphie en soi. Il faut que [la langue] ait une vie propre. »
Et puis, il y a tout ce qui gravite autour du matériel : l’écoute, le regard extérieur, les liens humains. « Concrètement, c’est aussi la rencontre avec Made in Perpignan, avec ceux qui viennent. Ça, c’est précieux. » A la fin de leur spectacle de sortie de résidence, mercredi 26 mars, le duo s’est tourné vers la salle pour lui demander son avis. Le public, séduit, a pu poser ses questions, partager ses impressions.
Autre nouveauté pour le duo : des horaires de travail. La convention de résidence signée avec l’Archipel leur impose des journées de 9h à 18h, et un jour de relâche le dimanche. Rémireille sourit, puisque d’habitude, « nos journées de travail, elles s’arrêtent quand on a fini ce qu’on avait décidé de faire ».
Et après ?
Rien n’est garanti. Pas encore beaucoup de contacts transmis, pas de coproduction en vue. Mais peut-être un retour à l’Archipel, une programmation future. Peut-être une porte qui s’ouvre ailleurs, dans une autre scène nationale – elles sont environ 70 en France. « On ne sait pas si ça va rayonner, mais au moins on aura essayé. »
Le spectacle présenté, jugé « poétique et grossier » à la fois par les spectateurs, interroge, dérange parfois. Mais cette semaine à l’Archipel a permis de vérifier une intuition : « Même dans un endroit comme ça, où les gens ont l’habitude d’un certain format, ça fonctionne. Les gens ne baissent pas les yeux. On ne dénote pas. »
La suite se jouera peut-être en Allemagne. Une version traduite existe, une autre est sous-titrée pour sourds et malentendants. À la fin de leur restitution, Mireille conclut : « Sans l’Archipel, on ne serait pas là devant vous. » Reste à espérer que ce moment partagé, cette tente dressée pour une poignée de spectateurs, amorce une route plus large. Pour que des créations singulières, fragiles mais puissantes, trouvent leur place, au-delà de l’alternatif.
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