Article mis à jour le 15 juin 2025 à 18:08
En France, entre 1% et 2,5% de la population serait atteinte d’un trouble bipolaire. Dominique, 80 ans, fait partie de ce million et demi de Français concernés. Elle a consacré 20 ans de sa vie à la Maison Bleue, une association qui accompagne des personnes souffrant de maladies mentales dans les Pyrénées-Orientales.
« Je pense que nous sommes les personnes les plus habilitées à parler de nos besoins », entame Dominique, qui témoigne de 50 ans de psychiatrie. Derrière ce mot, il y a les traitements, les hospitalisations, les périodes maniacodépressives… « J’ai fait 15 tentatives de suicide et trois comas », dit-elle doucement. « J’ai deux filles, ces épisodes ont été très turbulents pour elles. » À de multiples reprises, la vie de Dominique et celles de ses proches a volé en éclat.
« J’ai été hospitalisée, sédatée, enfermée dans les hôpitaux »
Dominique a cette croyance profonde que tout peut se dire, tout peut s’expliquer, même les douleurs les plus profondes. Son action est avant tout de faire comprendre la maladie. « Les personnes atteintes de grandes variations émotionnelles sont incomprises. Il n’y a pas si longtemps, c’est l’asile qui nous attendait », raconte-t-elle. Dominique nous décrit une prise en charge traumatisante. « J’ai été hospitalisée, sédatée, attachée, enfermée dans les hôpitaux. Je ne sais même pas comment je me suis relevée. Si ce n’est peut-être l’amour de mes proches, parce qu’on n’est plus rien. »
Depuis l’enfance, les émotions de Dominique sont décuplées. « Petite, je me disais qu’il y a un truc qui n’allait pas, que je n’étais pas sur ma planète. » À l’école ou en famille, Dominique porte un masque. « J’avais comme un oursin à l’intérieur de moi qui me piquait. » Malgré la douleur, elle conserve son petit air tranquille. Personne n’a rien vu. « J’ai toujours vécu les choses à fond la caisse, c’est comme une voiture qui roule à 200 km/h et qui se prend un mur. Pour atténuer ça, il y a des traitements. C’est nécessaire pour ne pas exploser. »
Dominique pointe du doigt une autre réalité : la précarité, qui s’ajoute souvent à la discrimination. « Pour les personnes malades, c’est la double peine. » En effet, le travail aide et fragilise à la fois. S’il est possible de travailler avec une maladie mentale, « on peut parfois se mettre en danger », avertit-elle.
Dominique travaillait quand son état a doucement commencé à se détériorer. « Ça s’est traduit par un divorce, une rupture professionnelle, des déménagements. Je n’étais toujours pas diagnostiquée. Quand j’allais mal, je me cachais. » À 37 ans, elle fait une première tentative de suicide. Elle est hospitalisée en soins intensifs, puis en hôpital psychiatrique. « Je demandais juste de l’aide. »
« Vous êtes complètement seule et démunie »
Dominique fait face à une fragilité psychique handicapante et se retrouve seule, en rupture professionnelle et familiale. « Je suis partie vivre quelques années à Amsterdam, sur un coup de tête », lance-t-elle. À l’issue d’un épisode suicidaire, on la renvoie rapidement chez elle, avec la possibilité de se rendre dans une maison pouvant l’accueillir si ses angoisses refont surface.
« Je suis sur mon petit canapé, ma télé en face de moi, il n’y a plus rien qui m’intéresse », raconte Dominique. « Je n’ai pas de quoi acheter un journal, ni même aller au cinéma. » Dans sa pharmacie, elle a son sac de médicaments à disposition. Elle se dit qu’elle pourrait tout avaler d’un coup, « c’est comme avoir un pistolet dans la main. Dans cette situation, vous êtes complètement seule et démunie. » Dominique a le courage de pousser la porte de cette maison dont on lui a parlé. Là-bas, elle trouve un refuge, on lui offre un café, elle retrouve du lien social. « C’était ouvert jour et nuit », souligne-t-elle. « Ça m’a sauvée. »
Au début des années 2000, elle s’installe à Argelès-sur-Mer, « je cherchais le même genre de maison en France, mais il manquait cette étape sur le chemin du rétablissement », soulève Dominique. Sur son petit vélo néerlandais, elle se dirige vers le centre médico-psychologique. « J’ai ouvert la porte et j’ai demandé devant les yeux éberlués des médecins ‘elle est où la maison ? Là où je peux aller avec mon petit vélo quand je vais mal ?’ ». Sur le département, il n’existe aucune structure semblable à celle qu’elle a connue à Amsterdam.
Sans réponse, elle décide alors de créer une première association « Destination avenir », à Argelès-sur-Mer, qu’elle imagine sans personnel soignant. Un lieu qui permet une réhabilitation sociale par le biais d’ateliers artistiques, sportifs et de moments conviviaux. « Nous avons créé un espace en complémentarité du soin, pour faire face à la solitude et à la précarité », affirme Dominique. La demande est telle qu’une deuxième association, localisée à Perpignan, est créée : Advocacy 66. « On a trouvé une maison et on s’est installés. »
À l’époque, la bâtisse défraîchie était de couleur bleue, comme dans la chanson de Maxime Le Forestier. « C’était notre maison bleue peuplée de fous et de lumière », sourit Dominique. Aujourd’hui, les locaux de l’association se trouvent rue du Marché de Gros, dans le centre-ville de Perpignan.
La Maison bleue, un nouveau regard sur la psychiatrie
Les bénévoles de la Maison Bleue accompagnent des personnes bipolaires, schizophrènes ou atteintes de dépression sévère. « Ces hommes et ces femmes, âgés de 18 à 75 ans, sont issus de tous les milieux socioprofessionnels », décrit Dominique. L’association propose une dizaine d’activités, des tournois sportifs, des rencontres culturelles. « Nous avons fait de nombreux voyages avec notre troupe de théâtre », se remémore Dominique, qui voit chaque jour les bénéficiaires s’épanouir un peu plus. « D’un seul coup, vous avez des personnes capables d’apprendre des textes. Sur scène, ils sont extraordinaires ! »
En parallèle de ses activités à la Maison Bleue, Dominique rejoint divers groupes de travail représentant les usagers de la psychiatrie. Elle participe à des colloques parisiens et européens. « J’ai passé un diplôme en santé mentale communautaire. J’interviens auprès de professionnels exerçant dans des services sociaux ou auprès de certains psychiatres. » Après tant d’années de souffrance, on lui donne enfin la parole.
« J’ai eu la chance d’être en tribune au ministère de la Santé. Avant les années 2000, les médecins soutenaient qu’il ne fallait pas annoncer le diagnostic aux malades. Quand on a un cancer, c’est mieux de le savoir tout de suite pour se soigner. Là, c’est pareil. Nous avons besoin de comprendre », déplore Dominique. Aujourd’hui le manque de professionnels se fait cruellement ressentir. « Il n’y a plus de psychothérapie. Le médecin est devenu un ordonnancier », dénonce-t-elle.
Les difficultés perdurent autour de la prévention et du parcours de soins
« La grande théorie, c’est qu’on manque d’hôpitaux et de lits. Mais non ! Des lits, il y en a assez. À la Maison Bleue, nous avions créé une pièce de théâtre, nous l’avions appelée Debout. Nous ne voulons pas être allongés, ni enfermés. » Aujourd’hui, Dominique a pris une retraite bien méritée, après avoir défendu de longues années les usagers de la psychiatrie.
Si en 2025, la santé mentale a été élue grande cause nationale, les difficultés perdurent autour de la prévention et du parcours de soins. Pour rappel, il existe plusieurs lieux ressources dans les Pyrénées-Orientales, comme La Maison Bleue, le groupe d’entraide mutuelle L’Escale ou l’UNAFAM (Union Nationale de Famille et Amis Malades).
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