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Un sapin de Noël local, c’est possible 

A Reynès, dans les Pyrénées-Orientales, Etienne Arnaudiès s’est lancé il y a près de dix ans dans la culture de sapins. Aujourd’hui, ses arbres arrivent à maturité et l’exploitant propose un concept de vente original : armés d’une scie, ses clients choisissent directement dans les champs le sapin qui décorera leur salon. Reportage.

Les enfants courent dans tous les sens. Excités comme des puces, ils partent à l’assaut du vaste champ de culture qui s’étend en pente douce devant eux. Slalomant entre les sapins, ils font la course pour atteindre le point culminant de la plantation. La vue y est belle, donnant sur les collines du Vallespir teintées des couleurs d’automne. Derrière, les parents et grands-parents suivent tant bien que mal. Souvent, les enfants ont le dernier mot et ce sont eux qui choisissent l’élu. Equipée de la scie fournie, la famille coupe alors le sapin elle-même. La goutte de sueur perle vite au front de celui qui se dévoue. Ensuite, il faut encore porter l’arbre jusqu’à la cabane qui sert de caisse. Là on sert le vin chaud, dans une ambiance sonore rythmée de chants de Noël. Pour finir, le sapin est emballé et chargé dans la voiture. 

Durant tout le mois de décembre, les familles défilent sur les terrains des Sapins du Vallespir, d’Etienne Arnaudiès. Avant de voir pousser ces arbres-là, les terres familiales abritaient d’autres cultures, plus classiques pour les Pyrénées-Orientales. « Il y avait de la vigne, de l’abricot, un peu de pêche aussi, explique Etienne… Mais les vergers ont vieilli et nous avons pris la décision de tout arracher pour lancer une nouvelle culture ». 

Une question s’impose : comment valoriser ces terres pentues, entourées de bois et devenues difficiles à exploiter en arboriculture ? L’idée du sapin de Noël s’impose dans l’esprit d’Etienne. Une culture atypique dans le Vallespir, mais adaptée au terrain. D’autant que l’idée n’est pas sortie de nulle part. Avant de se lancer, le quadragénaire s’est formé sur le terrain en allant voir comment travaillaient d’autres producteurs. Il a contacté des exploitants un peu partout en France, s’est déplacé en Bourgogne, dans les Alpes, a passé des journées entières dans des plantations, observé les pratiques, posé des questions, noté, comparé. Une formation informelle, par l’échange et l’observation.

Dix ans de soins avant d’orner les salons pour les fêtes

Le sapin impose toutefois une temporalité inhabituelle. « Avant que ça devienne grand, il faut quasiment dix ans. Et pendant 10 ans, il faut s’en occuper », détaille Etienne. Il a aussi fallu croiser les doigts. Car miser sur le sapin signifiait donc dix années sans récolte et sans retour immédiat sur l’investissement consenti. Une patience à rebours des rythmes agricoles habituels.

Cette période a aussi permis à Etienne Arnaudiès de découvrir, observer et ajuster. Car derrière l’image rustique du sapin se cache une technicité. La taille débute à partir de la troisième année. Vient ensuite une gestion fine de la forme, le pincement de la tête pour maîtriser la croissance, une fertilisation raisonnée, et surtout une observation permanente. Chaque arbre évolue différemment, selon le sol, l’exposition, les aléas. Il faut sans cesse adapter les techniques au contexte local.

Cette exigence s’inscrit dans une approche non intensive revendiquée. Pas de désherbage chimique, pas de traitements, priorité à l’entretien mécanique et à la recherche d’équilibres naturels. « Tant qu’il n’y a pas de maladie, je ne fais rien. C’est bio sans l’être », résume Etienne en se félicitant que ses sapins n’apportent pas dans les maisons des fongicides et autres résidus de produits chimiques. 

Circuit court et production raisonnée 

Le modèle économique repose sur le circuit court et la lutte contre le gaspillage. « On n’a pas de pertes. On en prend au fur et à mesure. Un arbre qui n’est pas coupé cette année continuera de grandir un an de plus ». Étienne Arnaudies oppose clairement ses arbres à ceux qui arrivent par palettes industrielles du nord de la France. Dans les Pyrénées-Orientales, des pépiniéristes ont tenté de lui acheter de gros volumes, mais il a refusé. Trop éloigné de sa logique. Ici, la production reste à taille humaine, ajustée à la demande.

Pour la suite, la montée en puissance se fera progressivement, sans emballement. Etienne plante chaque année. « D’abord, j’ai fait 500 arbres à la main. Maintenant, on est sur 3 000 à 4 000 tous les ans ». L’objectif, à terme, est d’en avoir environ 2 000 à vendre chaque année. 

Dans un département frappé par la sécheresse, le sapin apporte un contre-récit inattendu. Les arbres ont besoin d’eau les premières années de leur vie (comme pour toute culture). Goutte-à-goutte, aspersion, paillage : plusieurs approches ont été testées avant d’affiner les pratiques. «Après, une fois qu’ils sont enracinés, ils n’ont quasiment pas besoin d’eau». Reste aussi la question de la chaleur. D’après Etienne, les nordmann, majoritaires sur l’exploitation, résistent mieux que l’épicéa. Durant l’été, les arbres se mettent en « pause ».

Au-delà du sapin et de l’esprit de Noël, ce projet raconte autre chose. Une tentative de réinventer l’agriculture de moyenne montagne. La volonté de redonner une fonction productive à des terres marginalisées. Et la création de lien social autour d’une exploitation fréquentée par des familles. Une autre façon de faire pousser l’avenir.

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Sébastien Leurquin