Article mis à jour le 20 février 2025 à 15:43
En France, plus de 50 tonnes de cocaïne ont été saisies par les services chargés de la lutte anti-stupéfiants, en 2024. Soit plus du double de la quantité saisie en 2023 (23,2 tonnes). Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, près d’un million de Français a déjà consommé de la cocaïne, au moins une fois.
Alors que la guerre aux narcotrafiquants est déclarée avec toujours aussi peu d’efficacité, il n’a jamais été aussi facile de se procurer de la drogue. Partout en France, le « Uber shit » tourne à plein régime. Ce nouveau service permet de commander des stupéfiants et de se faire livrer à son domicile, via les réseaux sociaux ou des messageries cryptées comme Telegram.
Un phénomène qui prend de l’ampleur
Si le marché de la drogue était déjà très développé sur internet, le réseau « Uber Shit » s’est structuré pendant les années Covid. « On peut absolument trouver tout type de drogue », affirme Régis Bouquié, pharmacologue et chef du service du CSAPA* Aline Vinot. Héroïne, cocaïne, amphétamine, kétamine… un véritable tsunami blanc submerge l’Hexagone. Et les Pyrénées-Orientales ne sont pas épargnées.
Selon un article de Libération publié le 12 février 2025, et qui reprend les propos du procureur de la République, le département serait même « le nouveau point d’entrée pour la cocaïne en France » : « Depuis 2023, les contrôles sur l’A9, au niveau de la frontière franco-espagnole, confirment l’apparition d’un nouveau passage pour le transit de cocaïne en provenance d’Amérique latine. Depuis le début de l’année, douaniers et policiers postés sur l’autoroute Barcelone-Perpignan ont déjà mis la main sur 545 kilos de cocaïne venus d’Espagne. Jusque-là, c’est le port du Havre qui était considéré comme la principale porte d’entrée de la poudre blanche en France. » Pour rappel, les douaniers n’avaient saisi que 15 kilos en 2023.
Mais qui sont ces consommateurs ? « Monsieur et madame tout le monde », nous affirme une source policière. « Aujourd’hui, des grands-mères viennent récupérer leur dose sur les points de deal de Perpignan. Avec ces nouveaux modes de consommation, il est devenu plus simple de se procurer de la drogue. » Selon les forces de l’ordre, deux types de consommateurs coexistent : le premier se déplace directement sur les points de deal. Le deuxième se fait livrer ses substances, « parfois en même temps que sa pizza », ironise le policier. « Aujourd’hui, vous pouvez très bien appeler un dealer et vous faire livrer chez vous ou en soirée. »
La livraison, gage de discrétion pour le dealer et le consommateur
« Toutes les couches de la société sont consommatrices », indique Régis Bouquié, certains consommateurs se font même livrer des drogues de synthèse. « Ce sont des usagers qui ont déjà une expérience. Il y a des produits très confidentiels que vous n’allez pas retrouver sur un point de deal. Donc, à ce moment-là, vous pouvez être amené à les commander en ligne. »
Passer par la livraison évite au consommateur de s’exposer, « il y a moins de risques, à la fois pour les usagers et pour les dealers », souligne l’addictologue. D’autant plus que la commande en ligne permet d’obtenir sa consommation en quelques minutes.
Néanmoins, le policier nous confirme que les points de deal restent très actifs à Perpignan. « Certains barbershops ou épiceries de nuit fonctionnent comme des points de collecte. » Après s’être approvisionné, le livreur arrive en scooter ou à trottinette au pied de votre porte, dans l’heure qui suit. Il suffit d’envoyer un message, préciser le type de drogue, la quantité souhaitée et son adresse. « Il y a quelques jours, nous avons interpellé un homme en scooter. Il était en possession de bonbonnes de cocaïne. C‘est très dissimulable, on peut le cacher partout », déplore le policier.
Promotions, tarifs dégressifs et relances commerciales…
L’ubérisation permet à ces réseaux de se professionnaliser, avec des pratiques de ventes innovantes et un marketing « agressif ». « Plus vous en achetez, plus vous avez des tarifs dégressifs, des relances commerciales… C’est une sorte de service après-vente », nous explique Régis Bouquié. Une fois que le consommateur mord à l’hameçon, il est constamment sollicité. Un véritable engrenage.
Pour l’usager, le plus dur est de vivre avec une tentation permanente. Des notifications Instagram, Snapchat, Whatsapp ou Telegram abondent sur son smartphone, provoquant une envie irrépressible d’acheter. Les méthodes utilisées ne sont pas éloignées d’une logique commerciale, avec un aspect promotionnel et un marketing en béton. Pour le dealer, chaque heure perdue est un risque de voir son client partir.
« Des enquêtes montrent que certains narcotrafiquants ont développé leur propre plateforme de livraison. C‘est un marché qui évolue en même temps que la technologie », nous révèle le policier. Aujourd’hui, la commande est pratiquement passée auprès du narcotrafiquant. « S’il y a moins d’intermédiaires, la marge bénéficiaire est plus forte. Disons que le prix du marché reste le même, mais le narcotrafiquant est rétribué plus facilement », assure-t-il.
« Avant, la cocaïne était produite en Amérique du Sud, elle transitait par la mer ou par avion, puis elle arrivait au sud de l’Espagne, au Maroc ou au Havre », nous explique Régis Bouquié. Au fur et à mesure, la poudre blanche se déploie sur le territoire, via de nombreux intermédiaires… « Le consommateur allait voir le dealer le plus proche, parfois au coin de la rue. Celui-ci était peut-être le dixième intermédiaire de cet écosystème. Alors que maintenant, le consommateur est en mesure d’acheter sur une plateforme centralisée, qui active un réseau local afin de se faire livrer facilement, sans bouger de chez soi. »
Depuis plusieurs années, la drogue est plus concentrée, plus puissante. Les taux de concentration en héroïne ou en cocaïne ont doublé. Un produit plus pur qui fait de la consommation un jeu de hasard, potentiellement mortel. « La cocaïne saisie atteint parfois des taux de concentration supérieurs à 90% », assure Régis Bouquié. À titre de comparaison, en 2023, la teneur moyenne était de 73%.
Des contrôles, au petit bonheur la chance
S’il est avéré que le « Uber shit » prend de l’ampleur partout en France, les forces de l’ordre sont démunies face à l’explosion du trafic. « Il est très complexe d’identifier ce trafic, nos pouvoirs techniques sont très limités », confirme le policier, qui n’a pas accès aux messageries cryptées. Sur le terrain, ces livraisons sont difficiles à intercepter et les commandes bien cachées. « On maintient une surveillance. Les personnes interpellées sont souvent connues des services de police », ajoute-t-il.
Dans certains quartiers de Perpignan, la guerre gronde : « il y a des règlements de compte, certains ne voient pas d’un bon oeil ce nouveau marché, c’est concurrentiel », nous explique l’agent. Pour l’heure, ce phénomène de livraison ne semble pas s’être étendu à d’autres villes du département. Encore confidentiel, le phénomène émerge tout juste à Perpignan.
*Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
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