Le 31 mars, c’était la fin de la trêve hivernale. Le département, déjà confronté à une précarité structurelle, s’apprête à affronter une reprise des expulsions locatives dans un contexte où les filets de sécurité s’effilochent.
Une vague nationale qui s’accroît chaque année
24 000 ménages expulsés en 2024 en France : le chiffre, inédit, dépasse le précédent record de 19 000 expulsions en 2023, et a plus que doublé en dix ans. C’est le constat fait par la Fondation pour le Logement des Défavorisés (anciennement Fondation Abbé Pierre), dans son rapport du 4 février 2025.
Si les chiffres pour 2025 ne sont pas encore connus, tant au niveau national qu’au local, il n’y a pas de raisons pour que les Pyrénées-Orientales, territoire marqué par un taux de pauvreté supérieur à 20 % et une offre de logements sociaux saturée, échappent à cette spirale. Fin janvier 2025, 22 500 personnes étaient inscrites en demande de logement social, soit une augmentation de 34 % en un an. En face, seules 690 livraisons de logements locatifs sociaux sont prévues pour 2024.
Des expulsions qui ne s’arrêtent jamais vraiment
Contrairement à une idée reçue, la trêve hivernale ne suspend pas les procédures d’expulsion, seulement leur exécution. « Entre le 1er novembre et le 31 mars, les gens continuent à recevoir des jugements, des commandements de payer, des assignations au tribunal », explique une juriste de l’ADIL 66, l’Agence départementale d’information sur le logement. « Le 1er avril, les expulsions effectives reprennent. Mais les locataires ont souvent été informés de leur situation depuis des mois. »
Entre incompréhension juridique et panique tardive
« Une part non négligeable des personnes concernées pensent encore qu’on ne peut pas les expulser si elles ont des enfants, sont âgées ou en situation de handicap », note la juriste. « Ce n’est pas vrai. Et le problème, c’est que ces personnes-là ne nous contactent souvent qu’au dernier moment, quand elles reçoivent une convocation à la gendarmerie, à la demande du préfet, pour organiser leur expulsion. Là, c’est la panique. »
Depuis la loi Kasbarian-Bergé, dite « anti-squat », le juge ne peut plus accorder de délai de grâce s’il n’est pas expressément demandé par le locataire en audience. Or, aller au tribunal peut intimider, pour celles et ceux qui n’en ont pas l’habitude. « Avant, un magistrat pouvait d’office suspendre la clause résolutoire du bail. Aujourd’hui, il faut impérativement que le locataire se présente ou se fasse représenter, et formule lui-même la demande. S’il ne le fait pas, l’expulsion est inévitable, même si la dette a été apurée. »
Se reloger après l’expulsion, un parcours du combattant
D’après les données recueillies en 2022 par la Fondation pour le logement des défavorisés, l’impact sur les personnes concernées est multiple, et touche en particulier les femmes seules avec enfants.
Dans 29% des cas, l’expulsion entraîne aussi la perte d’un emploi. Pour se reloger, près de la moitié des personnes concernées doivent s’appuyer sur leur entourage – amis ou membres de la famille – pour trouver une solution temporaire. D’autres, faute d’alternative, sont hébergées à l’hôtel, ou basculent dans des solutions de fortune : campings, mobile-homes, voire véhicules personnels. Pour certaines familles, vivre dans sa voiture devient la seule issue.
Environ 10 % d’entre elles ont connu une période de vie à la rue dans leur parcours. Si 68 % des ménages parviennent à retrouver un logement pérenne, il leur faut en moyenne onze mois. Pour les autres – plus d’un tiers des personnes suivies –, l’errance peut durer entre un à trois ans.
Une offre de logements durablement déstabilisée
L’accès au logement reste un casse-tête dans le département. En 2023, seuls 428 logements sociaux ont été livrés, bien en dessous des besoins. « L’offre à l’année s’effondre aussi dans le parc privé », alerte l’ADIL. Plusieurs phénomènes se cumulent : montée de la location saisonnière dans les zones touristiques, pression réglementaire liée aux nouvelles normes énergétiques, et vieillissement des propriétaires. « Lors de la publication de la loi Climat et Résilience, on a eu un afflux de congés pour vente. Jusqu’à quatre par jour. Des bailleurs ont préféré vendre plutôt que de s’engager dans des travaux. »
Des outils, mais une prévention qui atteint ses limites
Pourtant, des dispositifs existent. Une charte de prévention des expulsions a été signée en 2020 par la préfecture et le conseil départemental. La CCAPEX, Commission de coordination des actions de prévention des expulsions, l’UDAF 66, Union départementale des associations familiales, ou encore le mouvement associatif SOLIHA (Solidaires pour l’Habitat) tentent de trouver des solutions avant qu’il ne soit trop tard. Le Plan Départemental d’Actions pour le Logement et l’Hébergement des Personnes Défavorisées 2024-2030 prévoit également un renforcement de l’accompagnement des publics fragiles.
Mais certaines structures font déjà beaucoup, comme le rappelle l’ADIL. « On traite plus de 8 000 demandes par an. Notre quotidien, ce sont les rapports locatifs ».
Une équation sans issue ?
Du côté des propriétaires, la situation est également tendue. « Beaucoup louent pour financer une maison de retraite ou un crédit. Un impayé peut tout faire basculer », rappelle l’ADIL. Des dispositifs comme la caution gratuite Visale d’Action Logement, élargie ces dernières années, ont tenté de rétablir la confiance. Sans endiguer la fuite vers la location touristique ou la vente.
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