Aller au contenu

Violences contre les femmes : À Perpignan, ces rares groupes de parole réunissent des auteurs

Article mis à jour le 25 novembre 2025 à 07:55

En 2002, l’association APEX* de Perpignan lance un programme alors expérimental et difficile à faire accepter, inspiré de protocoles canadiens : des groupes de parole pour les auteurs de violence. Aujourd’hui encore, ce type d’accompagnement reste peu fréquent en France. Photo d’illustration © Dylan Gillis – Unsplash

« On recevait des femmes qui nous disaient des choses terribles de ce qu’elles vivaient en couple », se souvient Valérie Fontimpe, coordinatrice de l’APEX, « et puis elles retournaient vivre avec l’homme, et c’était comme un échec pour nous. » Sans abandonner le soutien aux femmes, les travailleurs sociaux décident alors de travailler sur le comportement des auteurs de violence.

« Il n’existait rien de semblable sur le département. C’était décrié. Déjà on parlait peu des femmes victimes de violence, alors s’intéresser aux hommes était encore plus impensable. Les mouvements féministes craignaient qu’on chouchoute les hommes. »

À partir de 2005, l’APEX reçoit non seulement des volontaires mais aussi des auteurs de violences orientés par la justice. Les groupes de parole, réunissant les travailleurs sociaux et moins de dix auteurs, s’organisent sur une vingtaine de séances pendant six mois. Plus récemment, la justice oriente aussi vers des stages de deux jours, qui permettent d’apporter quelques bases mais restent très succincts par rapport au format long.

Sur 186 auteurs de violences conjugales, plus de 80 % d’hommes

Au total sur 186 orientations d’auteurs de violence cette année, l’APEX a reçu une trentaine de femmes et un peu plus de 150 hommes dont seulement une vingtaine a été volontaire pour les groupes de parole longs, les autres se contentant souvent du stage court. Des hommes qui parfois ne se présentent même pas, cherchant à esquiver l’obligation et s’exposant à des sanctions.

Ce qui marque avant tout c’est la diversité des publics. Les auteurs de violence appartiennent à toutes classes sociales. « On a des gens dans l’informatique, des entraîneurs sportifs, un restaurateur, un dentiste… »

En revanche des profils comportementaux reviennent souvent dans les relations toxiques. Les caractères égocentrés chez les auteurs et effacés, par réaction, chez les victimes sont fréquents, de même que le désir de contrôle de l’autre. Jalousie exacerbée, utilisation d’outils numériques pour traquer la victime… Le tout dans un huis clos avec des attitudes bien différentes à l’extérieur. Les auteurs savent se montrer irréprochables en public.

Arrivés dans le groupe de parole, les hommes oscillent entre honte et déni, avec une tendance à minimiser les faits, voire à pointer encore la femme comme responsable. « Ce n’est pas facile de parler de ce qui sociétalement est immoral ou illégal. » Le travail va moins porter sur l’empathie que sur la capacité des auteurs à gérer leurs frustrations. « On va voir ce qui se passe à l’intérieur de lui au moment où la violence monte. »

Lacunes d’éducation, violences vécues et répétées, représentations sexistes…

« Il y a une frustration, les auteurs attendent de la part de leur conjointe la réparation d’une blessure, et ce n’est pas venu. » Valérie Fontimpe évoque ces abandons ou ces violences conjugales déjà vécues dans la famille de l’auteur, qui sont rejouées plus tard, même quand on s’est promis de ne pas ressembler à ses parents. Les lacunes dans l’éducation sont légion.

« Nous sommes issus d’une société où la femme était loin d’être l’égal de l’homme, les violences dont nous parlons aujourd’hui étaient inscrites dans la culture familiale. En milieu rural on n’en parlait pas du tout, ça a pu perdurer plus longtemps encore. »

Les hommes violents ont parfois du mal à se reconnaître comme tels « Ils ont cette image de l’auteur de violences toxico ou alcoolique, criminel, précaire… et se disent ‘je ne suis pas cet homme-là’. »

Des hommes parlent encore de devoir conjugal

Beaucoup reste à déconstruire. Ainsi, en 2025, des hommes présents aux groupes continuent de mentionner le devoir conjugal… La notion de chef de famille, ou encore des enfants qui doivent être les petits clones du père, revient également.

Valérie Fontimpe se souvient de ces drames qui ont émaillé les accompagnements, comme ce pompier qui trompait régulièrement sa femme et n’a pas supporté qu’elle finisse par l’apprendre et souhaite le quitter.

« Il avait des critères très stéréotypés sur le genre, pensait qu’une femme ne devait pas être pompier, par exemple. Il n’a pas supporté la séparation et il est devenu violent. Il a été évincé du domicile. Il a fini par se suicider au moment de la vente de la maison. »

Parmi les outils donnés à l’auteur de violence, le repérage de ses propres signaux de montée des émotions avant l’explosion, et des techniques d’apaisement. « La montée en pression peut prendre plusieurs mois, l’auteur de violences commence à se sentir mal, fait des réflexions. Il a besoin de vider une pression et cherche le conflit, alors que les victimes essayent par tous les moyens de l’éviter, se taisent… »

Casser l’effet cocotte-minute

L’idée est de comprendre sans jamais excuser l’exaspération, parfois ramenée de l’extérieur, avec un motif conjugal futile qui ne sera que prétexte. L’auteur de violence reste le responsable. « Souvent des auteurs me disent ‘mais elle a parlé de ma mère’ ou d’autres justifications. Ils se victimisent. Cela permet de travailler. Pourquoi est-il atteint à ce point ? Pour quoi tel sujet le fait bondir ? Parfois on arrive à travailler à partir des enfants, car les auteurs sont souvent pères et ont eu des enfants jeunes. Et la violence arrive au niveau des enfants. »

Les séances ne fonctionnent pas sur tous les auteurs mais chaque session terminée est un pas vers la réduction de la récidive.

« À mi-parcours on voit déjà du changement. La personne se sent plus apaisée, a développé une boîte à outils pour moins ruminer, savoir s’arrêter quand la colère tourne en boucle dans sa tête. »

Pour la présidente de l’APEX Françoise Llaurens « S’ils sont restés jusqu’au bout c’est déjà très bien. S’il y en reste sept, ou six, c’est toujours ça de gagné. Et si le tribunal ne les revoit plus, c’est que des choses ont été mises en place. »

Les travailleurs de l’APEX espèrent que la prise en charge des auteurs continuera de se développer en France. Une trentaine de CPCA (Centres de Prise en Charge des Auteurs) existent désormais sur le territoire, dont deux en Occitanie. Ils sont financés par le ministère du droit des femmes mais aussi par la CAF ou encore des collectivités, comme le Conseil départemental. Pas simple de faire accepter des budgets pour accompagner les responsables, alors que les victimes ont-elles aussi besoin de soutien, mais tellement utile. « Pour qu’il n’y ait plus de femme victime il faut qu’il n’y ait plus d’homme violent. »

*APEX : Association pour l’enseignement, l’éducation, les études et l’expérimentation, créée en 1984 à Perpignan. Elle a été rejointe par des travailleurs de l’ACAL, Association Catalane d’Actions et de Liaisons pour monter le projet de groupes de parole.

Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes

Manifestation lumineuse à Perpignan ce mardi 25 novembre.
Rendez-vous à 18h place de la République.
Concert à 19h30 au théâtre de la Complicité, 39 rue des Rois de Majorque.

Objectif 2026 ? Plus d’enquêtes … Faites un don pour permettre à une presse libre d’exister, et d’enquêter sur les dossiers sensibles des Pyrénées-Orientales !

Rassurez-vous, la rédaction de Made In Perpignan ne change pas subitement de cap. Nous continuerons toujours de défendre une information de proximité en accès libre. Désormais, notre équipe souhaite vous proposer plus d’investigation, un genre journalistique le plus souvent absent dans les médias locaux.

Parce qu’enquêter sur les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales a un coût, soutenez-nous !

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances