Article mis à jour le 31 octobre 2025 à 09:01
Ce lundi 27 octobre 2025, Elon Musk, considéré comme l’homme le plus riche de la planète, a lancé son encyclopédie Grokipedia, pour contrer Wikipédia qui lui déplaît. Made in Perpignan a interrogé Fabricio Cárdenas. Bibliothécaire dans les Pyrénées-Orientales, il est l’un des 140 administrateurs du Wikipédia francophone, et l’un de ses plus grands contributeurs au monde. Il pointe les dérives de l’encyclopédie du milliardaire.
« La vérité, toute la vérité, rien que la vérité », assure Elon Musk à propos de son encyclopédie Grokipedia, rédigée intégralement par intelligence artificielle. Actuellement en anglais, elle contient près de 900 000 articles, contre 2,6 millions pour le seul Wikipédia francophone et 7 millions sur le Wikipédia en Anglais. Problème : les articles de Grokipedia auraient déjà tendance à refléter les opinions personnelles d’Elon Musk et l’idéologie conspirationniste ou conservatrice.
La Russie a déjà tenté la même chose
Ce n’est pas la première fois que les milieux réactionnaires tentent une alternative au modèle participatif de Wikipédia, souvent suite à des articles qui ne les dépeignent pas comme ils le souhaiteraient. « Il y a eu Conservapédia en 2006 », rappelle notre spécialiste Fabricio Cárdenas.
« C’étaient des Américains de droite qui trouvaient que Wikipédia était de gauche. Cela avait fait beaucoup de bruit à l’époque. Aujourd’hui plus personne ne connaît Conservapedia. »
Cette plateforme soutient une vision chrétienne fondamentaliste du monde. En 2024, Vladimir Poutine a lancé à son tour sa propre encyclopédie en ligne, baptisée Ruviki et qui pille le contenu du Wikipédia original en le modifiant pour servir ses propres intérêts.
L’encyclopédie Wikipédia est-elle vraiment d’extrême gauche ?
L’histoire se répète. Elon Musk fait les mêmes reproches à Wikipédia, l’accusant d’être aux mains d’activistes d’extrême gauche. Infondé, assure Fabricio Cárdenas. « Il y a des études qui ont mesuré les biais de Wikipédia. Il y en a tantôt à droite, tantôt à gauche, mais globalement on note un petit biais de centre gauche. » On est loin de l’extrême. Cette légère orientation viendrait du choix de sources plus progressives que conservatrices et de la nature même du projet Wikipédia.
« Cette image de gauche vient d’un fonctionnement de gauche. Wikipédia est un projet bénévole et participatif, où on est dans la discussion, et où tous les points de vue se valent à partir du moment où on peut les sourcer. C’est à l’opposé du fonctionnement capitaliste et libéral. Il faut avoir cet esprit altruiste pour donner de son temps sans rien avoir à gagner. »

L’une des premières sources du Wikipédia en français serait néanmoins le Figaro, pas exactement de gauche. Depuis quelques années, Fabricio Cárdenas voit arriver des militants conservateurs sur Wikipédia. Ils cherchaient par exemple à retirer le terme « extrême droite » sur plusieurs articles durant la campagne présidentielle, à propos d’Éric Zemmour, entre autres.
« Ils ont été confrontés à la dure réalité des faits, c’est-à-dire l’exigence des sources. Et un discours de Trump, ça ne marche pas comme source. Au début, ils arrivaient avec leurs gros sabots mais peu à peu ils ont appris les codes. J’en connais même qui sont respectueux dans leur façon de contribuer ». Des contributions encore insuffisantes pour les milieux réactionnaires qui se réjouissent désormais de l’arrivée de Grokipedia.
Cette encyclopédie montre pourtant déjà ses propres biais. Grokipedia a tout simplement copié des milliers d’articles du même Wikipédia contre lequel il prétend lutter.
Plagiat, idéologie et dissimulation des sources
« Wikipédia, ce sont des milliers de gens qui alimentent tous les jours. Un projet concurrent n’a pas cette force. Donc Grokipedia est obligé de plagier. Et une grosse partie des contenus sont des copiés-collés de Wikipédia ». En revanche sur des sujets sensibles, il y a des modifications notables. Ainsi sur le changement climatique, l’article minimise les facteurs humains, et pointe même des aspects bénéfiques pour l’humanité. Il fait ainsi du « cherry picking », c’est-à-dire qu’il choisit uniquement les sources qui arrangent une idéologie.
Sur un article concernant les politiques d’extrême droite, le mot « nazi » apparaît bien plus loin que sur le Wikipédia francophone. Sur la guerre en Ukraine, Grokipedia considère le site du Kremlin comme une source fiable. Quant à Elon Musk, il est lui-même présenté comme le fondateur de Tesla, ce qui est inexact. Son récent salut nazi n’est en revanche pas mentionné.
« Il y a un algorithme programmé pour orienter. Elon Musk nous reproche d’être biaisés mais crée un outil totalement biaisé à droite, voire à l’extrême droite. »
Grokipedia masque par ailleurs certaines sources, qu’il prétend pourtant lister. Ainsi, sur l’article consacré à la ville de Céret, l’évocation des agissements d’un médecin lors d’une d’épidémie au Moyen-Âge provient d’un texte de Fabricio Cárdenas, lequel n’est pas mentionné, alors qu’il l’est dans le Wikipédia français et anglais.
« On lit la vérité d’une personne, Elon Musk »
Enfin et surtout, Grokipedia ne permet pas la modification des articles, ni le débat autour des sources avant validation. « C’est juste un site de consultation. On lit la vérité d’une personne : Elon Musk ».
Le taux de fiabilité de Wikipédia, évalué chaque année par des universitaires, est proche de 95 %, soit l’équivalent des encyclopédies papier. « Les résultats sont le compromis de discussions qui ont lieu en permanence ».
Les administrateurs Wikipédia ne seraient pas trop inquiets de ce nouveau concurrent. « On va peut-être passer par une phase de deux ou trois ans durant laquelle tout le monde va se précipiter sur les intelligences artificielles (IA), parce que c’est nouveau. Mais les IA créent énormément de désinformation et il commence à y avoir beaucoup d’articles critiques contre elles. Le gain de temps est perdu quand on doit vérifier toutes les erreurs générées ».
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