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Baleines, basson et abysses : Lila Bazooka communi(qu)e avec les cétacés dans « Océans Infinis » à Port-Vendres

Article mis à jour le 15 avril 2025 à 13:45

Le vendredi 11 avril, un concert au Ciné-Théâtre de Port Vendres marque la fin de la résidence de l’artiste compagnonne Sophie Bernado chez Jazzèbre. Le concert, présenté dans le cadre de sa création Océans infinis avec Céline Grangey, mêle sons sous-marins, basson et matière électronique. Il clôt une année de résidence menée entre immersion artistique et dialogue scientifique. Photo © Unsplash – Cameron Armstrong

Un rituel sonore en immersion

La salle est plongée dans le noir. Sur la petite scène en bas, une nuée de câbles serpentent sous un clavier, un basson dressé, un ordinateur, qui éclaire le visage de Céline Grangey. Ses doigts pincent des boutons, le bruit des vagues monte jusqu’aux spectateurs. L’immersion commence. Alors que les basses fréquences emplissent l’espace, Sophie Bernado, chamane du monde aquatique, se met à chanter. Bientôt les baleines la rejoindront et mêleront leurs voix à la sienne.

« Une amie m’a dit qu’elle avait eu le sentiment d’être dans un cocon, et d’être dans un bel endroit, après la mort », souriait Sophie Bernado en entretien quelques heures avant sa prestation à Port-Vendres. Expérience d’outre-tombe ou non, en tout cas, c’est un concert qui peut se vivre les yeux fermés.

Faire entendre les mondes sous-marins

En 2019, dans le cadre d’un projet mêlant recherches scientifiques et pratiques artistiques, une équipe fait un constat surprenant : le basson est l’instrument qui reproduit le plus fidèlement les sonorités du chant des baleines. Alors le duo Lila Bazooka, composé de Sophie Bernado et Céline Grangey, développe un projet musical fondé sur l’interaction avec des enregistrements de cétacés réalisés lors d’expéditions en mer.

L’objectif n’est pas d’imiter ces sons, mais de construire une composition à partir de matériaux sonores réels : chants de baleines à bosse et boréales, clics et rythmes de cachalots, sifflements de dauphins, associés à une écriture musicale pour basson.

Sophie Bernado utilise le long instrument à vent, peu connu du grand public et rare dans le monde de la musique, pour en extraire un son méditatif, presque hypnotique. Mêlé aux sons de l’océan et des cétacés, la performance de Lila Bazooka tisse un lien sensoriel entre les abysses et le cosmos.

Photo © Jazzèbre

Si la musique semble provenir d’un autre monde, elle est indissociable du nôtre, et de son écosystème. « C’est complètement militant », affirme la bassoniste. « Ce que je recherche, c’est l’empathie corporelle. [En écoutant la musique] les gens se retrouvent en train d’accompagner les cétacés. Si à partir de là, on arrive à déclencher [l’empathie] chez eux, j’espère que ça va entraîner une prise de conscience ».

Une création nourrie par la recherche

Le projet artistique de Lila Bazooka est indissociable de la science, puisqu’élaboré en collaboration avec le CNRS, des éthologues et plusieurs équipes de recherche. À l’issue du concert de Port-Vendres, une conférence a été organisée en partenariat avec l’Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer. Yann Tremblay, etho-ecologiste, a parlé chant des poissons, sons des animaux, leurs interactions entre eux et entre espèces. « En gros, le réseau social des fonds marins ! » commente Fany Barra, de Jazzèbre.

Deux jours auparavant, lors d’une rencontre à la librairie Oxymore, Sophie Bernado avait pu échanger avec Nadège Gandilhon, docteure en biologie marine, cétologue, et recevoir, en visio, les interventions d’Olivier Adam, bio acousticien, spécialiste du son des cétacés à la Sorbonne et Camille Brunel, romancier, auteur de Éloge de la baleine (Edition Rivages). « Aujourd’hui, ils se retrouvent à crier gare : les cétacés sont affamés à cause des grands chalutiers qui raclent les océans. La population est en train d’être décimée à cause de la famine, et pas seulement à cause du changement climatique provoqué par l’action de l’homme ».

D’un bateau à Hawaii à la Côte Vermeille

Sophie Bernado rentre à peine d’un séjour à Hawaii, sur l’île de Maui. Cinq jours, perchée sur un bateau, à enregistrer le son des cétacés et à leur parler, avec son basson. « Là-bas, quand tu mets la tête sous l’eau, tu entends les baleines », sourit-elle. La jeune femme croit profondément à la possibilité de communiquer entre espèces par le biais de l’émotion. Elle a d’ailleurs pris part à un article sur le sujet, écrit par Jean-Yves Georges, directeur de recherche au CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) en écophysiologie animale et écologie comportementale ; Fabienne Delfour, éthologue spécialisée dans les mammifères marins, et Raphaël Chalumeau, journaliste et auteur.

Equipée d’un électrocardiogramme pour monitorer son état émotionnel, la musicienne a pu « discuter » avec les créatures marines. « Dans mon cœur d’artiste, de musicienne, d’humaine, j’ai vraiment eu le sentiment d’être en communication. Une fois que j’étais seule [à jouer de la musique pour les baleines], la baleine s’est tellement rapprochée que nos casques ont complètement saturé, et je suis la seule à avoir gardé le casque pour continuer à musiquer avec elle ».

Son émotion est presque tangible. « Ce sont des grandes chanteuses. Je suis sortie de cette interaction complètement retournée de bonheur. J’ai eu le sentiment de toucher la source de l’univers, l’amour inconditionnel. Elles ont une énorme sagesse, elles sont là depuis bien plus longtemps que nous, et on n’a toujours pas compris leur mode de fonctionnement. Ça appelle le respect ».

Dernière escale avant d’autres rivages

Artiste-compagnonne de Jazzèbre pendant l’année, Sophie Bernado a pu intervenir au sein de l’Arbre Rouge pour la présentation du Festival, le ciné-concert Finis Terrae du début d’année 2025, et dans le trio Atavi, où se rencontraient des instruments atypiques, comme le basson, l’oud et la vielle à roue.

A la fin de la performance d’Océans Infinis, les notes de musique électronique de Céline Grangey, scintillantes, sont des éclats de lumière sur les vagues. Le public remonte à la surface. Ce soir-là, c’est la clôture du projet au sein de Jazzèbre. « Ça va me faire une espèce de vide intersidéral », note Sophie Barnado, douce-amère. La jeune femme ne rentrera pas tout de suite dans son Gers natal, où l’attendent son âne, ses deux chats et ses quatre poules. Elle s’est envolée vers le Cambodge pour son projet, premier pays d’une liste internationale de représentations pour les semaines à venir.

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