Dans les Pyrénées-Orientales, les mouvements « Bloquons tout » et « Indignons-nous » du 10 septembre ont pris différentes formes, tentatives de blocage d’axes stratégiques ou de lycées, manifestations, et action symbolique dans un centre commercial. Les revendications portées par les participants sont également diverses.
Nous avons questionné Mathilde Pette, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Perpignan Via Domitia. Elle décrypte pour Made in Perpignan ce mouvement social embryonnaire.
Made in Perpignan (MiP) : Qu’est-ce qui distingue « Bloquons tout » des autres mobilisations sociales récentes en France ?
Mathilde Pette (M. P) : Il est difficile de parler pour le moment de « mouvement social », on utilise l’expression « mouvement » ou « mobilisation sociale » davantage pour des séquences historiques plus ou moins longues, plus ou moins fragmentées, qui se concentrent autour d’une série de revendications ou d’un contexte politique spécifique. Aujourd’hui, nous sommes le 10 septembre, difficile de mesurer l’ampleur de la mobilisation, et impossible d’en connaître le devenir dans les jours ou dans les mois qui viennent.
MiP : De nombreux médias et éditorialistes font des parallèles entre « Bloquons tout » et le mouvement des Gilets jaunes, cette comparaison est-elle judicieuse ou à l’inverse galvaudée ?
M. P : Le parallèle avec le mouvement des Gilets jaunes s’appuie notamment sur deux éléments : le rôle prédominant des réseaux sociaux (groupes Facebook, groupes WhatsApp, etc.) supports des premiers appels, de la diffusion des informations et des appels à rassemblements d’une part, et la distance affichée avec les organisations classiques du mouvement social (syndicats et partis politiques notamment) d’autre part. Le parallèle reste fragile pour le moment et c’est l’évolution de la situation politique qui pourra nous permettre d’y voir plus clair.
Petit à petit, des organisations syndicales et politiques se sont joints à l’appel « Bloquons tout » et aujourd’hui, un appel à la grève a été déposé par certains syndicats. Les Gilets jaunes se mobilisaient principalement sur les ronds-points et l’occupation des espaces de circulation, alors que l’appel « Bloquons tout » appelle par exemple à ne pas utiliser sa carte bancaire aujourd’hui. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes mots d’ordre pour le moment.
MiP : Le département est confronté à de fortes difficultés socio-économiques, est-ce un terreau pour ce type de mouvement ? Peut-il donc être plus suivi ici qu’ailleurs ?
M. P : Cela peut être un terreau autant qu’un frein pour certains participants. Les indicateurs socio-économiques du département des Pyrénées-Orientales montrent en effet un taux de chômage élevé, des indicateurs de pauvreté dans le rouge, des secteurs d’emploi en souffrance, etc.
Les foyers à faibles revenus ainsi que les classes moyennes qui rencontrent des difficultés croissantes à boucler les fins de mois peuvent en effet se sentir particulièrement concernées par le projet de loi budgétaire et la dégradation de leurs conditions d’existence. Inversement, les personnes qui bricolent pour s’en sortir en cumulant plusieurs petits emplois par exemple auront certainement plus de difficultés à libérer du temps pour participer aux modes d’action et se retrouveront souvent dans l’impossibilité de renoncer à une journée de travail rémunéré par exemple. Cela dépendra aussi sûrement des dynamiques sur le territoire.
MiP : Est-ce que ce type de mobilisation traduit une défiance plus générale envers la démocratie représentative ? Est-ce que ce mouvement orienté « contre » peut éventuellement être une forme de révolution embryonnaire ? Autrement dit, faut-il y voir un symptôme ponctuel ou bien un signe avant-coureur d’un cycle de contestations durables et plus profondes ?
M. P : Il est en effet important de contextualiser l’appel « Bloquons tout ». La situation politique est fragile actuellement en France, les gouvernements se succèdent et aujourd’hui même, la passation de pouvoir entre François Bayrou et Sébastien Lecornu a lieu en parallèle de la journée du 10 septembre.
La critique du modèle de la démocratie représentative faisant déjà partie du mouvement des Gilets jaunes, c’est un autre parallèle possible, avec la revendication centrale du RIC que l’on retrouve ensuite dans les Cahiers de doléances du grand débat national. Ce sont plus largement les formes de la démocratie et la légitimité des représentants qui sont remises en question.
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