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Epuisés, diminués, ils vivent le drame du Covid long : ces malades oubliés dans les Pyrénées-Orientales

Article mis à jour le 21 octobre 2025 à 08:22

Des enfants alités, déscolarisés. Des quinquagénaires qui marchent avec une canne comme s’ils avaient 90 ans. Les victimes des Covid longs sévères décrivent une vie qui ressemble à un enfer. Toujours malades des mois, voire des années après la première infection, elles sont incapables de travailler, parfois de se lever ou de respirer normalement. Alors que le reste du monde veut tourner la page, chaque vague Covid continue de provoquer des formes longues. Photo d’illustration © Unsplash

« Il y a une errance médicale totale » explique Sandra Guerrero. Cette habitante de Laroque-des-Albères est présidente de l’association nationale Après J20, se chargeant de défendre les victimes du Covid long.

Choisir entre la douche ou le petit-déjeuner

Le Covid long complexe, avec des symptômes qui persistent après trois mois, est une pathologie reconnue, même si elle est très difficile à diagnostiquer. Parfois des scanners cérébraux la mettent en évidence. D’autres fois les malades restent dans l’errance médicale. Cinq ans après le début de la pandémie, il n’existe toujours aucun traitement.

Infectée à l’âge de 46 ans, Sandra Guerrero a mis quasiment deux ans avant d’être diagnostiquée.

« Mon mari partait travailler à 7h du matin, il me laissait un verre d’eau sur la table de nuit. Souvent je n’avais même pas pu le boire quand il rentrait à 18h. »

L’épuisement est extrême. « C’est un état de semi-conscience, on ne peut même pas se retourner dans le lit. Il fallait que je choisisse entre la douche ou le petit-déjeuner. » Les bilans sanguins et examens cardiaques sont normaux. Mais les scanners cérébraux finissent par révéler des hypométabolismes typique du Covid long. Aujourd’hui, Sandra Guerrero est reconnue à 75 % d’invalidité. Elle forme des professionnels de santé et patients à la problématique, et transmet notamment le « pacing », une stratégie pour fractionner les activités de la journée.

Un temps, les patients Covid long étaient orientés vers de la réadaptation à l’effort, mais suite à des aggravations le procédé est remis en question. « On fait des crashs, des malaises post-effort. »

Selon les premiers éléments réunis par l’association, chez les adultes les femmes seraient deux fois plus touchées que les hommes, avec une importante part chez les 50 – 69 ans.

« J’ai senti un truc qui se posait sur mes poumons et qui n’est plus jamais reparti »

Xavière Lethuillier, 55 ans, vit à Sournia. Son Covid long remonte à 2020. Contaminée sur son lieu de travail, elle décrit sa descente aux enfers. « J’ai senti un truc qui se posait sur mes poumons et qui n’est plus jamais reparti. » L’essoufflement envahit son quotidien. « Cinq ans après, je passe vingt heures par jour allongée. » Sur ses quatre heures de vie restantes, elle se déplace en fauteuil roulant.

« Chez moi, j’ai une baignoire et une fois que j’y suis assise je ne peux plus me relever. Je me dis que je ne vais jamais pouvoir en sortir. » Chaque activité doit être pesée, car le moindre effort est suivi d’un prix à payer.

Pour Isabelle Desfontaines, habitante elle aussi des Pyrénées-Orientales, le récit est similaire. Sa voix est éraillée. « J’ai 50 ans, j’ai l’impression d’être dans le corps d’une mamie de 80 ou 90 ans. » Elle attrape le Covid plusieurs fois à partir de 2022 et doit être hospitalisée. « On m’a dit ‘dans un mois vous allez reprendre le travail’. Je n’ai jamais repris. »

Symptômes en cascade

Son état se dégrade, et l’oxygène devient obligatoire. « On m’a fait un cathétérisme cardiaque, je suis devenue asthmatique, j’ai une apnée du sommeil, je suis devenue allergique à tout, j’ai des diarrhées en permanence. On m’a envoyé à la clinique du souffle La Solane à Osséjà. »

« C’est un travail de deuil. Vous avez le déni. Puis la colère, car je n’ai jamais fumé de ma vie, je me dis ‘pourquoi moi ?’. Je sors avec un concentrateur à oxygène, c’est quatre kilos sur le dos. »

Malgré tout Isabelle estime avoir eu de la chance. « Il y a beaucoup de gens dans mon cas qui sont traités de fous et laissés à l’abandon. Des médecins ne croient pas au Covid long. »

Des adolescents en fauteuil roulant

Défiant l’idée reçue d’une jeunesse épargnée, des enfants sont concernés. Isabelle Leibl est la présidente de l’association Covid long enfant. Au bord des larmes, sa voix fléchit quand elle raconte le malheur de deux de ses filles, contaminées avant d’avoir pu être vaccinées.

« Une de mes filles a fait trois Covid. Au troisième, elle ne s’est jamais relevée. » L’adolescente, touchée à l’âge de 13 ans, faisait du violon, de l’escalade, et se retrouve quelques années plus tard en fauteuil roulant sous oxygène.

« On n’a pas pigé tout de suite. Comme tout le monde, on est passé par la case psy, on nous a parlé de trouble anxieux généralisé. » Insomnies et hypersomnies alternées, malaises, engelures aux orteils appelés « orteils Covid », les symptômes s’enchaînent. Selon la maman, des neurologues français nient l’état des deux enfants.

Errance en France, diagnostic en Italie

C’est en Italie que la famille obtiendra enfin un diagnostic et un traitement pour les symptômes, notamment des anticoagulants qui limitent les AIT*. La maman évoque avec douleur cette rééducation à l’effort, en France, qui a été contre-productive pour la plus jeune.

« Ces six semaines de rééducation ont été catastrophiques. C’est depuis ce moment qu’elle est en fauteuil roulant. Et on envoie encore des gamins dans ces endroits ! Elle a passé dix mois en état sévère, alitée 24 heures sur 24. Je mixais les repas pour en faire des smoothies et lui donner à manger à la petite cuillère. »

Isabelle Leibl lutte pour améliorer la prise en charge en France. L’association continue de recevoir des demandes d’accompagnement, souvent pour des adolescents, mais également pour des tout-petits. Plusieurs cas concernent l’Occitanie.

« Les enfants sont en train de retomber malades dans les classes »

« Actuellement vous avez une vague Covid. Les enfants sont en train de retomber malades dans les classes, il faut qu’on arrête de dire que c’est un virus hivernal. Et on sait qu’une réinfection double le risque de faire un Covid long chez l’enfant. »

Isabelle Leibl évoque ces familles menacées de perdre la garde de leur enfant déscolarisé, en dépit des preuves médicales. « Il y a un déni de la société. J’ai une maman dont la fille est déscolarisée depuis trois ans dans l’indifférence, elle n’avait jamais entendu parler du Covid long. C’est en apprenant l’existence de l’association par hasard qu’elle a pu enfin être orientée et diagnostiquée. C’est une honte. On a des gamins qui disparaissent de la circulation, tout simplement. »

20 000 habitants des Pyrénées-Orientales pourraient avoir un Covid long sans le savoir

« L’ARS Occitanie a mis en place, depuis trois ans, un projet innovant sur le Covid long » explique le Dr Léa Colombain, infectiologue au SMIT** de l’hôpital de Perpignan. Il s’agit d’un parcours de soins pluridisciplinaire avec des centres de médecine recours labellisés, comme le SMIT de Perpignan, et des centres de rééducation comme la clinique du souffle à Osséjà. « Mais les impacts sont encore peu visibles. »

Selon Santé publique France, plus de 2 millions de Français, soit 4 % de la population, pourraient être concernés par une forme de Covid long. « Dans les Pyrénées-Orientales cela pourrait correspondre à 20 000 patients. » Parmi ces victimes, beaucoup auraient un Covid long sans le soupçonner avec des formes légères qui ne se matérialisent qu’à travers une fatigue accrue, des vertiges et autres malaises.

« C’est très difficile de faire la différence entre la fatigue normale d’une personne active avec des enfants, et une fatigue qui va au-delà. »

« On est toujours en grande difficulté, malgré la reconnaissance scientifique, pour une reconnaissance de prise en charge en Affection Longue Durée, ou même pour des dossiers de la Maison Départementale des Personnes Handicapées, avec des refus réguliers. »

L’accès aux soins entravé

Au coeur de la difficulté, environ 200 symptômes possibles dont on ignore encore s’ils découlent d’une persistante du virus ou seulement de l’inflammation. Une étude de juillet 2025 a néanmoins montré une infection du cerveau. « Il y a des tests d’effort très spécifiques qui mettent en évidence des dysfonctions du système nerveux autonome. » Léa Colombain évoque ces patients qui après parfois deux ans d’incertitude s’effondrent dans son cabinet, soulagés d’avoir enfin une explication.

« Un patient avec Covid doit être adressé à un neurologue, un gastro-entérologue, un orthophoniste… et on n’a pas accès à toutes ces spécialités. Même pour nous, à l’hôpital, c’est compliqué. Repérer les patients, les prendre en charge, on n’est pas en capacité de le faire correctement aujourd’hui au SMIT. Il faudrait aussi qu’on puisse faire de la recherche avec les patients dont on s’occupe. Nous avons des idées pour le mettre en place, mais nous n’avons pas les moyens. »

Le 24 janvier 2022, la loi Zumkeller a été votée pour la création d’une plateforme de suivi et de prise en charge des victimes de Covid chronique. D’après les associations cette loi n’a jamais été appliquée. Elles espèrent que sous leur pression la plateforme sera enfin créée fin 2025.

* AIT : accident ischémique transitoire
** SMIT : Service des Maladies Infectieuses et Tropicales

Vaccins et Covid long : quels effets ?

Parmi les victimes de Covid long, on observe des vaccinés et des non vaccinés au moment de l’infection. Pour le docteur Colombain, le vaccin pourrait néanmoins prévenir certaines formes graves de Covid long. En revanche, une fois la pathologie installée, l’effet du vaccin tient de la loterie. Les spécialistes constatent approximativement un tiers d’améliorations, un tiers de dégradations, et un tiers de stabilité. Plusieurs médecins choisissent, par précaution, de ne plus vacciner les victimes de Covid long.

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