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Dépérissement des arbres : les forêts des Pyrénées-Orientales vont-elles résister ?

Article mis à jour le 9 novembre 2025 à 15:25

Des taches brunes au milieu du vert, même en été. Les arbres qui dépérissent sont de plus en plus nombreux en France comme dans notre département. Entre des études alarmistes qui vont jusqu’à envisager un désert et la résilience naturelle des forêts, l’avenir de notre végétation est en jeu.

Les forêts des Pyrénées-Orientales qui ne seraient plus qu’un souvenir. C’est l’hypothèse qui conclut une étude de l’université de Heidelberg en Allemagne, publiée en 2023, avec une projection pour les forêts de Méditerranée exposées à la sécheresse. Tablant sur un besoin minimum de 400 mm de pluie par an pour ces forêts, l’étude s’est penchée sur les fluctuations de la végétation sur les 500 000 dernières années, grâce à des pollens fossilisés.

Les chercheurs émettent l’hypothèse d’une désertification progressive en lien avec la concentration de CO2. Pour aboutir d’ici quelques décennies à un paysage de steppes rases, sans arbres.

C’est un paradoxe car la surface forestière, au niveau national mais aussi dans notre département, ne cesse de progresser depuis plus d’un siècle en raison de la déprise agricole. Les Pyrénées-Orientales ont vu leur surface forestière doubler depuis 1980, gagnant près de 100 000 hectares. Ce sont notamment les feuillus qui progressent, tandis que les conifères stagnent ou baissent. Notre taux de boisement fait partie des plus élevés en France métropolitaine, avec une large part de repousse naturelle.

La mortalité a explosé sur les dix dernières années

Le problème, c’est la mortalité au sein de ces forêts. En seulement dix ans, le dépérissement des arbres en France a augmenté de 80 %. On note aussi une augmentation plus rapide du volume de bois mort depuis 2020. Chute des aiguilles pour les résineux, jaunissement précoce pour les feuillus, parfois canopées dépouillées, branches et arbres morts.

Les premières inquiétudes remontent aux années 1980 avec les pluies acides, mais aujourd’hui c’est surtout le changement climatique qui est pointé du doigt, avec des facteurs aggravants comme des insectes ravageurs.

Ces derniers sont parfois introduits de l’étranger, ou bien étaient présents mais se reproduisent davantage en produisant plusieurs générations sur une période où auparavant ils n’en engendraient qu’une.

Certains arbres, comme le hêtre, sont sensibles aux coups de soleil, au point de pouvoir en mourir. Dans les Pyrénées-Orientales, la sécheresse de 2022 a été un baromètre éloquent, avec un taux de mortalité qui a grimpé de 25 % pour la forêt de la Massane, dans les Albères. Des cercles vicieux peuvent en découler, car le dépérissement joue sur le stockage de carbone par nos forêts. Hormis limiter le changement climatique en jouant sur les émissions humaines, comment freiner la mort de nos arbres ?

La cavitation, l’équivalent d’une embolie chez l’arbre

L’écologue Diane Sorel, conservatrice de la Réserve Naturelle Nationale de la Forêt de la Massane, constate aussi des pics de mortalité suite aux sécheresses. Ainsi, avec une moyenne de mortalité à 1,9% sur 20 ans pour les hêtres, on a observé un pic à 3,7 % en 2007, la sécheresse ayant touché des arbres déjà fragilisés en 2003, et un taux à 2,7 % en 2024, conséquence des épisodes de sécheresse depuis 2021. Pour l’instant ces taux de mortalité sont équilibrés avec la régénération.

« On voit des feuilles roussies, souvent elles restent attachées à l’arbre, elles vont avoir du mal à tomber. Quand l’arbre est complètement roussi, cela veut dire qu’il est mort. Mais avant d’arriver à ce stade, il y a des phénomènes de descente de cime. L’arbre va rabaisser et abandonner sa cime. »

La mort de l’arbre passe par un phénomène de cavitation, comparable à l’embolie chez les humains. En clair, pendant la sécheresse, le végétal essaye de capter de l’eau et des sels minéraux qui ne sont plus dans le sol, et à la place il récupère des bulles d’air, qui peuvent le tuer. Diane Sorel et les équipes de la réserve réalisent un suivi sur près de 70 000 arbres depuis 1999. Face à la mortalité, l’humain peut-être tenté de replanter. Pour l’écologue, le plus important serait plutôt de savoir se retenir. Mieux vaut compter sur la résilience et éviter les interventions.

Laisser faire la forêt plutôt que d’agir de manière contre-productive

« Chez un arbre, contrairement à l’homme, il y a plusieurs patrimoines génétiques, de branche en branche. Un arbre est une communauté d’individus, avec des potentiels d’adaptation. Et ce patrimoine est diversifié parce que l’homme n’est pas intervenu dans la dynamique de la forêt. » Elle évoque ces arbres morts dans la Massane qui créent des trouées et permettent à de nouvelles générations mieux adaptées de se développer. Le bois mort au sol fonctionne par ailleurs comme une éponge et stocke de l’eau.

Diane Sorel, conservatrice de la Réserve Naturelle Nationale de la Forêt de la Massane

À l’inverse, les stratégies de plantation de forêts entraîneraient des séries d’arbres ayant tous le même âge, empêchant les évolutions naturelles échelonnées.

« On essaie de recréer de manière simpliste ce que fait très bien la nature. Ce qu’il faudrait, c’est plus d’espaces où on ne touche à rien, laisser des îlots de sénescence. »

Si les haies ou les plantations en ville peuvent être vertueuses, Diane Sorel considère le projet national, annoncé par Emmanuel Macron et visant à planter un milliard d’arbres d’ici à 2032, comme une catastrophe écologique. « C’est la bonne excuse pour couper des forêts qui peut-être s’en seraient sorties. On va raser pour replanter, on se fait payer le bois qu’on a coupé et en plus on est financé pour replanter. Le dessouchage va décaper les sols. C’est une économie, mais en termes écologiques c’est n’importe quoi. »

La Massane, une des rares forêts françaises épargnées par l’homme

Il n’existerait que 1200 hectares de forêts en France où l’homme n’intervient pas du tout, dont 336 hectares à la Massane. « Ce sont des foyers génétiques fondamentaux pour les populations de hêtres et d’autres essences. Si on perd ces sites ce serait problématique ». La dispersion de ce patrimoine génétique se fait avec les oiseaux, les effets de pente, les rivières etc.

« Ce que je vois aujourd’hui me laisse présager qu’on aura toujours de la forêt à la Massane. Si les arbres arrivent à pousser dans les conditions actuelles, c’est plutôt positif, ils résistent. On fait le pari de l’avenir. »

Un avenir moins certain pour les forêts aux alentours, notamment de faible altitude, ou celles qui ont été dégradées par une exploitation humaine. En 2023, l’ONF mentionnait déjà une mortalité massive sur les pins dans les Pyrénées-Orientales. Les chênes résistent mieux, tandis que les hêtres de la forêt de Boucheville, dans le nord du département, montrent déjà des signes de faiblesse. Dans tous les cas, la pluviométrie et la place laissée par l’homme à la nature vont être déterminantes pour dessiner nos paysages futurs.

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