Aller au contenu

Djamel Hamdi, créateur inclassable et artisan discret de la Casa Musicale

Article mis à jour le 5 juin 2025 à 13:10

Depuis près de trente ans, il est de beaucoup de créations, mais signe rarement de son nom. Dans l’ombre des grandes scènes comme des ateliers improvisés, Djamel Hamdi sculpte, bricole, transmet. À la Casa Musicale de Perpignan, ce faiseur d’élan collectif trace son propre chemin, entre théâtre populaire, art de la récupération et engagement social. Portrait d’un homme qui préfère les chemins de traverse aux projecteurs, le partage à la performance.

Un homme parmi les autres

Au téléphone, Charlotte, la responsable communication de la Casa Musicale, nous dit « Djamel est d’accord pour l’interview, mais seulement s’il peut la faire avec Tot et Hugo ! ». Djamel Hamdi n’aime pas être au centre de l’attention médiatique, ou alors pas tout seul. Celui qui est l’un des créatifs les plus hors normes, les plus souterrains de la Casa Musicale depuis bientôt trente ans, préfère se voir comme faisant partie d’un tout.

A l’entrée du hangar où Djamel Hamdi bricole et invente, gravitent les artistes et les collègues impliqués dans la fabrication des décors végétaux d’Ida Y Vuelta 2025. Un espace de verdure, réalisé avec Hugo, l’une des têtes pensantes du Tropique du Papillon, mêlera des végétaux vivants – ou non – pour ramener de la fraîcheur sur le terrain goudronné de la cour de l’Arsenal. Tot, c’est l’artiste dont les trampolines, peints de portraits blanc sur noir, ornent les murs intérieurs et extérieurs de la Casa. Les trois hommes et leurs collègues s’affairent à la construction de la structure végétale. A l’entrée du hangar, les pots de plantes s’entassent les uns à côté des autres, attendant d’être installés.

Au fil des années, Djamel et ses équipes ont participé à la création visuelle autour de la Nuit des Gargouilles, du Bruit des Carmes, du festival Aujourd’hui Musiques… et, bien sûr, d’Ida Y Vuelta. En 2017, des créatures lumineuses, mi-cyborg mi-marionnettes, hautes de trois mètres, ont déambulé dans la foule du festival. Dans l’atelier de Djamel, ces « costumes vivants » ornent aujourd’hui les murs en attendant le prochain humain qui viendra les habiter.

Un dragon, un fada

Djamel n’aimait pas l’école. Trublion de sa classe, il ne finira pas sa 6ème, et enchaînera des « petits boulots à la con ». Il s’était déjà trouvé une fibre artistique et sculptait du siporex, dérivé du béton, au tournevis et au marteau. Lorsqu’il devient éducateur dans le quartier du Bas-Vernet, à Perpignan, il y développe des activités de responsabilisation de la jeunesse, de travail sur la citoyenneté, de lutte contre l’analphabétisation.

Les projets s’enchaînent, l’enthousiasme ne tarit pas. Avec un consortium d’associations, il lance une régie de quartier, qui offre du travail à près de 60 personnes. Il coordonne une pièce de théâtre qui fera jouer une centaine de jeunes à tour de rôle, et emploiera une farandole de métiers créatifs, des décors aux costumes. Puis les idées s’accumulent et ne se ressemblent pas. « J’ai bossé comme un dragon, comme un fada. Sans compter mes heures », se souvient Djamel.

Toucher un peu à tout, mais sans jamais dévier

Aujourd’hui, quand Djamel Hamdi fait son CV, la liste est longue, le fil rouge difficile à trouver. Il a zigzagué dans le vaste univers artistique, d’artiste multi-surfaces, à réalisateur de court métrage, ou encore journaliste pour un festival gitan, en Australie. Pour lui, rien n’est impossible.

A 60 ans, Djamel Hamdi ne s’est jamais perdu en route. Il réussira à obtenir une licence de concepteur réalisateur en VAE, entre autres diplômes d’Etat. « Pas mal pour un mec qui n’a même pas fait sa 6ème ». Enfant, aurait-il pu s’imaginer en être là aujourd’hui ? Djamel sourit. Une constante dans son parcours : « mon respect pour les autres, mon humanité, mon désir de développer des moteurs qui vont dans le sens de la construction de la société, de la transmission de valeurs ».

« Tous ces gens qui m’ont donné des ailes parce qu’ils m’ont laissé brûler les planches »

Lorsqu’il a commencé le théâtre à 11 ans, il a rapidement compris que le sixième art serait son école de la vie. « Le théâtre, ça m’a sauvé. C’est la possibilité de faire un truc qui ne nécessite pas de diplôme, pas de niveau scolaire. C’est une intégration pleine et entière dans un groupe ».

S’il touche à pratiquement tous les arts – à l’heure de notre rencontre, il s’appliquait à créer les fesses d’une statue de métal -, le théâtre occupe une place majeure dans sa palette d’expression. « Le théâtre n’est pas que vivant. Il est possible de théâtraliser une structure », explique-t-il. À l’image de la création végétale d’Ida Y Vuelta, qui sera « animée » par le passage des humains à l’intérieur. Cette toiture organique devrait avoisiner les cent mètres carrés.

La récup’ comme source d’inspiration

Sorti de son hangar-atelier, Djamel va rejoindre Tot et Hugo qui continuent leur travail sous le soleil de l’après-midi. « Dans l’atelier, on travaille à partir d’objets de récupération. Notre action n’est pas consumériste. Pour moi, c’est le vrai sens de la créativité ».

Il pointe du doigt le squelette d’un arbre en plusieurs morceaux, qui deviendra une fontaine dans la cour de l’Arsenal grâce au Tropique du Papillon – l’œuvre s’appellera d’ailleurs « Seconde vie ».

De gauche à droite, Hugo, Djamel et Tot

Avec Tot et Hugo, ils se retrouvent plutôt autour d’une passion partagée que de leurs expériences professionnelles. Tot est musicien et professeur de kite-surf, Hugo a obtenu un diplôme de cuisinier avant de retrouver les papillons et les plantes de l’entreprise familiale. « Ici, on n’écoutera pas plus un super artiste qu’un amateur », rappelle Djamel.

Renouer avec la fibre de la jeunesse et du mélange

Sur son bras à la peau tannée, une écorchure saigne, mais il ne le remarque pas. Il évoque la vie de quartier de sa jeunesse, où lors des fêtes, « le son des guitares va couvrir celui des télés ». Les congés payés qui amenaient des vacanciers sur les côtes de Canet et de Saint-Cyprien, dans les paillotes du Bourdigou. « Les gens des quartiers, des villages, les artistes de la région : tout le monde se retrouvait ». Soirées théâtre, apprentissage de la pêche, premières expériences naturistes : « c’était la liberté ».

Aujourd’hui, mari et père, Djamel regrette que la société ne se mélange plus autant qu’avant. Lorsqu’il a accepté de venir travailler à la Casa Musicale, à son ouverture, il a demandé carte blanche pour ouvrir son « laboratoire d’expression », tenter de renouer le lien.

Les nouveaux venus collaborent en « autonomie relative », où chacun peut toucher à tout et trouver sa place. « Ça fait donc 29 ans que chaque année, on crée une nouvelle histoire avec, en grande majorité, des artistes amateurs », sourit Djamel. « La Casa Musicale devrait être un projet mondial. Il faut permettre à n’importe quel être humain de développer sa fibre artistique, de façon gratuite ».

Made In Perpignan est un média local, sans publicité, appartenant à ses journalistes. Chaque jour, nous enquêtons, vérifions et racontons les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales.

Cette information locale a un coût. Et pour qu’elle reste accessible à toutes et tous, sans barrière ni influence, nous avons besoin de votre soutien. Faire un don, c’est permettre à une presse libre de continuer à exister, ici, sur notre territoire.

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances