Alors que le débat autour de la fin de vie déchaîne les passions, ce jeudi 15 mai 2025, c’est une loi visant à lutter contre la mortalité infantile qui était adoptée à l’Assemblée nationale. Avec un taux de 4,1 pour 1 000 naissances, la France se classe 23e sur 27 pays en Europe où la mortalité infantile est la plus importante. Crédit photo © Olivier Roller.
En mars 2025, Sébastien Leurquin, journaliste indépendant, et Anthony Cortes, journaliste à l’Humanité, anciens étudiants à Perpignan, publiaient le livre-enquête « Le scandale des accouchements en France », paru aux éditions Buchet Chastel. Depuis 2015, la mortalité infantile en France est supérieure à la moyenne européenne, alors qu’elle était l’une des plus basses d’Europe à la fin du XXe siècle. Dans leur ouvrage, les auteurs tentent de décrypter les causes de ce drame.
Des services en surchauffe permanente
Tout commence en juin 2023, lorsque l’INSEE publie un rapport accablant sur la dégradation de la mortalité infantile en France. Si l’étude provoque peu de remous dans la sphère publique, les chiffres interpellent les deux journalistes. Les autorités de santé pointent du doigt la responsabilité individuelle des femmes, comme l’âge au moment de la grossesse, le surpoids ou les addictions…
« Chez nos voisins européens, il existe les mêmes facteurs de risque. En Espagne, en Belgique ou en Italie, les femmes font aussi des enfants plus tard, l’obésité ou le tabagisme existent. Malgré tout, dans ces pays, la mortalité infantile baisse de façon historique », constatent Sébastien Leurquin et Anthony Cortes. Si ces facteurs peuvent effectivement engendrer de la mortalité infantile, il existe d’autres causes plus structurelles.
Pour rappel, la mortalité infantile n’inclut pas les bébés morts-nés. Elle concerne les enfants décédés après la naissance et avant leur premier anniversaire. D’après Sébastien Leurquin, 70% des décès ont lieu au cours des 28 premiers jours de vie. À noter que la mortalité infantile concerne une part importante des nouveaux-nés prématurés. « Les services de néonatologie, spécialisés pour la prise en charge de ces bébés sont à flux tendu, en surchauffe permanente », évoque Sébastien Leurquin.
Dans leur ouvrage, les journalistes s’appuient sur un rapport de la Société française de néonatalogie : « Certains services sont pleins, parfois à plus de 100 % ! Il n’y a plus de lits disponibles. » Sébastien Leurquin se souvient des confidences glaçantes de ce professeur de néonatalogie : « Parfois, on doit trier les petits patients. » Alors que les couveuses sont déjà pleines, certains enfants sont héliportés vers un autre CHU pour libérer une place. Faute de bras, il arrive parfois que des soins ne soient pas prodigués.
Une seule maternité par département
En France, 10 départements, comme le Lot, la Haute-Vienne, le Cantal ou la Lozère, ne comptent qu’une seule maternité. « Les ministres de la Santé successifs ont décrété des choix budgétaires hasardeux, notamment en voulant faire des économies sur la prévention », assure Sébastien Leurquin.
Le maillage territorial est une des causes structurelles identifiées par les deux journalistes. Aujourd’hui, en France, les maternités doivent assurer la triple permanence des soins. Autrement dit, la continuité des soins doit être effectuée simultanément par un gynécologue, un pédiatre et un anesthésiste, en plus des sages-femmes. « Or, quand il y a un trou dans les plannings, la qualité des soins n’est plus assurée », souligne Sébastien Leurquin.
75 % des maternités ont disparu en 50 ans
Afin d’améliorer la sécurité à la naissance, une réglementation introduit un seuil minimal d’activité fixé à 300 accouchements par an. Alors que le manque de maternités devient une question de vie ou de mort, 75 % d’entre elles auraient fermé leurs portes, depuis 1975.
Avec seulement 450 maternités en service, certaines femmes doivent se déplacer de plus en plus loin pour accoucher. Selon la Drees*, 900 000 femmes, en âge de procréer, habitent à plus de 30 minutes d’une maternité. « Et la part de celles qui habitent à plus de 45 minutes a augmenté de 40 %, depuis le début des années 2000 », appuie Sébastien Leurquin. Plus les déplacements sont longs, plus le risque est avéré pour une maman.
Dans le département rural du Lot, où les deux journalistes ont enquêté, il n’y a qu’une seule maternité en service pour toute la population. « Le taux de mortalité infantile dans le Lot est de 6,2 pour 1 000 naissances », nous révèle Sébastien Leurquin. Il s’agit du plus élevé de toute la France métropolitaine.
Une sage-femme se confie aux journalistes : « Chez nous, la distance est une perte de chance », entame-t-elle. La soignante révèle qu’une maman a perdu son enfant à cause d’un hématome rétroplacentaire (décollement prématuré du placenta de l’utérus). La patiente habitait à plus d’une heure de route de la maternité, « le bébé a manqué d’oxygène trop longtemps et il en est mort. »
« On rate des femmes »
« En Seine-Saint-Denis, nous avons constaté qu’il y avait un effondrement absolu de la protection maternelle et infantile (PMI) », révèle le journaliste. Les centres de PMI organisent notamment des consultations gratuites et des actions médico-sociales de prévention et de suivi. Ils ont été créés en 1945, dans le but de réduire le taux de mortalité infantile et maternelle, qui était très élevé après la seconde guerre mondiale. « Cet outil de prévention français permettait de soigner et d’offrir un suivi de grossesse de qualité à toutes les femmes, y compris les plus précaires. »
D’après le journaliste, ce réseau s’est totalement écroulé en 20 ans. « On rate des femmes », alerte une maïeuticienne. « Dans les années 90-2000, il y avait suffisamment de vigies à l’échelle du quartier, de la ville, pour être alerté si une femme était enceinte. On pouvait être proactif. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. »
Finalement, il y a un rapport différent entre ce que les autorités de santé basées à Paris décrètent et la réalité des territoires concernés, étayent Sébastien Leurquin et Anthony Cortes dans leur livre. Le moratoire voté à l’Assemblée nationale la semaine dernière comprend un « état des lieux », réalisé sur les maternités pratiquant moins de 1 000 accouchements par an, et la création d’un « registre national des naissances ».
Un moratoire sur les fermetures de maternité
« Cette proposition de loi déposée par le député Paul-André Colombani fait suite à la sortie de notre livre », révèle le journaliste, satisfait de voir le sujet de la mortalité infantile enfin à l’agenda politique. Si le texte ne résoudra pas à lui seul la mortalité infantile, pour Sébastien Leurquin, c’est une première pierre qui en appelle d’autres.
Sans outil statistique, il était impossible de connaître précisément quelle cause était prépondérante sur les autres. « On ne mettait pas en miroir tous ces décès les uns avec les autres, pour voir si des corrélations apparaissaient. » Concrètement, ce registre permettra à l’avenir de croiser des données médicales, épidémiologiques, sociales, démographiques et environnementales. « Nous allons peut-être voir apparaître des corrélations entre mortalité et distance, ou bien entre mortalité et environnement. Par exemple, l’exposition aux pesticides ou aux perturbateurs endocriniens.
Chaque année en France, 2 800 bébés décèdent
Le livre se clôture par le témoignage bouleversant de plusieurs parents endeuillés. « La mortalité infantile, ce sont des familles anéanties, des parents dévastés, c’est parfois des frères et sœurs qui ne comprennent pas pourquoi le monde de leurs parents s’effondre », soutient Sébastien Leurquin. Chaque année, 2 800 bébés décèdent en France.
Cette semaine, les auteurs présenteront leur ouvrage dans les Pyrénées-Orientales. Vendredi 23 mai à 19h, à Céret, au Théâtre de verdure avec la librairie Le cheval dans l’Arbre. Samedi 24 mai à 14h, à Port-Vendres, à la librairie Oxymore et le même jour à 18h, à Millas, au café-patisserie Pinell.
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