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Fabriquer des objets à domicile : dans l’univers des « makers », argent facile ou galère ?

Alvina Montsarrat joaillère

Article mis à jour le 12 octobre 2025 à 13:13

Pas de patron pour les « makers ». Qu’il s’agisse d’artisanat ou d’une mini-industrie à base de machines, la création à domicile connaît un véritable boom. Entre rêves d’indépendance et success stories, plongée parmi ces entrepreneurs qui façonnent, gravent ou impriment un large éventail d’objets depuis chez eux. Photo d’ouverture : Alvina Montsarrat, joaillère.

La plateforme de vente en ligne Etsy est comme un baromètre de cette mouvance, portée par du matériel de conception devenu plus abordable. Sur ce site, plus de six millions de vendeurs, souvent des microentrepreneurs, s’efforcent de faire exister leurs créations. Le gadget personnalisable y a une grande part, avec des centaines de versions du cadeau de naissance avec prénom au portrait de votre belle-mère en porte-clé, en passant par le tableau en relief ou le bijou sur mesure.

Une nébuleuse s’est constituée autour de ces créateurs, avec désormais du coaching payant pour mieux vendre, et bien sûr l’arrivée fracassante de l’intelligence artificielle qui fournit du visuel à la pelle et donne un sentiment de facilité. Suffit-il de prendre des commandes et d’imprimer, tisser ou graver à la chaîne pour dégager un revenu, sans supérieur ni boutique ?

Face aux produits chinois

C’était le rêve de Nicolas, qui enchaîne les vide-greniers et autres marchés dans les Pyrénées-Orientales. Passionné par la création comme par les technologies pilotées par ordinateur, il pensait avoir trouvé la combinaison parfaite. Il propose des figurines en impression 3D, des gravures sur bois, verre et métal. Il propose même de la découpe plus artisanale avec une scie à chanfreiner. Devant son étal, un peu dépité, il montre son arbre de vie en bois qui lui a pris des heures de travail et qu’il espère vendre 30 ou 40 euros.

« J’ai vu le même en plus grand sur un site chinois, pour 16 euros seulement. » Il ne parvient pas à dégager un salaire. Se démarquer est clairement une difficulté face à une mondialisation qui casse les prix.

Christopher Sarda, de Roussillon Créations, relève le même défi. Au chômage et avec l’arrivée d’un premier enfant, il décide de se lancer à son compte. Après avoir investi dans des machines de gravure et découpe laser, il s’installe dans son garage à Tautavel et lance son entreprise en juillet 2024.

Succès inattendu pour les décapsuleurs personnalisés

Pour se faire connaître Christopher enchaîne les marchés touristiques et les galeries marchandes. Il propose des planches à découper avec des messages personnalisés. Mugs, lampes, tapis de souris, bracelets… le catalogue est large. Mais ce qui cartonne, et il en a été le premier surpris, ce sont les décapsuleurs avec une petite phrase personnalisée. « Je suis agressif sur le prix, un des moins chers de France. » Il achète des panneaux de contreplaqué et programme sa machine, un graveur acheté 1800 euros.

« J’essaie maintenant de développer la boutique en ligne, mais le référencement sur Google est difficile. J’ai essayé Etsy, mais ce n’est pas assez connu en France, et ils prennent des commissions pour la promotion des produits etc. Sur un produit à 27 euros, une fois les commissions, l’URSSAF et tout déduits, il me restait 9 euros… »

Malgré les difficultés, il assure vivre de sa passion. « J’ai fait une très bonne saison. » Pour autant, c’est loin d’être de l’argent facile. « Je ne compte pas les heures. Hier j’ai fini à trois heures du matin, j’étais en train de refaire les frais de port sur le site. Personne ne va dire te dire ‘va bosser’ ! »

Des marques qui promettent 900 euros par jour

Il évoque ces marques de machines qui promettent 900 euros par jour. « Il y aura toujours quelqu’un que ça fera rêver. J’ai vu des vases gravés à 169 dollars. Oui, on peut en fabriquer quatre dans la journée. Mais personne ne va les acheter. Les créateurs arrêtent après quelques mois, face à la concurrence chinoise. »

De nouvelles machines devenues plus abordables, comme l’impression UV qui permet de faire des petits reliefs en couleur, ou encore la gravure dans des blocs de cristal, sont très attendues par les makers.

« La concurrence va être de plus en plus rude. » Il faut aussi affronter les remarques des artistes qui travaillent à la main. « Je fais des gravures sur toile. Je me suis fait insulter par une dame qui était peintre, qui me disait que c’était une honte. »

De son côté Virginie Rizzon propose uniquement de l’impression 3D avec son entreprise Fanart&Popart. Installée à Toulouse, elle écume les conventions dans tout le sud de la France, dont certaines dans les Pyrénées-Orientales. Son créneau, les figurines réalistes d’œuvres phares, comme Alien ou Star Wars. Elle achète certains fichiers numériques sur des sites dédiés, ou conçoit directement elle-même l’œuvre en 3D, puis, après des impressions qui peuvent durer plusieurs jours, elle réalise la peinture à la main.

Triompher de son niveau scolaire et d’un emploi en fast-food pour une confortable vie de cheffe d’entreprise

Pour Virginie, tout a commencé par une passion. « Je travaillais à Burger King, mais j’ai toujours été manuelle. » La jeune femme finit par plaquer le fast-food. Depuis trois ans elle vit de la vente des figurines et dispose à la maison de neuf imprimantes. Elle s’efforce de percer avec les prix. « Je produis une trentaine de figurines par mois. Un Hulk de 30cm, certains concurrents le font à plus de 200 ou 300 euros, moi je le fais à 130 euros. Là sur une seule convention Star Wars, j’ai gagné 2000 euros. Quand on enlève les frais, ça fait 1600 euros net en deux jours. »

Elle réalise aussi des logos d’entreprise façon mini-enseignes lumineuses. Son rêve, finir par ouvrir un magasin. Virigine ne se figure pas revenir à un emploi salarié.

« Je ne pensais pas y arriver en raison de mon niveau scolaire, j’ai été en Segpa. Mais maintenant je suis tranquille. À 39 ans, je suis ma propre patronne. Même si je travaille tout le temps. Le soir, je suis sur mon ordinateur, ça agace un peu mon conjoint. »

À Ille-sur-Têt, Cécile Aspe a lancé Cissou Déco. Elle propose entre autres des objets personnalisés à base de sublimation, c’est-à-dire de l’impression sous pression et chaleur. Son atelier est dans son salon. Elle produit articles de décoration, doudous personnalisés, séries pour l’évènementiel… Le best-seller étant la boule de Noël avec le prénom.

Intelligence artificielle et impression par sublimation

« Quand j’étais petite je suis tombée dans l’informatique. » Formée au graphisme numérique, elle se lance dans la fabrication lorsqu’elle se retrouve au chômage, d’abord avec de la découpe de lettrages au fil chaud dans du polystyrène. « J’ai mis le doigt dans l’engrenage et j’ai acheté de plus en plus de machines différentes. »

Aujourd’hui elle fait même de l’impression alimentaire. Pour créer ses visuels, elle utilise l’intelligence artificielle qu’elle modifie ensuite pour y ajouter sa patte artistique. Elle espère finir par en vivre. « Le plus long est de se faire connaître. Il faut exister sur les réseaux sociaux, mais aussi rencontrer des professionnels. »

Du garage au magasin

Enfin Alvina Montsarrat verse de son côté dans l’artisanat et, avant de lancer enfin sa boutique, a fait sept ans de joaillerie… dans son garage ! Après ses études dans une prestigieuse école de Barcelone, elle se lance de chez elle faute de patron. « J’avais mon établi, le chalumeau et le micromoteur chez moi. J’ai commencé par quelques pièces, deux ou trois commandes ont été passées. » Il lui faut s’inscrire au répertoire des métiers, avoir une entrée séparée pour le travail des métaux précieux, dégager une trésorerie pour acheter l’argent et l’or, et surtout arriver à se distinguer du bijou fantaisie.

« C’était le bouche-à-oreille, les marchés et Instagram. Je fais aussi des commandes sur mesure, des bagues de fiançailles, des alliances. Petit à petit j’ai fait des petites collections. » Les commandes augmentent avec le Covid, les clients fréquentant davantage les réseaux sociaux.

« On attendait de moi de tenir la maison »

Mais travailler de chez soi, pour la jeune maman qu’était Alvina, n’est pas toujours évident. « On attendait de moi de tenir la maison puisque j’y étais, et de travailler en même temps. Comme je n’avais pas d’horaires, j’allais chercher les enfants à l’école. C’est la pression d’avoir toutes les casquettes. »

Alvina Montsarrat a commencé dans son garage.

Après 7 ans, malgré quelques bons mois, Alvina n’arrive pas à dégager un salaire régulier. C’est en ouvrant un atelier boutique à Perpignan et en osant mettre des prix alignés sur les confrères qu’elle est enfin devenue rentable. « Les gens voient l’atelier, voient que c’est façonné à la main. Les bijoux ont mieux marché quand j’ai arrêté de penser à ce qui allait plaire et fait ce qui me plaisait. »

Tandis qu’Alvina Montsarrat oublie son garage, d’autres créateurs s’y mettent, attirés par l’indépendance. Pour les seules Pyrénées-Orientales, des dizaines de « makers » apparaissent chaque année pour tenter de percer dans un univers du petit objet, toujours plus concurrentiel.

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