Noël, simple tradition chrétienne ? L’histoire de nos fêtes de fin d’année s’avère bien plus mouvementée. Avec humour, l’association d’esprit critique FASD Zet 66 se penche d’abord sur le réalisme du Père Noël, avant d’en examiner les aspects historiques. Mais d’où vient donc le vieil homme jovial qui distribue les cadeaux à la vitesse de la lumière ?
Dans le cadre d’un partenariat noué entre Made In Perpignan et l’association d’esprit critique, FASD Zet 66, Stéphane Cornille et Cyril Gambari démystifient des fake news en révélant leur origine.
Selon Amnesty International, il y aurait entre 2,3 et 2,5 milliards d’enfants (entre 0 et 17 ans) sur la planète. Si on estime que 50 % de tous les enfants fêtent Noël et que chaque foyer compte 1,7 enfant, alors le père Noël devrait livrer 730 millions de foyers (1,24 milliard que divise 1,7). Si la fenêtre de livraison (sans prendre en compte les fuseaux horaires) est une nuit de 10h, alors notre ami barbu devrait livrer 20 278 foyers par seconde ! (730 millions que divisent 10h x 3600 secondes) [1] Même Amazon Prime n’oserait pas promettre une telle performance !
Une logistique presque impossible
Si le Père Noël fabriquait tous les jouets de la planète, il faudrait une main-d’œuvre équivalente à plusieurs millions d’ouvriers. Les lutins, souvent représentés comme une poignée de joyeux artisans, ne suffiraient pas à soutenir une telle production. Ils auraient plutôt l’apparence d’ouvriers asiatiques surexploités par la machine capitaliste mondiale. [2]

Autre problème : les rennes du Père Noël sont censés voler. Or, il n’existe qu’un seul mammifère capable de voler : la chauve-souris, et aucune n’est adaptée aux environnements polaires ou… aux vols transcontinentaux. À moins d’invoquer une réalité parallèle où les lois de la physique ne sont pas les mêmes qu’ici, la probabilité que Rudolph soit une chauve-souris et qu’il puisse voler reste proche de zéro.
Un personnage entre tradition et marketing
Vous l’avez sans doute entendu quelque part, le Père Noël est une invention de Coca-Cola ! Mais en fait c’est un peu plus compliqué que cela, le Père Noël n’est pas une invention marketing sortie de nulle part. Il est le fruit d’un syncrétisme culturel mêlant mythologies païennes, folklore populaire, traditions chrétiennes et influences commerciales modernes. À garder en tête quand on place le Père Noël comme un avatar chrétien.
Chez les Romains, les Saturnales (fêtes en l’honneur du dieu Saturne) et les fêtes du solstice d’hiver symbolisaient la générosité et le renouveau de la fin de l’année. D’ailleurs les maisons étaient ornées de verdure et de guirlandes pour fêter la lumière renaissante. [3]
Dans la mythologie nordique, on trouve le généreux dieu Odin chevauchant Sleipnir, un cheval à huit jambes capable de se déplacer à toute vitesse dans les airs (plus crédible que nos chauves-souris ?) et célébré pendant les fêtes de Yule ! [4]
Au cours de la christianisation de l’Europe, la religion chrétienne agglomère ces fêtes païennes en remplaçant la figure d’Odin par celle de Saint Nicolas de Myre (IVe siècle), un évêque chrétien réputé pour sa générosité envers les enfants et les pauvres. Saint Nicolas est fêté le 6 décembre dans de nombreux pays européens, il distribue des cadeaux aux enfants sages, parfois accompagné du Père Fouettard. La Nativité est fixée au 25 décembre pour concurrencer les rites païens
Coca Cola popularise le manteau rouge, mais ne l’a pas inventé
Au XVIe siècle, les pays protestants, poussés par Martin Luther, en opposition avec le dogme catholique, suppriment la fête de Saint Nicolas et la remplacent par le Weihnachtsmann (l’Homme-Noël) en Allemagne et le Father Christmas en Angleterre ou plus simplement par le Christkind (l’enfant Jésus). [5]
Au XVIIe siècle, ce sont les colons néerlandais arrivés aux États-Unis qui y importent Sinterklaas (Saint Nicolas) et qui deviendra phonétiquement Santa Claus pour les Américains. [5]
Au XIXe siècle, Santa Claus se popularise, prend sa forme définitive en se drapant de rouge et de blanc. Le poème A Visit from St. Nicholas (1823) et les illustrations de Thomas Nast (dans les années 1860) représentent Santa Claus comme un vieillard jovial aux habits rouges portant une barbe blanche et une hotte. Le mythe est né ! Les rennes et le traîneau apparaissent en 1821 dans un poème anonyme : Old Santeclaus with Much Delight.
Et enfin en 1931, Coca-Cola popularise à son tour une version graphique du Père Noël en rouge et blanc, dessinée par Haddon Sundblom, qui suit d’autres illustrations antérieures, toujours avec le même manteau rouge, par exemple en 1902 dans le magazine Puck. Cette version supplante Saint Nicolas en Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Père Fouettard et Tintin au Congo
À la manière du Père Noël, le Père Fouettard est un syncrétisme culturel, mais beaucoup plus problématique. Si les Alsaciens possèdent leur Hans Trapp, figure sauvage portant un sac de charbon et accompagnant Saint Nicolas, les pays plus à l’est craignent le Krampus, un être démoniaque effrayant les enfants comme les adultes. En Belgique et aux Pays Bas, le Père Fouettard est appelé Zwarte Piet (Pierre le Noir) et il prend l’apparence d’un valet d’origine africaine portant tous les sacs de Saint Nicolas. [6]
Cette tradition persiste jusqu’à aujourd’hui et est activement controversée, notamment pour véhiculer des stéréotypes coloniaux voire racistes, en particulier la pratique du blackface du Zwarte Piet (pratique consistant à se grimer de noir pour ressembler à une personne racisée). [7] Le Zwarte Piet belge s’inscrit pleinement dans le colonialisme de l’époque et le racisme systémique, tout comme l’a été en son temps le Tintin au Congo de Hergé. [8;9]
Et le sapin de Noël ?
Il trône probablement en ce moment même dans votre salon, que vous soyez catholique, protestant, musulman, juif, ou athée. Mais l’histoire du sapin de Noël, surtout chez les catholiques, a de quoi faire sourire. Les premières mentions d’un arbre de Noël décoré de pommes, de noix et d’hosties remontent au XVe siècle en Alsace à Sélestat. Au XVIe siècle, les protestants allemands introduisent l’arbre dans tous les foyers, en réaction… à la crèche des catholiques [10].

Au XVIIIe siècle, la duchesse d’Orléans fait installer un sapin aux Tuileries, lançant ainsi la mode en France. Les Allemands l’emportent dans leurs foyers aux États-Unis, la mode est ainsi lancée. [11]
Le reste des traditions autour de Noël
Pour briller en famille autour d’un bon repas, nous vous proposons quelques anecdotes pour vous sortir (ou pas) d’une conversation délicate autour de la politique ou de la tradition franco-française de la présence de crèches dans les mairies.
● La bûche de Noël : un rite païen. Certains racontent que lors de la plus longue nuit de l’année (aux alentours du 20 décembre), les anciennes familles d’Europe du Nord faisaient brûler une énorme bûche de bois pour être au chaud toute la nuit et pour protéger la maison et la famille. Les cendres étaient conservées tout au long de l’année en guise de protection. Chez nous, El Tió de Nadal (bûche de Noël en catalan) est une vraie bûche de bois décorée d’un visage et recouverte d’un drap. Les enfants lui donnent à manger durant le mois de décembre (traditionnellement à partir du 12), et le jour de Noël, si c’est demandé gentiment en chantant (parfois à coups de bâton), le Tió de Nadal libère des friandises. « Caga tió, tió de nadal ; no caguis arengades que són salades, caga torrons, que són mes bons. »
● Les enfants laissaient des carottes, du foin ou du grain dans leurs chaussures pour nourrir Sleipnir, le fabuleux cheval d’Odin. On préfère aujourd’hui les petites offrandes la veille de Noël (sans doute moins salissant et plus courant).
● En Islande, ce sont 13 lutins qui apportent les cadeaux.
● En Espagne, ce sont les Rois Mages qui gâtent les enfants le 6 janvier et en Russie, c’est Ded Moroz (Grand-Père Gel) accompagné de sa petite-fille Snegurochka.
● L’apparition des crèches dans les mairies n’est que récente et suscite de vives polémiques autour du principe de laïcité.
● Rudolph est le dernier des rennes et apparaît dans une campagne publicitaire en 1939. Tous les rennes ont des noms, on retrouve Dasher, Dancer, Prancer, Vixen, Comet, Cupid, Donner, Blitzen.
En guise de conclusion, un message de paix et de solidarité en cette fin d’année. Comme vous l’avez lu, Noël est une fête multiculturelle inspirée des religions polythéistes, récupérée par le christianisme et ses courants puis à son tour récupérée par le capitalisme. Ainsi, si vous mangez une bûche, décorez le sapin, préparez la crèche et attendez le Père Noël, vous entremêlez dans votre foyer des traditions païennes avec des traditions catholiques, nordiques et protestantes. Ne soyez donc pas trop prompts à juger du caractère identitaire et/ou national des fêtes de Noël, ce sont avant tout des fêtes de retrouvailles et de partage, de joie et d’euphorie, nul besoin de se réclamer croyant pour y adhérer et y participer.
Pour le reste, on vous laisse avec All I Want For Christmas Is You de Mariah Carey, histoire que ça vous reste dans la tête toute la journée.
Sources :
[1] Amnesty
[2] RFI, jouet Made in China
[3] Fêtes saturnales
[4] Yule
[5] Père Noël et Saint Nicolas
[6] St. Nikolaas en zijn knecht, 1850
[7] Stéréotypes coloniaux
[8] Affaires sensibles, Tintin au Congo
[9] Contexte colonial
[10] Histoire du sapin de Noël
[11] Sapin et origine protestante
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