Article mis à jour le 6 novembre 2025 à 13:54
À l’occasion des 80 ans de la Protection maternelle et infantile (PMI), lumière sur un service public souvent méconnu mais essentiel. Dans les Pyrénées-Orientales, où pauvreté, isolement et pénurie médicale se conjuguent, ces professionnels de terrain poursuivent une mission vitale : prévenir, soutenir et tisser du lien, là où les fragilités s’enracinent. Photo d’illustration © Unsplash
Des coussins colorés, des poufs, une petite cuisine en bois et, au sol, des tapis de jeu. À la Maison sociale de proximité (MSP) d’Argelès-sur-Mer, l’aile dédiée à la Protection maternelle et infantile (PMI) ne ressemble pas à un cabinet médical classique. Ici, l’atmosphère respire la bienveillance. L’espace, résolument kids friendly, côtoie les pièces de consultation où se croisent sage-femme, infirmière puéricultrice, médecin et éducatrice de jeunes enfants. Ce décor simple dit beaucoup de la philosophie du lieu : un service public où la prévention passe d’abord par l’attention portée aux familles. A toutes les familles.
« Trop peu de gens le savent, mais la PMI est accessible à tous. Nous sommes un service public gratuit et universel. On accueille tout le monde ! », rappelle Marion Fenelon, sage-femme sur le secteur Côte Vermeille. Un principe fondamental souvent méconnu : « Des gens me disent encore : ‘Je croyais que je n’avais pas le droit de venir, que c’était réservé aux familles en difficulté’. Mais non, on est là pour tout le monde », renchérit sa collègue Laurence Serradeil, infirmière puéricultrice. « La PMI, c’est un service public de proximité, quel que soit le milieu, souligne Fanny Momenceau, directrice adjointe des Maisons sociales de proximité du Tech. Le travail en PMI, c’est du partenariat, du collectif. On travaille dans des dynamiques territoriales. L’idée, c’est d’aller vers, de créer du lien, d’être dans la proximité. »
Un service en première ligne face à une précarité structurelle
Cette philosophie d’ouverture et de présence sur le terrain prend tout son sens dans un contexte où les fragilités sociales s’accentuent. À l’échelle nationale, plusieurs indicateurs sont en nette dégradation : la mortalité infantile repart à la hausse, la pauvreté progresse, et les inégalités territoriales se creusent. Par la prévention qu’elle mène, la PMI agit précisément en amont de ces fractures, pour éviter que les difficultés des familles ne se transforment en détresse.
Dans les Pyrénées-Orientales, l’enjeu est d’autant plus fort que le département fait partie des plus fragilisés du pays. Plus d’un habitant sur cinq y vit sous le seuil de pauvreté (21,2 %) et le taux de chômage y demeure parmi les plus élevés de France. Dans ce contexte, la précarité et l’isolement deviennent un terreau propice aux fragilités multiples. « Aujourd’hui, on voit des familles touchées de partout : difficultés financières, violences intrafamiliales, déscolarisation, dépression… C’est multifactoriel », souligne Laurence Maris-Mas, sage-femme sur le secteur Vallespir-Albères.
Sur un territoire vaste et contrasté, ces missions s’adaptent à la géographie. « Quand on va à Calmeilles voir une maman de jumeaux, on y reste trois heures, poursuit Laurence Maris-Mas. On fait le monitoring, on parle, on écoute. Ce temps-là est précieux. Les mots soignent autant que les soins». « En PMI, on a le luxe de pouvoir prendre le temps » abonde Marion Fenelon. Dans un monde médical souvent sous tension, cette phrase prend des allures de manifeste. Consultations prénatales et postnatales, visites à domicile, bilans de santé en école maternelle, accompagnement à la parentalité, agréments d’assistants maternels, interventions dans les collèges… La liste des missions de la PMI est longue.
Pour les mener à bien, les professionnelles sillonnent les routes étroites du Vallespir ou de la Côte Vermeille, parfois jusqu’à Taillet ou Cerbère, pour maintenir un lien humain. « Les personnes qu’on suit le savent, elles nous attendent. Sur place, le temps n’est pas compté. Et ça change tout ». Elles s’adaptent aussi en permanence, pour créer et inventer des outils qui permettent de créer ce lien et de prévenir les difficultés. En territoire rural, par l’écoute et la présence. Au bord de mer, avec des rando-poussette comme au Barcarès.
« La prévention, ça ne se chiffre pas »
La prévention est l’essence même de la PMI, mais aussi sa fragilité. « On ne s’arrête pas à des statistiques, on ne coche pas de cases, martèle Laurence Serradeil. Et heureusement, parce que derrière chaque chiffre, il y a une histoire, une vie, une écoute. Et ça, ça ne se mesure pas dans des tableaux ! »

C’est tout le paradoxe d’un service dont l’efficacité se mesure justement à ce qui relève de l’impalpable. « La prévention, ça ne se voit pas, rappelle le chercheur Pierre-Yves Ancel (INSERM). Quand on prévient, ça ne se voit pas. Si on prévient des situations critiques ou des morts, ça reste un peu fictif. Par contre, si on sauve quelqu’un atteint d’une maladie grave, là c’est visible. Finalement, la prévention est devenue le parent pauvre parce que ses effets sont peu palpables ».
Ils sont pourtant essentiels. Et le large spectre d’action de la PMI, qui dépasse amplement le champ médical, en atteste : accompagnement psychologique, écoute du deuil périnatal, repérage des violences conjugales, orientation vers des structures partenaires, travail avec les crèches, les écoles, les maternités, les équipes mobiles de santé mentale ou les services sociaux… Autant de liens tissés pour assurer le maillage d’un filet de sécurité contre les difficultés de la vie, qui se manifestent souvent au moment de la parentalité.
Contexte difficile et croisée des chemins
« On accueille de l’intime. Quand une personne s’ouvre, ose raconter et nous livre son vécu, ça n’a pas de prix », confie Laurence Serradeil. Mais pour continuer à offrir cette écoute attentive, encore faut-il que les équipes puissent tenir le rythme. Dans un département où la démographie médicale est fragile, chaque départ se ressent. « Sur la Côte Vermeille, on devrait avoir 2,6 équivalents temps plein de médecins ; pendant un an et demi, il n’y en avait qu’un seul », explique Marion Fenelon. Un déséquilibre qui renforce la charge de travail des autres professionnels et qui modifie le coeur de leurs missions : « On s’aperçoit que certaines femmes qu’on suit n’ont pas vu de médecin depuis cinq ou six ans. Alors, quand on organise une journée de dépistage, on voit défiler cent personnes, et on réalise trente frottis… Cela dit tout de l’état du système ».
Du côté de la direction, le constat est partagé. « Le contexte est compliqué, avec un manque de médecins et des difficultés de recrutement, confirme Fanny Momenceau. Sur les enfants par exemple, nous sommes obligés de prioriser les 0-2 ans, même si on aimerait pouvoir suivre plus largement ». Ces choix, contraints, rappellent à quel point la prévention repose sur un équilibre fragile entre volonté et moyens.
À 80 ans, la PMI n’a rien perdu de son sens ni de son utilité. Dans un territoire où la précarité et l’isolement gagnent du terrain, elle incarne encore un service public à hauteur d’humain. Celui qui, sans bruit, change des vies.
La PMI en danger
Partout en France, les services de Protection maternelle et infantile traversent une crise structurelle. Le rapport Peyron, remis au gouvernement en 2019 sous le titre « Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! », alertait déjà sur l’affaiblissement inquiétant de ce pilier de la prévention.
Dans les Pyrénées-Orientales, la situation illustre ces difficultés. En mai dernier, les professionnels de la PMI se sont rassemblés devant le Conseil départemental. Ils dénonçaient « un budget de fonctionnement dérisoire » (estimé à environ 800 000 euros, soit moins de 1% du budget global du département) et « l’absence de stratégie claire pour l’avenir du service ».
Ils mettaient en avant les effets concrets du manque de moyens : baisse continue des consultations infantiles ; rallongement des délais pour obtenir un rendez-vous ; moins de bilans de santé à l’école maternelle ; impossibilité d’inspecter les crèches (en 2024, seules deux des 136 structures d’accueil du département ont reçu la visite d’une équipe de PMI, et près de la moitié n’ont plus été inspectées depuis plus de cinq ans).
Contactée, Hermeline Malherbe, présidente du Conseil départemental, déclare que « la hausse de la précarité a entraîné un renforcement des difficultés rencontrées par les professionnels de la PMI dans leurs actions d’accompagnement ». D’après elle, « dans un contexte national préoccupant, avec une hausse de la pauvreté et des indicateurs sanitaires en dégradation, le Département renforce son action de prévention ». « Nous soutenons nos professionnels de terrain, développons l’accès aux soins et aux conseils pour toutes et tous. Chaque jour, nos équipes accompagnent les jeunes parents et veillent à la santé et au bien-être des enfants, de la grossesse jusqu’aux premières années de vie. Protéger les plus jeunes, c’est protéger l’avenir de notre territoire ! »
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