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Fanny raconte sa transidentité : « Journal intime de ma deuxième vie »

PORTRAIT FANNY

A 50 ans, Dominique*, père de famille comblé et entrepreneur passionné résidant à Perpignan, est devenu Fanny. Elle nous raconte le début de sa prise d’œstrogènes, en décembre 2023, son quotidien dans une famille qui tente de s’adapter devant le fait accompli, ses inquiétudes et ses petites victoires.

Cet article fait partie d’une série intitulée « Identités LGBTIQA+ », réalisée à l’occasion du mois des fiertés, et soutenue par la Dilcrah avec la collaboration précieuse du Centre LGBT+66.

« Bonsoir mon journal, il faut que je commence à écrire pour raconter les bouleversements que je rencontre »

Quand j’avais 6 ou 7 ans, je crois me souvenir d’un premier essai de collants, et des habits de ma mère, en cachette. Je suppliais Dieu de me réveiller en fille chaque matin. J’ai eu plein d’amoureuses, et de longues périodes sans me travestir. Mais parfois, j’avais une pulsion impossible à contrôler. Je finissais par avoir honte et les habits achetés partaient à la poubelle.

Mon besoin de changer de corps pour avoir celui de mes rêves s’est mis en place dans un contexte de plus grande acceptation de la société et grâce à des sites internet qui partagent des infos sur la transidentité. Bien sûr, je ne regrette aucunement ma vie d’avant, car aujourd’hui j’ai deux enfants merveilleux et une femme extraordinaire. Je n’aurais pas pu rêver mieux.

Mais Fanny est là, et elle a pris beaucoup de place. Avant, chaque matin, en m’habillant, quelle souffrance de devoir tout cacher sous un pull ou une chemise, un jean que je ne supportais plus sur mes collants. Il me tardait d’être enfin le soir pour pouvoir me rhabiller au féminin. Mais le dégoût sur le visage de ma femme me faisait mal. Elle fait des efforts et je la remercie énormément. Mais je sais que c’est très dur. La peur du regard des autres, des réflexions, de tous ces gens qui me connaissent en garçon. En plus, j’ai peur d’être moche et de ressembler à un vieux travesti, jamais vraiment à une fille.

PORTRAIT FANNY

J’aimerais apprendre à chanter du Louane pour adoucir ma voix

Aller chez l’esthéticienne me faisait beaucoup de bien, c’est mon moment fille et détente. Je suis aussi tellement contente pour ma poitrine, qui a poussé, même si elle me fait mal. J’espérais qu’elle pousserait encore beaucoup, même s’il me fallait du coup accélérer le coming-out au bureau. Je gère plusieurs dizaines de biens locatifs dans le département. Les locataires vont-ils continuer à payer si je suis en femme ? Les banquiers vont-ils me prendre au sérieux si je suis en femme ?

J’ai fait épiler mes sourcils en semi-permanent. Ça me plaît et ça fait propre. Ça pique un peu. On m’a dit que pour les cheveux, on ne pouvait rien faire. Perruque à vie… Ça rend bien, mais est-ce que ma femme est prête ? Et moi, et mes enfants ?

Mon fils, ma fille, et moi

L’année dernière, pour la fête des pères, mon fils Claude* est venu avec sa fiancée. C’était super, mais je n’ai pas réussi à leur parler. Comme nous devions partir au Japon en famille quelques mois après, ma transition allait être encore plus avancée, et difficile à cacher. J’aurais pu leur dire pendant le vol : 16h en l’air, ça laisse du temps. Mais j’ai fini par leur dire avant, par SMS. Ils ont été fantastiques. Voici sa réponse :

« Jeanne* et moi sommes très ouverts sur la transidentité, tu n’avais vraiment pas d’inquiétude à te faire ! En tout cas on est très contents pour toi, que tu te libères et que tu te sentes mieux à l’avenir. Si tu as besoin de nous, on sera toujours présents. Je t’aime, t’es une quiche de pas l’avoir dit plus tôt quand même. Gros bisous, fais attention sur la route ! Ça serait con d’avoir un accident alors que t’as une toute nouvelle vie à vivre ! »

Je lui ai dit que son père l’aimait et qu’il m’avait fait pleurer de joie. Les hormones. Mon mascara a coulé sur mes joues.

Le séjour au Japon a été féérique

J’ai fait mes premiers pas en tant que femme pendant ce séjour. Mon fils et ma belle-fille ont été hyper câlins. Ils m’ont soutenue, encouragée, m’ont dit que j’étais jolie avec mes tenues, que mes ongles de pieds étaient beaux.

Les Japonais sont super, ils ne jugent pas, ne rient pas, ne te fixent pas pendant des heures. Ces 20 jours de voyage m’ont bien soigné de la timidité. Des milliers de personnes te voient habillée en fille, et tu te promènes naturellement.

Claude nous a trouvé un super resto à Hiroshima. Ça me faisait bizarre, car il était l’homme et nous étions quatre filles à le suivre comme une bouée. Au restaurant, c’est lui que le serveur regardait, pour les commandes, la note… Les serveurs nous ont tiré les chaises et il me semble qu’ils ont dit « madame ».

Ma fille, Estelle, a eu un peu plus de mal pendant le voyage

De retour à Perpignan, je lui ai écrit une lettre, dans laquelle j’ai répété mon amour pour elle.

Notre enveloppe corporelle n’est pas nous. C’est mon âme, mon esprit, mes pensées que vous aimez et on ne peut pas s’arrêter à une robe ou un pantalon. Quand nous serons au paradis, nous serons tous des anges, il n’y aura plus de sexe. Tous en robe avec des ailes.

Tu ne perds pas ton père, il se transforme un peu et pourra être aussi ton amie, ta confidente, ta copine, avec qui tu partageras des choses peut-être plus féminines qu’avec un père.

Pour la première fois, je suis allée en ville avec une copine, et j’ai acheté plein de trucs dans ma boutique préférée. C’était trop bien d’être conseillée par une amie. En sortant, j’ai pris conscience qu’il faisait nuit et que ça pouvait être dangereux pour une femme.

J’ai montré à ma mère les habits que j’avais achetés. Elle a tout trouvé très joli. Je lui aurais bien fait un défilé de mode mais elle ne me l’a pas demandé. Elle m’a offert une paire de ses boucles d’oreilles. Ça me fait très plaisir, même si j’ai eu l’impression de voler l’héritage d’Estelle. Ma mère m’a répondu qu’elles seraient pour elle plus tard !

Début avril, ma mère m’a appelée pour me dire que mon père avait fait un malaise cardiaque. Lorsque nous sommes arrivés quelques heures après, c’était trop tard. Il n’a pas souffert, il est parti serein. Il n’a connu Fanny que quelques mois, mais son soutien a été inébranlable. J’aurais eu des regrets toute ma vie si je n’avais pas osé lui dire la vérité.

En passant six jours sur sept au bureau, il a fallu partager mon secret

En lisant Un jour peut-être…, le livre de ce champion olympique de kayak devenu femme, j’ai trouvé beaucoup de similitudes avec mon propre vécu. Comme elle, j’ai arrêté de m’amuser très jeune. Je faisais beaucoup d’activités scolaires, du judo, de l’équitation. J’ai commencé à travailler très tôt sur les marchés, et je nettoyais des pare-brises le week-end. Le seul imaginaire que je m’autorisais était cette chose incompréhensible, indescriptible et culpabilisante, de vouloir être une fille. Cela me prenait à chaque fois que j’étais seul, sans activité… Je me suis noyé dans le travail.

Quand j’ai annoncé à ma collègue Charline* que j’avais transitionné, elle m’a encouragée, et m’a dit qu’elle était super contente pour moi. Qu’elle avait vu que j’avais pris de la poitrine, mais qu’elle pensait que j’avais juste pris du poids.

Puis, au fil du temps, quelques collègues m’ont demandé de dévoiler ce secret trop lourd à porter pour eux. J’en ai parlé à mon collègue Michel* qui m’a dit que nous étions frères depuis 30 ans, et que maintenant nous serions frère et sœur.

À la rentrée 2024, j’ai pu faire ma première fois au bureau en robe et sandales, puis avec une perruque longue. Récemment, je me suis prise en photo à l’entrée du travail, et c’est la première fois que je me suis trouvée un peu jolie. Ça fait du bien.

Lettre à Véronique, ma femme

Ma transition est douloureuse pour Véronique. Parfois, je pense que ça va mieux, qu’elle s’habitue. Mais il y a quelques semaines, lors d’un repas avec des amis, elle a craqué à nouveau, et ça m’a fait pleurer. Je vois que c’est encore très dur pour elle.

De temps en temps, les choses se passent bien. Lorsque j’ai emmené ma fille acheter son premier vrai soutien-gorge, Véronique est venue aussi. Lorsqu’elle m’a laissée mettre ma perruque longue à la maison, j’étais trop contente. Pour la Saint-Valentin, elle m’a offert un très joli pull et une magnifique veste. Ça m’a vraiment fait plaisir, car c’est très symbolique. Alors, quelques jours après, j’ai décidé de lui écrire une lettre.

J’aimerais tellement que tu m’aimes pour la personne que je suis, l’être qui est en moi et qui t’aime passionnément et sans jugement. Que tu arrives à aimer en te fichant du regard des autres.

Je suis désolée de te faire subir ça. On ne choisit pas d’être transgenre à la naissance et je crois que l’on ne choisit pas de faire sa transition non plus. On est obligé de la faire au moment où la dysphorie devient invivable.
Je comprends que ça soit très difficile pour toi et que tu ne puisses pas faire le deuil de mon ancien corps. Mais l’amour est psychique, spirituel.

En vérité, je vois ça comme une chance, de pouvoir vivre deux genres dans une vie. Je t’aime plus que tout, mon amour. Sois fière que je sois une personne vraie, et que je ne me cache pas derrière un masque, que l’on montre à notre fille qu’il faut aller au bout de ses rêves et de ses convictions avec courage et fierté.

Le mois dernier, j’étais au centre équestre avec une copine qui a fait du cheval avec ma femme et ma fille la semaine précédente. Elle m’a demandé comment je connaissais Véronique et Estelle. J’ai expliqué la situation, que j’avais fait ma transition de genre. Elle a été surprise.

Moi qui me trouve encore tellement garçon, et pas très jolie, est-ce possible que les gens commencent à me prendre pour une femme ?

*Les prénoms ont été changés par souci de protection de l’identité des personnes concernées.

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