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Née garçon, Emma se raconte : entre transition et préjugés à Perpignan

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Article mis à jour le 31 mars 2023 à 07:30

Ce 31 mars est la journée internationale de visibilité transgenre. La communauté est encore très exposée aux violences et aux discriminations ; en résulte une grande vulnérabilité mentale, sociale et matérielle. La Haute Autorité de la Santé s’accorde sur cette corrélation, dans un rapport publié en 2022.

La rédaction de Made in Perpignan a décidé de partager l’histoire d’Emma* – une Perpignanaise de 32 ans* née garçon – ainsi que sa vision, ses embûches, et sa libération. La jeune femme a entamé sa transition il y a quatre ans*. Aujourd’hui, elle en est venue à bout. «C’est la fin, mais ça reste à vie», partage-t-elle ; notamment au sujet des regards de la société.

«Je me suis rendu compte que je n’étais ni seule ni bizarre. Ça a été une telle révélation que je me suis sentie me trouver.»

Emma grandit à Perpignan. «Physiquement, j’ai toujours été androgyne : on m’a toujours confondue. J’avais un dérèglement hormonal de naissance, et des seins qui avaient poussé avant ma transition.» Durant ses plus jeunes années, elle explique «être passée par plusieurs phases».

Surtout, elle partage s’être sentie seule et isolée dans la construction mentale, avant une révélation : «Au fond de toi tu as toujours su qui tu étais. Mais je ne connaissais aucune femme comme moi à qui me rattacher. J’ai fait une rencontre très forte un jour. C’était une femme trans. Je me suis rendu compte que je n’étais ni seule ni bizarre. Ça a été une telle révélation que je me suis sentie me trouver. J’ai entamé la procédure pour ma transition l’année suivante.»

D’après la Haute Autorité de Santé, en France «les soins de transition sont globalement pris en charge par l’Assurance maladie. Depuis un décret du 8 février 2010, la prise en charge des soins au titre des Troubles de l’Identité de Genre, relève de l’ALD» (pour Affection de Longue Durée).

«C’est encore comme dans les années 80. Aux yeux de l’état, tout cela ne reste qu’une maladie, ou qu’un trouble psychiatrique.»

Dans le cas des transitions pour personnes transsexuelles ou transgenres, la Sécu les catégorise plus précisément d’ALD 31 : «Une affection dite hors liste ; c’est-à-dire d’une forme grave d’une maladie ou d’une forme évolutive ou invalidante d’une maladie grave ne figurant pas sur la liste des ALD 30 ; comportant un traitement prolongé, d’une durée prévisible supérieure à six mois, et une thérapeutique particulièrement coûteuse.»

La première étape pour valider cette prise en charge ALD 31, pendant trois ans, est le passage chez un psychologue. Psychologue, maladies graves, troubles de l’identité : un mix de mots-clés qui ajoutent de la charge mentale d’après Emma. «C’est encore comme dans les années 80. Aux yeux de l’État, tout cela ne reste qu’une maladie, ou qu’un trouble psychiatrique comme la dysphorie de genre. Malheureusement, pour bénéficier de la prise en charge, il faut accepter de passer par là.»

Une fois l’attestation du psychologue fournie, Emma prend rendez-vous chez un endocrinologue. «Il y a eu quasiment un an de battement entre les deux visites. Il n’y a pas beaucoup de spécialistes ici. Je suis tombé sur Dr. Matejka que je recommande absolument.» 

Plusieurs examens et analyses sont effectués avant de lancer le feu vert pour l’hormonothérapie. «Le corps doit pouvoir tenir, il y a des risques qu’il y ait des refus ; partage Emma d’un ton très réaliste et assumé. C’est très stressant. Mais un premier bilan est effectué après six mois. Si ton corps suit, cette période est magnifique. Tu revis. Tu fais une puberté. Je me suis dit : enfin !»

«On te demande une attestation de couple, comme dans le passé. (…) On t’oblige à apporter des témoignages écrits de tes amis, de ton copain et de ton employeur.»

Par la suite, à chacune de décider des opérations sur leur corps ; minimum deux ans après l’hormonothérapie pour pouvoir effectuer une chirurgie pelvienne, et un an pour la chirurgie mammaire. Mais tout le long des trois années, il y a le suivi obligatoire avec le trio psychologue – endocrinologue – chirurgien ; d’après Emma. Entre-temps, viennent les démarches administratives. «La partie la plus compliquée de la transition.»

Emma a d’abord fait une demande de changement de prénom de naissance à la Préfecture. «Puis j’ai déposé la requête au tribunal pour les changements définitifs ; notamment de genre. Tout se complique à ce moment. C’est énormément de paperasses qui te rabaissent. Il y a de nouveau le suivi psy, et on te demande aussi une attestation de couple, comme dans le passé. On t’oblige, par exemple, à apporter des témoignages écrits de tes amis, de tes employeurs et de ton copain ; se confie-t-elle en faisant de grands yeux de colère. On doit savoir s’ils te voient comme une femme, comment tu es statuée et vue dans ton environnement ! Et non, une femme trans ne peut pas être lesbienne dans leur raisonnement ; il ne faut pas non plus en demander beaucoup au tribunal !»

C’est une source énorme de discriminations et d’insécurité dans les obligations du quotidien : logement et travail.

La Perpignanaise continue ses explications : «Une fois le dossier déposé au tribunal, tu passes devant un jury de quatre femmes et quatre hommes. Je me souviens de l’ambiance assez spéciale dans la salle d’attente : le tribunal convoque tous les mêmes dossiers le même jour. Le jury pose des tas de questions en détail sur ton parcours et ton traitement hormonal. Mais aussi des questions qui vont trop dans l’intime, comme le souhait, ou non, de faire une vaginoplastie. Or, chacune fait ce qu’elle veut.»

Entre-temps, Emma est toujours vue comme «monsieur» aux yeux de l’état civil. Or, c’est une femme. Une femme avec des papiers d’identité qui datent d’avant sa transition. C’est une source énorme de discriminations et d’insécurité dans les obligations du quotidien : logement, travail, etc. Jusqu’à la réponse définitive du tribunal, Emma doit attendre pour refaire tous ses papiers essentiels ; comme le passeport, la carte d’identité et vitale.

La Perpignanaise ne retient pas ses mots, en souvenir à cette période critique : «Les gens te voient comme une pute. Sur le papier, t’es un homme, et en face d’eux, ils ont une femme. Imaginez-vous les entretiens d’embauche et les visites de logement. Nombreuses sont celles qui ne trouvent pas.»

Elle développe : « J’ai été chanceuse car je connaissais du monde ici. Et physiquement, sur moi, ça ne se voit pas ; j’ai un bon passing comme on dit. Mais c’est à ce moment que beaucoup de femmes trans tombent dans des situations extrêmement précaires. Toutes ces discriminations les poussent à la prostitution. Cela n’a pas beaucoup changé au fil des décennies. La société sait qu’on existe, mais on n’est seulement cautionnées. C’est très dur.»

«Dans une ville de la taille de Perpignan, où il y a la présence de l’extrême droite, c’est plus compliqué mais c’est possible !»

Avant sa transition, en recherche de conseils et d’orientations, Emma visite naïvement les associations locales concernées. Elle se souvient «de très mauvaises rencontres. Deux associations ne m’ont absolument rien apporté, mais j’espère que cela a changé. C’était même parfois assez louche chez elles. Les jeunes femmes trans, désespérées, peuvent être facilement mal aiguillées d’ailleurs.»

Fière de son parcours personnel et professionnel, Emma tient à partager aux plus jeunes. «Ici, je pense avoir fait ma part ; dans le sens où j’ai montré que c’est possible d’y arriver. Dans une ville de la taille de Perpignan, où il y a la présence de l’extrême droite, et où la communauté trans est petite ; c’est plus compliqué, mais c’est possible !»

Interrogée au sujet de sa vision de Perpignan, elle répond d’un franc-parler naturel : «Il faut savoir qu’il n’y a pas de sensibilisation. Les gens sont rapidement dans les clichés. Le niveau de culture est très bas. Pourtant on a accès à tout : j’aimerais que les Perpignanais soient davantage curieux. Les réseaux sociaux peuvent être la solution, tout simplement. Tout comme certaines séries, par exemple Pose.»

En parlant de cinéma, de visibilité trans et de sensibilisation, Emma s’offusque «que ce soit encore des acteurs hommes qui jouent des femmes trans, dans beaucoup de réalisations. C’est horrible.» Et de conclure : «Si les gens ont ce genre de références, comment voulez-vous qu’ils ne différencient pas personnes transsexuelles et travesties.»

* Dans une volonté d’anonymat, le prénom et des informations personnelles d’Emma signalées par * ont été modifiés.  

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Idhir Baha