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À Perpignan, ce projet d’implant expérimental rendra du mouvement à des patients paralysés

Article mis à jour le 22 octobre 2025 à 07:57

Saisir un verre d’eau sans le renverser. Insérer une carte bleue. Pianoter sur un smartphone. Un graal pour des patients tétraplégiques aujourd’hui assistés pour les gestes du quotidien. Le projet est lancé au centre de soins de suite et de réadaptation Bouffard Vercelli de Perpignan, établissement de l’association USSAP. Il pourrait simplifier le principe de l’électrostimulation et permettre aux patients de manipuler à nouveau des objets. Photo d’ouverture : Dispositif de capture de mouvement des mains grâce à des caméras infrarouges (OptiTrack) et des marqueurs passifs réfléchissants © INRIA – H. Raguet

Au gymnase du centre Bouffard Vercelli, dans l’enceinte de l’hôpital de Perpignan, chercheurs et médecins s’activent entre les différentes machines. Passionnés par leur mission, ils ajustent des commandes en impression 3D, plus accessibles pour les handicapés moteur, sur un vélo destiné aux tests de mouvement. Dans le cadre du projet « Freewheels » des tétraplégiques et paraplégiques peuvent en effet stimuler leurs muscles avec un courant électrique, via des patchs sur les cuisses. Avec le bon enchaînement de contractions des fibres musculaires, le dispositif peut reproduire le mouvement de pédalage.

De quoi retrouver une activité physique sur un pédalier fixe ou même un véritable tricycle mobile, avec tous les bénéfices associés, sur le débit cardiaque ou encore la densité des os en passant par une réduction des spasmes. « Mais surtout il y a le plaisir de la sensation de mobilité » explique le docteur Charles Fattal, médecin chef du centre Bouffard Vercelli. « Même si le mouvement n’est perçu que par les yeux, il est psychologiquement important. »

Se déplacer à la force de son corps paralysé, impensable avant « Freewheels »

Si la technologie a déjà quelques années, son introduction dans un centre de rééducation à Perpignan, comme véritable thérapie, et pas seulement du pour du récréatif, pourrait être une première française.

« Ce n’est pas seulement le fait de stimuler, c’est d’être intégré à un projet collectif, de savoir qu’on peut se dépasser. Que le corps ne s’arrête pas à la lésion médullaire. »

Aujourd’hui quatre patients intègrent le protocole de recherches sur le sujet. À terme, le docteur Charles Fattal et Christine Azevedo, directrice de recherche à l’INRIA* de Montpellier, aimeraient le proposer à une dizaine de patients par an.

La main au coeur de l’autonomie des patients paralysés

Mais l’électrostimulation prend un tournant plus important encore à Perpignan, avec un second projet né de la collaboration entre le docteur Charles Fattal et Christine Azevedo. Avec « Ai Hand », l’idée est de travailler sur la main et en particulier la capacité à tenir un objet.

Ce qui existe à ce jour, ce sont des boîtiers installés sur une partie du corps que la personne paralysée peut bouger, comme l’épaule, et reliés à un faisceau de câbles. Ces derniers atteignent les différents nerfs de l’avant-bras qui commandent la main.

« La difficulté est que dans l’avant-bras il y a plein de muscles » explique Christine Azevedo. « Avec ces patchs d’électrodes il est très difficile d’être précis, et reproductible d’un jour à l’autre. »

Une version avec des électrodes directement implantées dans les muscles a été interrompue suite à la faillite de l’entreprise américaine qui le développait.

« Nous n’avons pas une carte du nerf, donc il faut tester »

L’idée que développent alors Christine Azevedo et Charles Fattal consiste à transformer tous ces câbles en un seul implant.

« On s’est demandé comment faire quelque chose de plus simple, qui allégerait la chirurgie. Finalement, tous ces muscles sont contrôlés par des nerfs qui viennent de la moelle épinière. Pourquoi ne pas passer l’électrode sur le nerf plutôt que sur tous les muscles ? »

Avec la start-up Neurinnov et l’INRIA, le projet se structure. L’implant doit avoir des points de contacts minuscules sur différentes parties du nerf, afin de déclencher des muscles distincts. Il faudra tâtonner pour ajuster. « Le nerf est comme une autoroute avec plein de petites voies qui innervent différents muscles. Nous n’avons pas une carte du nerf, donc il faut tester. »

Le docteur Charles Fattal et la chercheuse Christine Azevedo, au centre Bouffard Vercelli de Perpignan

Des essais sur animaux ont déjà été réalisés, ainsi que sur des patients anesthésiés volontaires. Quatre personnes ont ensuite été implantées, mais avec un implant encore branché à l’ordinateur.

Une caméra pour deviner l’intention du patient

Il faut désormais réfléchir à de meilleures interfaces de contrôle. Mouvements de l’épaule, commande à la voix ou même algorithme visuel associé au mouvement du bras si celui-ci est mobile.

« Nous travaillons sur des solutions où une caméra observe la direction de la main et selon l’objet détecté dans la scène peut déterminer si c’est le moment d’ouvrir ou de fermer. »

Les chercheurs préparent aujourd’hui la pose d’un implant complet, avec une batterie externe qui enverrait l’influx électrique dans l’implant par induction, à travers la peau. Les mises à jour se font aussi sans chirurgie, par radiofréquence. « Si on a les autorisations, on espère le faire fin 2026. »

Les bénéficiaires potentiels sont très impatients et le centre de réadaptation reçoit quantité de messages. « Des gens voient nos protocoles et se posent en candidats. » explique le docteur Charles Fattal. « Mais il y a beaucoup de candidats et peu d’élus, car il y a des critères physiologiques mais aussi psychologiques, car il y a une lourde rééducation. »

© Inria / H. Raguet

Il faudra compter une dizaine d’années avant une véritable généralisation. L’association USSAP a relayé un appel au don pour mieux financer les projets AI Hand et Freewheels. Il faut espérer que l’Etat pourra abonder également.

Axel, 27 ans, tétraplégique, envisage à nouveau de tenir des objets

Axel Seless, suivi au centre Bouffard Vercelli, espère pouvoir expérimenter l’implant avant ce délai. A 27 ans, ce jeune homme est tétraplégique depuis un accident de voiture, survenu deux ans plus tôt, dans lequel il s’est brisé la cinquième cervicale.

Après une chirurgie qui lui permet de contrôler son triceps avec son biceps, il peut déplacer son poignet commander son fauteuil électrique ou faire glisser un visuel sur son smartphone. « Cette opération me permet d’avoir un triceps et juste ça, c’est énorme. C’était compliqué au début car il fallait que je me concentre. Il m’a fallu six mois pour maîtriser. » L’implant lui amènerait une toute nouvelle autonomie. Il a même renoncé à une autre opération pour mobiliser davantage sa main et avoir une chance de participer à l’expérimentation.

« L’implant me permettrait de faire deux prises. Une qui ouvre la main, pour attraper une bouteille d’eau. L’autre prise, c’est une pince, comme si on attrapait une carte de crédit. »

L’impatience d’Axel est évidente. L’implant diminuerait sa dépendance. Il réfléchit déjà au mode de commande. « Le bouton et le joystick, ça me rajoute un truc à mettre sur le fauteuil manuel que j’aurai plus tard, ce n’est pas forcément idéal. Il y a la voix, mais il faut un mot-clé qu’on ne soit pas amené à dire beaucoup pour ne pas le déclencher sans le vouloir. » Axel s’interrompt pour rejoindre sa séance de kiné, mais on le sent déjà focalisé sur son objectif.

Un projet à suivre de près, avec la prochaine étape d’ici un an.

*INRIA : Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique

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