Article mis à jour le 22 septembre 2025 à 18:26
La France s’apprête à reconnaître officiellement l’État de Palestine ce lundi 22 septembre, via un discours d’Emmanuel Macron au siège de l’ONU, à New York. Installé dans les Pyrénées-Orientales, le diplomate palestinien Elias Sanbar analyse pour Made in Perpignan la portée de cet événement historique. Photo © ONU via ACN.
Il est de ceux qui portent la voix de la Palestine à travers le monde. Elias Sanbar est à la fois historien, essayiste, poète, traducteur et diplomate. Il a notamment été ambassadeur de la Palestine à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Figure intellectuelle et culturelle de premier plan, il s’attache depuis plusieurs décennies à faire entendre l’histoire et la mémoire palestiniennes sur la scène internationale. Il est également l’auteur de « La Palestine expliquée à tout le monde » (Seuil). A l’heure où la France s’apprête à reconnaître l’État de Palestine, il a accepté de répondre à nos questions.
Made in Perpignan : Comment avez-vous réagi lorsque la France a fait savoir qu’elle allait reconnaître l’État de Palestine ?
Elias Sanbar : Pour être franc, je n’ai pas réagi spontanément, car en réalité cela fait des mois que les choses se préparent. Il y a eu de très nombreuses discussions et de très longues hésitations. Il n’y a pas eu d’effet surprise. En revanche, la bonne nouvelle, c’est que les hésitations sont tombées et que la décision a bien été prise.
Comment faut-il la décrypter ?
C’est une très grande victoire politique et diplomatique. Politique, d’abord, dans la mesure où c’est la reconnaissance d’un pays et d’un peuple. La Palestine était déjà reconnue par 149 pays mais ce n’est pas la question du nombre finalement qui importe. Ce qui est très important, c’est la qualité des nouvelles voix. En plus de la France, je parle du Canada, de l’Australie et de la Grande-Bretagne, des pays qui constituent le socle du Commonwealth britannique et qui étaient quand même extrêmement réservés sur la question palestinienne. Il y a là un changement très important, qu’il faut souligner, car il faut rappeler l’incroyable responsabilité imputable à la Grande-Bretagne dans le drame palestinien avant 1948.
C’est également une victoire diplomatique. Certains membres du Conseil de sécurité de l’ONU sont à présent dos au mur. Je pense en particulier aux Etats-Unis qui ont opposé, il y a quelques jours seulement, leur veto sur une résolution visant à imposer une trêve à Gaza. Washington a bloqué cette résolution qui appelait à un cessez-le-feu « immédiat, inconditionnel et permanent » ainsi qu’à la levée des restrictions empêchant l’arrivée de l’aide humanitaire. C’est la sixième fois qu’ils agissent de la sorte. Il faut donc remettre en question cette espèce de dictature du veto américain.
Vous avez récemment expliqué que finalement, c’est plus Israël qui donne la marche à suivre aux Etats-Unis que l’inverse. Peut-on parler d’une inversion du rapport de force ?
Je crois qu’on a des signes de cela depuis très longtemps mais qu’on n’avait pas envie de le voir. Le cas exemplaire du bombardement du Qatar le montre (le 9 septembre dernier, Israël a bombardé un bâtiment de Doha, au Qatar, tuant cinq responsables du Hamas et un officier de sécurité qatari, NDLR). Au Qatar, Israël a frappé pour se venger d’avoir été tenu à l’écart d’un canal de négociation ouvert par les Américains avec le Hamas. Furieux d’avoir été tenu à l’écart, Israël a tué les négociateurs eux-mêmes. Ils se sont dit « ils veulent nous doubler ? Voilà, pas de négociations ».
Ce qui est la grande leçon, ce n’est pas la découverte qu’Israël fait ce qu’il veut. On le sait depuis très longtemps. La grande découverte, c’est que les pays arabes, qui ont dépensé des dizaines et des dizaines de milliards de dollars dans l’achat d’armes américaines – avec soi-disant l’engagement américain de les protéger – viennent de réaliser qu’ils ne sont pas du tout protégés. Israël a attaqué et les Américains étaient aux abonnés absents.
Cet épisode peut-il créer un changement durable des rapports de force dans la région ?
Je suis très sceptique. Les pays arabes sont sous domination et ne peuvent pas échapper aux Américains. Ils sont totalement sous domination américaine. Et c’est de leur faute. Ils ont eu mille occasions de faire bouger les lignes mais ils n’ont rien fait. Après l’épisode du Qatar, ils ont fait un sommet, c’est tout. Il n’y a aucune décision. Aucune. Donc non, il ne faut pas compter sur eux. C’est vraiment la partie la plus faible de l’équation.
Dans votre livre, vous dites croire encore en une solution à deux Etats, qui « ne constituera pas pour autant un règlement définitif du conflit » mais « permettrait l’avènement d’une période de voisinage pacifique ». Néanmoins vous expliquez aussi que la solution à deux États est devenue de facto impossible, parce qu’Israël n’a jamais voulu d’un Etat palestinien à ses côtés et qu’aujourd’hui la colonisation est d’une telle ampleur, qu’il est impossible de démêler les deux territoires. Comment, dès lors, imaginez-vous qu’Israël va réagir à l’offensive diplomatique en cours ? Doit-on s’attendre à des représailles ?
Les Français savent qu’il va y avoir des représailles politiques, bien sûr. Elles ont déjà commencé. Regardez la campagne lancée contre Emmanuel Macron et les déclarations hallucinantes de l’ambassadeur des États-Unis (NDLR : dans un courrier, le premier ministre israélien a accusé le président français de « nourrir l’antisémitisme » – une accusation reprise par le nouvel ambassadeur des Etats-Unis en France, Charles Kushner). Regardez la campagne du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui multiplie les déclarations… Les représailles sont là et elles seront énormes.
Au-delà de ces représailles contre la France, est-ce qu’on doit redouter un durcissement encore plus fort sur le terrain ?
Ce qui se passe est une avancée politique et diplomatique. Mais on n’est pas encore arrivé à l’arrêt du génocide. Le génocide va continuer, il ne faut pas se faire d’illusions. Ça va continuer à être très, très dur. Le jeu continue sur le terrain de la façon la plus tragique. Mais il n’empêche qu’il faut apprécier les avancées.
Vous écrivez également que le développement du Hamas n’a jamais été vu d’un mauvais œil par Israël, puisqu’il a d’abord permis de diviser les Palestiniens entre eux. Est-ce qu’aujourd’hui, au contraire, Israël n’a pas uni non seulement les Palestiniens, mais le monde entier, à part les États-Unis peut-être, contre lui ?
Israël est en train d’imposer à la planète son impunité avant tout. « Nous faisons ce que nous voulons et si vous n’êtes pas contents… ». C’est le règne de l’impunité et ce sont des pratiques de voyous. Même s’ils avancent sous les titres de Premier ministre et de Président des États-Unis, ce sont des voyous. Il n’y a pas d’autre terme.
Le terme de « génocide » est sujet à débat en France, quelle est votre réaction à ce sujet ?
N’oubliez pas que le génocide nazi n’a été condamné qu’en 1948, soit trois ans après la guerre. Le droit prend toujours beaucoup de temps. Et c’est une bonne chose, il faut qu’il prenne son temps. Il y a une notion dans les conditions du génocide qui est la notion de l’intention, qui est une notion très compliquée à prouver. Elle fait partie des éléments de la définition. Donc il y a un débat juridique. Mais la question n’est pas de s’arrêter seulement à ce qu’il y ait le titre, ou la qualification, de génocide. Ce qui est essentiel avant tout, c’est que ça s’arrête, génocide ou pas. On n’a pas besoin d’aller devant je ne sais quelle cour de justice pour constater qu’il y a des milliers et des milliers d’enfants assassinés.
Il y a une mauvaise foi inouïe chez ceux qui disent « attention, on ne peut pas parler de génocide ». C’est de la mauvaise foi absolue. Il faut leur dire, « d’accord, on ne va pas parler de génocide, mais qu’est-ce que vous dites du massacre ? Vous l’arrêtez ou pas ? ». C’est la seule question qui mérite aujourd’hui d’être posée !
Avec l’expérience qui est la vôtre, comment comprenez-vous qu’un peuple, historiquement victime, soit capable de commettre ce qu’il a lui-même vécu ?
Ce n’est pas mécanique. Ce n’est pas parce que vous avez vu des cas d’injustice que vous êtes vaccinés contre l’injustice. Les victimes qui deviennent bourreaux, c’est très courant, n’importe quel psychologue l’expliquera. Donc ce n’est pas la bonne question. La question, aujourd’hui, consiste plutôt à se demander comment ce peuple israélien, majoritairement de religion juive, fabrique-t-il son propre avenir ? Si c’est dans la folie et le crime, il va au suicide.
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