Article mis à jour le 5 mars 2025 à 17:38
Samedi 15 mars 2025, la députée écologiste de Paris et économiste, Sandrine Rousseau, sera en visite dans les Pyrénées-Orientales. La militante engagée en faveur de l’écologie et de la lutte contre les violences sexuelles, présentera son dernier ouvrage à la librairie Torcatis, dès 10h 30. Aux Éditions du Seuil, son essai Ce qui nous porte est paru en septembre 2024. Photo © Xose Bouzas / Hans Lucas.
Sandrine Rousseau y interroge les fondements de notre modèle socio-économique hérité des Trente Glorieuses. Selon l’auteure, la société française serait apte à opérer un virage écologique et social, en décalage avec les caricatures politiques dominantes. Personnalité clivante, elle assume : « les personnes qui disent que je dérange ne veulent pas arrêter les violences. Ni prendre le virage de la transformation écologique radicale. » À l’occasion de sa venue à Perpignan, nous avons pu échanger avec la députée.
Made in Perpignan : Vous êtes de passage à Perpignan le 15 mars prochain, sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Sandrine Rousseau : Je viens pour présenter mon livre et rencontrer mes lecteurs. En général, les gens viennent en nombre et sont contents. Nous discutons de la situation politique générale. C’est aussi l’occasion pour moi de mener une bataille culturelle, surtout, dans une ville comme Perpignan, où le RN (Rassemblement National) est extrêmement implanté.
Avec la commission d’enquête que je préside sur les violences sexuelles – commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité – je rencontre aussi des acteurs de la culture, officiellement ou officieusement. Je suis aussi en relation avec des acteurs de la psychiatrie puisque je viens de sortir un rapport sur l’état de la psychiatrie en France, dans le cadre de mon activité parlementaire.
Qu’est-ce que vous diriez aux Perpignanais et Perpignanaises qui se disent détachés des débats sur la transition écologique, et notamment ceux en situation de précarité sociale ?
Je suis sûre que même en cas de précarité sociale, ils ne se sentent pas éloignés. Ils ont conscience de ça. Simplement, il faut survivre. Je leur dis qu’il n’y aura pas de transformation écologique s’il n’y a pas un changement radical social, qui fait que les personnes les plus en difficulté sont protégées. Qu’elles puissent manger, se loger, avoir accès à des services publics, qu’elles puissent vraiment vivre dignement. La transformation écologique doit s’accompagner de plus de dignité, de liberté et de respect.
Selon vous, quelle place l’écologie occupe dans un territoire largement acquis par le Rassemblement National ?
Le Rassemblement National mène une bataille. Une manipulation fondée sur le climatoscepticisme, l’instrumentalisation de l’immigration, comme seul problème de notre société, et la lutte contre les droits des minorités ; c’est-à-dire les personnes qui subissent le racisme, les LGBT-phobies, les femmes… Tout cela est lié. À la fin, c’est toujours le Rassemblement National qui sauve les plus riches dans l’Assemblée Nationale, car à chaque fois qu’il y a des amendements ou qu’il y a des motions de censure, ils ne sont pas là. Aujourd’hui, ils sont les alliés objectifs du pouvoir en place de libéralisation des services publics et de l’économie. Et donc de l’anti-écologisme.
Ce que je porte, c’est une autre société. Ça n’est pas la continuation de la société actuelle. C’est une société dépourvue de boucs émissaires, dépourvue de haine. Et surtout, c’est une société qui protège notre eau potable, notre logement, notre capacité à manger, nos enfants dans les écoles, nos parents quand ils sont malades. En fait, la société que je propose, c’est une société de protection. Et non pas une société d’affrontement.
Quels constats faites-vous de notre société ?
Notre société est prête à la transformation écologique. Elle est bien plus progressiste que ce que les médias en disent, sur l’acceptation et l’inclusion des personnes LGBT, sur le niveau du racisme en France… C’est comme si nous étions dans un moment de manipulation de masse par des personnes qui ont le pouvoir médiatique. Je pense notamment aux médias Bolloré, qui ont l’argent, des réseaux internationaux politiques. Je pense à l’extrême droite qui se donne actuellement la possibilité d’exercer une manipulation de masse. Pour moi, l’enjeu du moment, c’est de prendre conscience de la manipulation et que ça ne révèle pas la réalité de notre société.
Vous supposez dans votre livre que les Français sont prêts à un basculement écologique et social, quels sont les signes qui vous permettent d’en être convaincus ?
D’après des enquêtes sociologiques, on voit que les Français font tous des gestes écologiques. Cela peut être le tri des déchets, se passer de la voiture, moins manger de viande… Tout le monde considère que c’est une priorité absolue dans l’action publique. Quand je dis tout le monde, c’est à hauteur de plus de 90%. Nous sommes vraiment dans une demande massive à laquelle les pouvoirs publics et la politique ne répondent pas aujourd’hui.
Si les citoyens sont prêts, quels sont les leviers pour pousser les responsables politiques à prendre la mesure des changements nécessaires ?
Je peux témoigner du fait qu’il y a un climatoscepticisme extrêmement fort à l’intérieur de l’Assemblée Nationale. Pour moi, il n’y a qu’une forme de soulèvement citoyen qui peut obliger les politiques à bouger. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que dans les bureaux des députés et des ministres, on voit arriver des lobbies organisés, anti-écologistes et anti-sociaux. On n’entend pas la voix du peuple réellement s’exprimer.
Qu’est-ce que vous diriez à des militantes et militants écologistes pour les encourager à ne pas perdre la flamme dans une région où ils se sentent un peu seuls ?
J’ai envie de leur dire, déjà « merci de militer », nous sommes ensemble. C’est parce que nous prenons conscience de notre force collective que nous allons pouvoir gagner. On l’a vu, aux législatives, le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête. Je sais que c’est quelque chose qui a été balayé par la suite. Alors que les prévisions, les sondages, disaient que le Rassemblement National allait gagner. Quelque chose est en train de basculer dans la société et il est extrêmement important de continuer à militer et à se battre. La force est de notre côté, contrairement à ce que l’on nous raconte.
Quel est votre point de vue sur l’arrêt du projet de l’A69 ? Après plusieurs années d’avancées du chantier, les travaux viennent finalement d’être stoppés par le tribunal administratif de Toulouse.
C’était une décision très attendue, indispensable, c’est une grande victoire pour les militants. On ne désenclave plus des territoires avec la voiture, ça n’existe pas. On désenclave de mille autres manières : par le train, le transport en commun, le fait aussi d’amener les activités à l’intérieur de la ville. Ce projet, c’était vraiment faire une cicatrice indélébile dans un paysage magnifique. Aujourd’hui, notre premier patrimoine, c’est la terre, et il faut arrêter de la détruire à tout va, tout le temps, pour rien.
Récemment, plusieurs chantiers locaux ont été stoppés, notamment pour préserver des espèces protégées. Je pense au quatrième pont de Céret, qui devait initialement désenclaver le secteur du Vallespir. Qu’est-ce que ce coup d’arrêt vous évoque ?
C’est une victoire, il faut protéger les espèces. Je rappelle que l’on a un effondrement de la biodiversité. Aujourd’hui, on est ivre de notre puissance, nous avons l’impression que nous pouvons tout dominer, tout construire, bétonner et que notre technologie et notre intelligence va tout résoudre. Nous avons oublié que la Terre était le substrat sur lequel nous vivons. Et que si cette Terre dysfonctionne, nous ne pouvons plus vivre dessus.
Quel est votre ressenti à l’annonce du classement sans suite de l’enquête visant Julien Bayou ? L’ancien chef du mouvement les Écologistes avait été accusé de harcèlement moral par son ex-compagne, également militante EELV. Au sein du parti, certains regrettent leurs propos, est-ce votre cas ?
Non seulement je ne le regrette pas, mais je regrette que nous n’ayons pas posé la question politique de savoir comment nous protégeons les personnes à l’intérieur des partis. C’est la seule question qui vaille. Comment faire en sorte que les femmes ne soient pas considérées comme des personnes que l’on peut draguer, que l’on peut utiliser, dont on peut utiliser le travail. Comment on fait pour que nos partis politiques soient des lieux ‘safe’ ?
Aujourd’hui, ces femmes ne sont pas protégées, puisque quand il y a une personne qui utilise son pouvoir, son mandat pour les approcher, ce n’est pas considéré comme un problème. J’aurais aimé que mon parti soit plus féministe qu’il ne l’est. Et qu’il considère vraiment que la protection des femmes est une priorité, tout comme l’égalité femmes-hommes.
Dans le cadre de votre activité parlementaire, vous avez mené un rapport sur la psychiatrie en France. Quel bilan vous en tirez ?
La psychiatrie en France est en grand danger, surtout la psychiatrie publique. Ce qui est très flagrant dans le rapport que j’ai mené, c’est la hausse des troubles psychiques; la dépression, la bipolarité, les troubles anxieux et particulièrement chez les jeunes. C’est une épidémie d’une ampleur incroyable. Une société qui ne protège pas ses jeunes d’un mal-être existentiel est une société qui va très mal.
Le nombre de jeunes femmes âgées de 10 à 19 ans, qui font des tentatives de suicide, a augmenté de 570% depuis 2006. C’est dramatique. Chez les jeunes hommes, ce nombre a augmenté de 300%. C’est toute la jeune génération qui est aujourd’hui en très grande souffrance. Et nous les ignorons totalement.
L’un des facteurs de leur mal-être, c’est le fait qu’il n’y ait pas de politique écologiste, par exemple. Ils sont inquiets pour leur avenir, ils ne savent pas à quoi ressemblera le monde quand ils seront adultes. On ne peut pas leur garantir un monde de sérénité. Ne pas prendre en compte la question climatique, c’est aujourd’hui les priver d’avenir.
Vous allez présenter Ce qui nous porte à la librairie Torcatis de Perpignan. Quel a été le déclic pour l’écriture de cet essai ?
Il y avait des moments, il y en a toujours d’ailleurs, où la situation politique devenait trop écrasante, tellement sidérante que je n’arrivais plus à voir le bout du tunnel. J’ai écrit ce livre pour regarder, non pas l’actualité, non pas les sondages, mais vraiment ce qui se passait au fond dans la société. Et la bataille culturelle, politique, sociale et écologique que nous avons – les politiciens – à porter. C’était une manière d’objectiver la situation et de vraiment trouver des voies de sortie.
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