Article mis à jour le 12 mars 2019 à 10:07
C’est désormais un tandem exclusivement féminin qui dirige la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales (PO). Fabienne Bonet est la première femme à occuper ce mandat de présidence depuis la création de cette institution en 1922. Myriam Cormary-Bourrel, la directrice de la chambre depuis 12 ans est ravie de ce nouveau mandat qui débute.
Fabienne Bonet est loin d’être une inconnue du monde viticole catalan. Après des études dans le secteur de la pharmacie, elle revient à ses racines en 2003. Depuis son installation à Estagel, elle prend peu à peu des responsabilités croissantes dans le monde coopératif jusqu’à devenir PDG du groupe les Vignerons Catalans en 2013. Le groupe de 70 salariés génère un chiffre d’affaires de 60 Millions d’euros. Les Vignerons Catalans comptent pas moins de 2.500 viticulteurs qui produisent la moitié des vins du Roussillon.
♦ Un nouveau rôle politique à la tête de la chambre ?
« Non, pour moi, je ne vois pas cela comme de la politique. C’est plus du syndicalisme professionnel, un moyen de défendre la profession. J’ai toujours été dans la coopération (NDLR : en 2010, elle est élue de la fédération des caves coopérative de Languedoc-Roussillon), ce nouvel engagement est une continuité. Je me sens agricultrice, et à la fois élue par mes pairs. C’est important ! »
♦ Tête de liste, « une décision mûrement mûrie »
Déjà sur la liste de Michel Guallar lors de son second mandat, elle a siégé au sein du bureau de la chambre d’agriculture. C’est presque naturellement qu’elle a pris la tête de la liste arrivée en tête lors des élections de 2019.
« J’ai plus été portée par la confiance des autres que je ne me suis moi-même lancée. Ils m’ont dit « tu es légitime ! » Autant en tant que viticultrice, premier secteur agricole du département, qu’issue d’un parcours coopératif. Mes colistiers estimaient que je pouvais mener cette liste à la victoire. J’ai longuement mûri ma décision, car c’est un poste très lourd, qui nécessite un engagement encore plus important que ceux des mandats que je portais jusque-là.
Ce choix n’était donc pas neutre, car désormais je dois représenter toute l’agriculture et non plus seulement la viticulture. Ce nouvel engagement va me contraindre à abandonner certaines de mes missions (NDLR, responsable départementale des Coop de France*) ».
♦ La journée des droits de la femme, un message ?
« On peut être une femme et se lancer dans des responsabilités. Même si c’est difficile, ce sont des choix de vie et d’organisation. Au-delà de cela, si on a envie de s’impliquer, de se lancer, il ne faut pas avoir peur. Car, même si on me dit souvent que l’agriculture est un milieu très macho, moi, je ne l’ai jamais ressenti. Au contraire, j’ai toujours été acceptée et poussée à prendre chaque jour plus de responsabilités. Mon message, c’est de ne pas avoir peur de s’impliquer, de s’imposer. Quand on est convaincu de ce que l’on envie de porter, il ne faut pas hésiter !
♦ Selon la Mutuelle Sociale Agricole, chaque année la baisse des agriculteurs est de 1,5 à 2%. Comment attirer les jeunes ?
« J’ai envie de leur dire que c’est un très beau métier, un métier de passion. Moi j’y suis née, j’ai essayé autre chose et j’y suis revenu parce que c’était vraiment ce que j’étais. Pour être agriculteur aujourd’hui, il faut être passionné, aimer ce que l’on fait. Un agriculteur, qu’il soit éleveur, maraîcher, arboriculteur ou viticulteur, a pour mission de nourrir ses concitoyens. Et c’est aussi de donner du plaisir, tout particulièrement quand il s’agit du vin. Nous travaillons toujours pour donner le meilleur. »
« Même s’il ne faut pas se cacher la réalité, c’est parfois difficile. On n’est pas forcément très riche, mais c’est un métier où l’on peut s’épanouir complètement. C’est aussi pour cela que je me bats pour l’agriculture. Car je connais le bonheur que ce métier peut apporter, et ce malgré les difficultés. C’est aussi le plaisir que l’on donne quand on tisse ce lien avec le consommateur, particulièrement dans notre département.
Les agriculteurs du département travaillent beaucoup en circuit court, en vente directe et le retour est immédiat. Quand les gens viennent et sont heureux de déguster nos produits, qu’on leur explique comment ils sont élaborés, c’est hyper gratifiant. »
♦ Agribashing** ?
« Les agriculteurs ne se reconnaissent pas dans tout ce que l’on entend en permanence en ce moment dans les médias. C’est un de nos enjeux au sein de la chambre de travailler sur cette communication envers les consommateurs, la société, les médias pour expliquer ce qu’est réellement notre métier. Ce que l’on vit au quotidien. En fait, je pense que nous sommes en phase avec les attentes des consommateurs, de la société, mais on ne le dit pas assez. »
« Tout particulièrement dans les PO, l’attente sociétale est d’avoir des pratiques vertueuses, du bio, de l’agro écologie etc. Or, dans le département, on est vraiment en pointe sur ces sujets-là. Déjà parce que le climat nous facilite les choses, et parce que nos agriculteurs sont très très investis. Il faut repartir de la base, expliquer nos métiers, les hommes, les femmes, nos produits.
C’était un sujet important durant la campagne. Quand nous sommes allés au contact des agriculteurs, cela ressortait systématiquement. Déjà que c’est un métier pas facile, qui n’attire pas forcément les jeunes. Si on ne cesse de leur dire que l’on est des pollueurs et des empoisonneurs, ça attirera encore moins.
♦ Le 26 mai auront lieu les élections européennes, quel est votre avis sur l’Europe ?
« Les agriculteurs sont toujours pro-européens. Pas que pour les aides, aussi pour le principe de l’Europe. Après, il est vrai que nous avons encore besoin des aides de la PAC***. Et nous restons vigilants à ce que certaines aides soient préservées.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le souhait de tout agriculteur est de vivre de sa production et de la vente de ses produits. Et ce, sans avoir besoin d’aides ou de subventions ! Mais la problématique est qu’il reste des zones ayant encore besoin de ces aides. Il faut rester vigilant à ne pas déstabiliser les agriculteurs qui sont souvent en position de fragilité. »
« Après, se pose aussi la question de la différence de réglementation entre les pays. Les normes ne sont pas les mêmes, autant au niveau de l’utilisation de produits phytosanitaires, que des normes sociales et notre département frontalier est particulièrement touché par cette problématique. C’est très compliqué d’être compétitif au niveau du prix. C’est pour cela que nous voulons faire la différence au niveau de la qualité. »
« Même si le prix est important, je pense que le consommateur est sensible à l’agriculture et au label made in France. Ce sont des choses que l’on doit mettre en avant car on ne pourra jamais lutter contre de tels écarts de salaires. »
♦ Les glyphosates**** ?
« On en parle beaucoup parce que c’est dans l’actualité. Mais, c’est le cas de tous les pesticides au final ! Il ne faut pas croire que les agriculteurs sont des fanatiques du glyphosate ou des pesticides. Mais on n’a pas de moyen alternatif et économiquement supportable pour faire 100% des cas. Car il faut savoir que dans le département, il y a déjà des exploitations qui s’en passent. Ils pratiquent un désherbage mécanique. Or, dans les terrasses de Banyuls par exemple, ce n’est pas possible ! »
« Et si on dit à nos jeunes qu’il faut désherber à la main, à la binette, ils vont fuir en courant ! Ce n’est pas économiquement viable. Nous travaillons déjà sur le sujet depuis 20 ans. Mais, nous ne devons laisser personne dans l’impasse. Il faut nous laisser le temps dans certains secteurs de trouver l’alternative. »
*Coop de France est la représentation unifiée des coopératives agricoles, agroalimentaires, agro-industrielles et forestières françaises.
**La notion d’agribashing ou d’agriculture bashing est le fait de dénigrer, et particulièrement dans les médias, les pratiques agricoles. Notamment en ce qui touche aux questions des pesticides, de la souffrance animale, du bio ou de l’agriculture intensive.
*** La PAC, la politique agricole commune est une politique de gestion de l’agriculture commune à l’Union européenne. Elle était à l’origine fondée sur des quotas de production, du contrôle des prix ou des subventions. Le secteur agricole français, l’un des plus important d’Europe, est celui qui bénéficie le plus des aides européennes.
****Le glyphosate est un herbicide non-sélectif, c’est à dire qu’il agit sur l’ensemble des végétaux sur lequel il est répandu. Il est classé depuis 2015 « probable cancérogène » par le centre international de recherche contre le cancer. Il devait à l’origine être interdit en France à partir de 2021.
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