Article mis à jour le 6 octobre 2021 à 17:11
C’est lors d’une visioconférence que les évêques de France ont été informés des grandes lignes du rapport Sauvé. « La sidération », c’est ce qu’a ressenti Monseigneur Turini. L’évêque du diocèse Perpignan-Elne ne s’attendait pas à ce chiffre. L’enquête commandée par l’église de France en 2018 – qui porte sur la période de 1950 à aujourd’hui – révèle que 216.000 victimes ont été abusées sexuellement par des clercs ; en majorité des garçons entre 10 et 13 ans. Ce chiffre est encore plus élevé (330.000) si l’on y inclut les victimes abusées par les laïcs durant des activités organisées par l’Église.
Monseigneur Turini évoque à propos de ce rapport, « une onde de choc, un tsunami, autant pour l’église elle-même que pour les victimes. On se rend bien compte que la question des abus sexuels reste devant nous. Il faut maintenant se réformer en profondeur pour que l’église redevienne une maison sûre ».
♦ Le rapport de la CIASE : « Un travail nécessaire et très fouillé »
« Il est nécessaire de faire un devoir de vérité à l’égard des victimes. Il est nécessaire que nous regardions en face la vérité. C’est un devoir que nous devons aux victimes. Parce que nous n’avions pas les moyens d’aller jusqu’au bout de cette vérité, nous avons mandaté et financé une commission indépendante ».
La CIASE a travaillé de manière autonome. Jean-Marc Sauvé a choisi lui-même les membres de la commission, agnostiques, incroyants, croyants, spécialistes dans différents domaines, la sociologie, le droit, la théologie. Selon Monseigneur Turini, Jean-Marc Sauvé a eu la maîtrise totale de sa commission.
« Je veux saluer le travail sans complaisance de la CIASE, un travail quasi professionnel. Pendant 32 mois, la CIASE a fouillé dans les archives de l’Église, et dans 31 diocèses. À Perpignan, la commission a demandé à l’archiviste de reprendre tous les documents depuis 1950, afin de relever d’éventuels cas non signalés. La commission a également consulté les archives de la justice.
Avec l’Inserm, et l’IFOP, la commission a réalisé une enquête auprès de 28.000 personnes. La commission a aussi mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements ; et surtout notre rapport aux victimes. La feuille de route initiale était d’établir les faits de pédocriminalité qui se sont produits dans l’église de 1950 à 2020. De les analyser, et de nous dire comme nous en sommes arrivés là« .
♦ Quid du Diocèse de Perpignan-Elne ?
Monseigneur Turini a été nommé évêque en 2004. Avant celui Perpignan-Elne, il fut en charge du diocèse de Cahors durant 10 ans. Questionné sur son propre vécu, il répond. « Ayant été mis au courant de faits très précis, j’ai immédiatement averti le Procureur de la République, et j’ai invité la victime à aller le rencontrer ».
Depuis 2010, à Perpignan, la procédure est très claire. Dès le moindre soupçon avéré, il y a un retrait immédiat des charges pastorales, éducatives ; et à titre conservatoire, la suspension de la personne incriminée, en attendant que la justice fasse son travail. En 2010, le diocèse a créé une commission de lutte et de prévention contre les actes pédopsychiatriques criminels.
Depuis la création de cette cellule, quatre dossiers ont été instruits sur la base de témoignages de personnes se déclarant victimes, pour une totalité de faits prescrits.
Deux affaires criminelles ont été jugées devant le tribunal correctionnel. Dans ces 2 affaires, la justice a condamné les auteurs à des peines de prison ferme.
♦ Le rapport Sauvé distingue 3 périodes et pointe l’inaction de l’Église de France
Pour Monseigneur Tiruni, « il y a un changement important qui s’est produit ». Même s’il concède qu’il a été très lent. Pour l’évêque, l’Église doit encore se remettre en question en matière de formation, de prévention, de restauration financière. Le rapport Sauvé met en lumière « une époque où la réputation de l’Église et son honneur étaient prioritaires. Aujourd’hui, c’est la vie des victimes qui passe en premier ».
- 1950-1970, beaucoup d’enfants étaient scolarisés dans les structures catholiques avec une omniprésence des prêtres ou des religieux. Selon Monseigneur Turini, cette promiscuité a favorisé beaucoup d’abus sexuels. Des membres du clergé aux pulsions sexuelles déviantes sont passés à l’acte. C’est durant cette période que la commission recueille le plus grand nombre de témoignages d’abus sexuels.
- À partir de 1970 et jusqu’à 1990, on sent qu’il y a une légère inflexion des chiffres constatés par la commission. « Après tout le mouvement de mai 68, de nombreux prêtres ont quitté l’église. Et les évêques étaient très préoccupés par ce phénomène » rappelle l’évêque.
- Depuis 1990, les victimes ont commencé à parler. « Et, c’est là que l’église commence à prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Mais elle s’est plus préoccupée de mettre à l’abri les prêtres coupables que de s’occuper des victimes », déplore Monseigneur Turini. « Aujourd’hui, on ne pouvait plus se taire tellement le cri des victimes devenait puissant« .
« Nous avons une responsabilité énorme, car nous n’avons pas été assez attentifs à la parole des victimes ! Rendez-vous compte, nous n’associons réellement les victimes dans nos réflexions que depuis 2016. Par contre, la CIASE a donné une large place aux victimes, 6.471 contacts établis via France victime. 2.818 courriers reçus, 243 auditions menées par la commission. 4.800 victimes répertoriées. 28.000 personnes interrogées par l’IFOP ».
♦ Des témoignages compilés et publiés par la commission
Le père m’a entraîné vers sa tente, qu’il a fermée, il m’a serré contre lui, il sentait le cigare froid (il fumait des cigarillos), je détestais cette odeur, je tentais de me dégager mais il a serré encore plus fort et il a commencé à m’embrasser sur la bouche en y mettant la langue, il me dégoûtait. Il continuait à me caresser, j’étais complètement tétanisé. (…) Je ne connaissais rien de tout cela et ce soir-là, il m’a appris des mots et des actes que je ne connaissais pas de la sexualité ! Fellation, masturbation, etc. Je suis retourné dans ma tente pour me coucher en me disant que cela était peut-être normal, il était le père ***, il avait autorité, il fallait le respecter, il était prêtre. Je ne savais plus que penser, surtout que mes parents le considéraient tellement.
♦ Des questions en suspens : secret du confessionnal, réparation financière des victimes, célibat des prêtres…
Que doit-on faire par rapport au secret de confession ? « Si un prêtre vient se confesser à propos d’un viol ; je peux lui dire que tant qu’il n’y a pas réparation, il n’y aura pas d’absolution ; mais ça ne suffit évidemment pas ! C’est un sujet très délicat, la commission nous interroge sur ce point. Bien sûr, s’il est sous ma responsabilité directe, je peux l’extraire de ses activités éducatives et pastorales. Mais s’il n’est pas sous ma responsabilité, le secret de confession m’interdit d’aller le dénoncer. »
Quant au célibat des prêtres, il est, aujourd’hui, clairement abordé lors de la formation des prêtres précise Monseigneur Turini. Lors de leur année en séminaire, ils rencontrent une équipe pluridisciplinaire qui évoque ce volet affectivité, de sexualité.
« L’équipe observe le séminariste durant toute la durée de sa formation. Et effectivement, il est déjà arrivé qu’on demande à un séminariste d’arrêter pour une question d’immaturité affective ou de sexualité mal ajustée« .
Le rapport préconise également la création d’un fonds indépendant afin de « restaurer financièrement les victimes ». Ce fonds serait alimenté par l’Église et permettrait de payer par exemple un travail de psychothérapie. « Ce qu’on va lui donner va lui permettre de l’aider dans sa reconstruction ». Une polémique semble poindre sur l’alimentation de ce fonds. Peut-il être alimenté par le don des fidèles ? Un don défiscalisé et donc pris en charge en partie par la collectivité ? Cette question reste encore en suspens à ce jour.
Parmi les mesures nationales figure la création d’un tribunal canonique pénal interdiocésain pour la France. Ce tribunal sera chargé d’exclure l’auteur du monde clérical, selon la gravité des actes et après le passage de la justice.
*CIASE – Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église.
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