Aller au contenu

Près de Mantet, un projet de téléphérique espagnol menace une réserve naturelle des Pyrénées

Le projet de téléphérique de la station de ski Vallter 2000 menace la réserve naturelle de Mantet dans les Pyrénées-Orientales. Les défenseurs du patrimoine exigent une étude d’impact transfrontalière.

Article mis à jour le 3 novembre 2025 à 08:02

Le projet de téléphérique de la station de ski espagnole Vallter 2000 menace la réserve naturelle de Mantet dans les Pyrénées-Orientales. L’arrivée massive de randonneurs pourrait détruire un écosystème fragile. Face à la stratégie du tourisme quatre saisons, les défenseurs du patrimoine naturel exigent des concertations et une étude d’impact transfrontalière. Photos © Philippe Becker

La réserve naturelle du Mantet craint d’être piétinée par le tourisme de masse. Alors que la zone protégée des Pyrénées se préserve tant bien que mal des arrivées massives de promeneurs, un projet de téléphérique sur le flanc espagnol de la montagne pourrait porter atteinte à son équilibre. Au départ de Setcases en Espagne, la station Vallter 2000 veut installer une remontée qui permettrait de grimper jusqu’à la crête limitrophe, au niveau du pic du Géant, qui culmine à 2800 mètres d’altitude. Selon les porteurs du projet, l’infrastructure doit transporter 16 000 personnes par jour qui ne seraient qu’à quelques dizaines de minutes à pied de la réserve naturelle française.

L’érosion des crêtes met en péril des espèces déjà fragiles

Un afflux de population que ne supporteront pas les hauts plateaux selon Léa Jugnet, technicienne de la réserve naturelle. « Beaucoup d’espèces endémiques ne vivent que dans ce secteur, car ce climat ne se trouve que dans l’est des Pyrénées. Ensuite, les plats d’altitude ont une végétation très rase, avec peu d’abris pour la faune et la flore. Toutes les espèces vivent au sol. » Ces espèces, perdrix des neiges, Grand Tétras, abeilles et les plantes d’altitude n’auront « plus de solution de repli » face au piétinement touristique selon elle.

« Elles vont devoir fuir loin de la réserve. Des espèces trop dérangées ne vont pas se reproduire. La nidification des oiseaux ne va pas aboutir, des petits vont être abandonnés. »

Aujourd’hui, le parc naturel accueille environ 60 000 touristes par an. Le maire de Mantet, Jean-Luc Blaise l’assure, la grande majorité accède au plateau en passant déjà par la station espagnole. Ce que redoute l’édile, c’est que le flanc français de la montagne doive éponger ces arrivées. Ce que Vallter 2000 vend comme un succès à venir apparaît comme un flux ingérable pour les gestionnaires. « C’est déjà difficile de contenir les promeneurs sur les sentiers, fait remarquer Léa Jugnet, on a peur qu’avec tout ce monde, de nouveaux chemins s’ouvrent. »

Troupeaux effrayés, morsure de patous : le tourisme perturbe le pastoralisme

Inquiétude partagée par le maire et gestionnaire de la réserve naturelle. « On craint un envahissement des zones qu’on protège depuis 40 ans. On ne va pas mettre 2 000 personnes sur le pic du Géant en même temps. Donc les gens vont bouger, descendre à vélo. » Il regrette que les efforts des collectivités soient bafoués par l’ampleur du tourisme. En passant par la vallée de Mantet, il faut 2 h 30 de marche pour arriver au sommet. « Côté français, on est protégés. Les bus ne montent pas. On a un peu de fréquentation en juin et juillet, mais majoritairement des amoureux de la montagne. »

La nouvelle cartographie de la crête menacerait alors aussi le pastoralisme, « première économie du village », selon le maire. 600 brebis et environ 330 vaches montent chaque année en estive. « Les promeneurs en masse effraient les troupeaux. Des gens qui vont passer en courant, en vélo électrique. Ils ne savent pas forcément comment se comporter face à un troupeau. Ça peut disperser les bêtes. Et au bout, on a des pertes économiques », assure Mathieu Maury, éleveur de brebis.

Et qui dit troupeaux dit chien de surveillance. Les Patous des Pyrénées qui peuvent être agressifs face à des promeneurs non avertis. « Il y a des cas de morsures parce que le promeneur veut à tout prix passer sur le sentier, même s’il y a un troupeau. Les touristes vont avoir peur du patou et avoir les mauvais réflexes », affirme-t’il.

Les gens viennent consommer la montagne

Ce que déplore l’éleveur, c’est l’arrivée de touristes peu sensibilisés. « Les gens viennent consommer la montagne comme la plage. Mais elle est dangereuse ». Alors que la station se situe à 1h30 de Barcelone, le maire de Mantet partage sa crainte. « On l’a déjà vu après le Covid. Pour la première fois, l’employé communal a eu besoin d’une pince pour ramasser les déchets sur la crête. Si on ouvre la montagne, ce doit être en expliquant qu’on n’y fait pas tout et n’importe quoi. »

Le maire insiste sur la nécessité d’accueillir les randonneurs et de dynamiser le secteur, mais il ne comprend pas cet investissement « pharaonique ». « Il y a forcément d’autres projets derrière, et on a du mal à savoir lesquels. On va voir d’autres infrastructures fleurir au fil du temps. »

« Tourisme quatre saisons » : rendre la montagne rentable été comme hiver

Le projet de téléphérique s’inscrit dans une stratégie « quatre saisons » de Vallter 2000. Nouvelles remontées, pistes cyclables et rénovation des parkings, le programme « Vallter 365 » vise à mettre sur pied un complexe touristique d’envergure pour « désaisonnaliser » l’activité et pouvoir accueillir plus de touristes toute l’année. Un pari pris par de nombreuses stations en raison du manque croissant de neige lié au dérèglement climatique.

Selon la station de ski, le téléphérique permettra de limiter les passages de voitures en altitude. Son installation s’accompagnera d’une nouvelle répartition des parkings. Ceux qui se situent en altitude seront détruits, un nouveau sera construit dans la station. « Les touristes utilisent déjà le télésiège, explique le maire du village, mais celui-ci s’arrête plus bas que le futur téléphérique. Le but de Vallter 2000, c’est surtout de faire payer la remontée pour rentabiliser l’installation. » L’arrivée du téléphérique est pour le moment prévue au niveau d’un restaurant d’altitude.

« L’accès à la montagne sera privatisé, regrette Claude Guisset membre du collectif Defensem Ulldeter qui s’oppose au projet. Les gens qui veulent aller en altitude devront payer. »

En plus de l’impact environnemental et économique, la viabilité du projet questionne. Claude Guisset craint, à terme, un échec de l’investissement qui laisserait des infrastructures abandonnées sur les sommets.

Etude d’impact transfrontalière : les opposants demandent l’application de la convention d’Espoo

Le collectif se bat pour des réponses côté espagnol. « On a l’impression que l’entreprise Ferrocarrils de la Generalitat de Catalunya (le gestionnaire de la station, ndlr), avance à petits pas pour nous mettre un jour face au fait accompli », dénonce Claude Guisset. Il demande une étude d’impact transfrontalière au nom de la Convention d’Espoo, convention européenne sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontalier. Signée en 1991, elle précise que le public pris en compte dans les concertations comprend la société civile, les « associations, organisations ou groupes constitués ». Dans un communiqué, Ferrocarrils précise un premier calendrier. Le lancement des travaux du téléphérique cet hiver, afin qu’il puisse entrer en service à la mi-2027. L’investissement sera d’environ 40 millions d’euros.

Un rassemblement s’est tenu le 25 octobre pour protester contre le projet. Les opposants sont soutenus par la Ligue des droits de l’Homme du département, le syndicat mixte Canigou Grand Site, le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes ou encore la Fédération des réserves naturelles catalanes. Alerté par ces institutions, le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé une étude d’impact transfrontalière aux autorités espagnoles. Une pétition en ligne lancée par Defensem Ulldeter a recueilli plus de 2500 signatures.

Tous s’accordent sur la nécessité de trouver un équilibre. « On ne peut pas mettre la réserve sous cloche, admet Léa Jugnet, technicienne, on a envie que les gens puissent continuer à profiter de la nature. » Les collectivités espèrent qu’un dialogue permettra de valoriser la réserve sans qu’elle ne devienne la proie du tourisme de masse.

Objectif 2026 ? Plus d’enquêtes … Faites un don pour permettre à une presse libre d’exister, et d’enquêter sur les dossiers sensibles des Pyrénées-Orientales !

Rassurez-vous, la rédaction de Made In Perpignan ne change pas subitement de cap. Nous continuerons toujours de défendre une information de proximité en accès libre. Désormais, notre équipe souhaite vous proposer plus d’investigation, un genre journalistique le plus souvent absent dans les médias locaux.

Parce qu’enquêter sur les réalités sociales, économiques et environnementales des Pyrénées-Orientales a un coût, soutenez-nous !

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances