Comment s’appelait le premier pont à relier le Vernet au reste de Perpignan ? Quelles traces reste-t-il du passé industriel du quartier ? Cet article est le deuxième épisode de la trilogie « Éclats de mémoire », qui explore l’histoire du quartier du Vernet à Perpignan dans le cadre du projet « Mémoires du Vernet ». Un récit pour comprendre comment le passé continue de façonner l’identité actuelle du quartier.
Cet article fait partie d’une série sur le travail collectif « Mémoires du Vernet » qui s’étend de novembre 2024 à avril 2025. La série d’articles couvre les coulisses du projet, l’histoire du quartier du Vernet (retrouvez l’épisode 1 ici), et les rencontres avec le quartier, du portrait d’habitant au paysage urbain, réalisés par les élèves du lycée Maillol.
Cet article a été rédigé par Lise Raivard, enseignante au lycée Maillol, en collaboration avec Made in Perpignan.
Notre-Dame du Pont et les premiers ponts de Perpignan
Depuis toujours, la Têt marque une frontière entre le Vernet et Perpignan.
À l’extrémité du premier pont de pierre, un sanctuaire veillait sur les voyageurs : la chapelle Notre-Dame du Pont. Elle offrait un refuge aux âmes inquiètes. Dans un souci de défense, elle fut détruite et ses pierres récupérées pour renforcer les fortifications de Perpignan, nourrissant la silhouette imposante du Castillet. Aujourd’hui disparue, elle demeure pourtant inscrite dans la mémoire du fleuve, comme si son rôle de gardienne n’avait jamais cessé.
Le Pont de Pedra, premier ouvrage médiéval à relier le Vernet au centre de Perpignan, transforma un hameau en quartier. Il permit aux marchands, aux artisans et aux familles de circuler librement, marquant une étape clé dans l’expansion de la ville. Mais à mesure que les besoins grandissaient, il fallut ériger de nouvelles voies. Au XIXᵉ siècle, un pont ferroviaire vint s’ajouter à l’ensemble, assurant la liaison avec les grandes lignes du pays et renforçant la place de Perpignan comme carrefour économique.
Au XXᵉ siècle, le Pont Joffre devint un passage stratégique. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il joue un rôle dans les déplacements militaires ainsi que dans les exodes de population. Témoin silencieux des tourments du siècle, il accueillit aussi l’essor urbain d’après-guerre, facilitant la circulation entre le Vernet et le reste de la ville. Modernisé, renforcé, il s’adapte aux nouvelles mobilités, intégrant pistes cyclables et éclairages repensés.
D’un pont à l’autre, de Notre-Dame du Pont au béton du Pont Joffre, l’histoire du Vernet s’est inscrite dans ces passages. Ils racontent la ville, ses transformations, ses renaissances. Ils rappellent que relier deux rives, ce n’est pas seulement assurer la circulation des hommes et des marchandises, mais aussi tisser un lien entre les époques, entre les mémoires.
Le cimetière du Vernet – Mémoire des âmes
Situé à la lisière du quartier, le cimetière du Vernet est un lieu de mémoire ancré dans l’histoire du quartier et de ses transformations sociales. Ses tombes, allant des sépultures modestes aux monuments plus imposants, reflètent les époques et les mutations du territoire.
Les origines de ce cimetière remontent probablement au XIIIᵉ siècle, alors que le Vernet, encore un modeste hameau, dépendait de l’église Saint-Christophe. La mention d’une porte du cimetière en 1279, dans un acte notarial, suggère que le lieu se trouvait alors en dehors des premières fortifications du village.
Au XIXᵉ siècle, avec l’industrialisation et l’urbanisation croissante du Vernet, le cimetière devient un reflet de ces transformations. Il accueille les ouvriers des industries textiles et métallurgiques, ainsi que des familles de plus en plus nombreuses, d’obédiences diverses. Certaines stèles rappellent ces parcours, mentionnant par exemple les noms d’anciens contremaîtres et d’artisans.
Ce cimetière demeure ainsi un témoin des évolutions du quartier, incarnant les mémoires individuelles et collectives d’un territoire en perpétuelle transformation.
L’époque industrielle – Usines et travailleurs du Vernet
Au cours du XXᵉ siècle, le quartier du Vernet à Perpignan a connu une profonde mutation sous l’effet de l’industrialisation. Sa situation géographique privilégiée – en bordure de la Têt et à proximité des axes ferroviaires – en a rapidement fait un pôle attractif pour de nombreuses entreprises industrielles et artisanales. Cette dynamique a entraîné l’arrivée massive d’une main-d’œuvre diverse, contribuant à l’essor d’un quartier à forte identité ouvrière.
Plusieurs grandes industries se sont implantées dans le secteur, notamment dans les domaines de la métallurgie, du textile et de l’agroalimentaire. Leur développement rapide a nécessité la construction de cités ouvrières et d’un tissu urbain adapté à la vie des familles laborieuses. Le Vernet s’est ainsi structuré autour d’une culture populaire marquée par la solidarité, le travail et les luttes sociales.
Dans les décennies 1950 à 1970, le quartier a été le théâtre de grandes mobilisations syndicales. Les ouvriers de la métallurgie et du textile ont joué un rôle de premier plan dans les grèves et les mouvements pour l’amélioration des conditions de travail et des salaires. À cette époque, le Vernet est devenu un véritable foyer de contestation sociale, incarnant les aspirations collectives d’une classe ouvrière en quête de reconnaissance et de justice.
Parmi les fleurons de l’industrie locale, l’entreprise Bella, fondée en 1946 par Lucie et Salvi Pi, a marqué l’économie de Perpignan. Spécialisée dans la fabrication de poupées, elle employait jusqu’à 1 000 personnes à son apogée et produisait quotidiennement entre 8 000 et 10 000 poupées, avec jusqu’à 11 000 habillages. Ses vastes ateliers, couvrant 40 000 m², étaient situés au cœur du Vernet, et ont fortement contribué à l’activité du quartier, tant sur le plan économique que social.
Aujourd’hui, bien que l’industrie ait largement décliné, le passé ouvrier du Vernet reste visible. En parcourant l’avenue Maréchal Joffre, on peut encore lire des inscriptions peintes sur les façades d’anciens entrepôts de négoce. Le long des berges de la Têt, d’anciens bâtiments industriels réhabilités ou à l’abandon, aux structures métalliques rouillées, témoignent d’une époque révolue où le bruit des machines rythmait le quotidien du quartier.
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