Pourquoi, et quand, Perpignan est-elle devenue Perpignan ? C’est l’une des questions au cœur d’un cycle de conférences marquant le millénaire – ou presque – de la cité catalane.
Entre mythes, découvertes archéologiques et défis de transmission du patrimoine, chercheuses, archéologues et historiens passionnés dévoilent des pans méconnus de son passé et mettent en lumière les obstacles qui freinent la valorisation du patrimoine perpignanais.
(À peu près) mille bougies pour Perpignan
« Toutes les villes ont leurs clichés », commence Georges Castellvi, archéologue et historien. « Paris, c’est Notre-Dame, le Moyen-Âge, mais c’est aussi le Paris de l’époque du Napoléon III, les grands boulevards. Ce qu’on retient de Perpignan, c’est la capitale du royaume de Majorque. Donc on pense à la Loge, à la cathédrale, au Palais des Rois de Majorque. Mais ce qui est intéressant à travers ce programme de conférences, c’est de montrer que Perpignan a une origine encore plus ancienne, d’au moins deux, trois, quatre siècles ! ».
Pour ses mille ans – environ, puisqu’on ignore la date exacte de sa fondation -, Perpignan marque le coup. Une série de conférences et d’expositions est prévue toute l’année, autour du thème des « petites et grandes dates de l’histoire de la ville », organisées par la division Archives Histoire Mémoire de la ville de Perpignan. C’est tout un ensemble de partenaires institutionnels, culturels et de recherche qui se sont retrouvés pour apporter leur pierre à l’édifice.
Pourquoi 2025 ? Parce qu’un document, qui date de 1025, mentionne officiellement le territoire de Perpignan, et c’est le plus ancien qui nous soit parvenu. « Perpignan devait exister avant, mais on ne sait pas depuis quand », explique Michelle Pernelle, archiviste municipale depuis 1989.
« L’histoire est une science humaine, il n’y a pas de certitudes »
Au programme de ces trois conférences inaugurales, réflexion sur la mythologie et les légendes liées à la création de Perpignan, partage des dernières découvertes archéologiques et historiques, sur la base d’études de terrain et d’archives historiques, y compris de sources anciennes un peu plus délaissées comme les récits écrits par des membres du clergé.
- Le cycle commence le 22 janvier, avec « Réflexions autour des mythes de la fondation de Perpignan et de la date de 927 » par Georges Castellvi (« une première pour moi ! » dit-il) ;
- suivi de « Emergence de Perpignan à travers le prisme de l’archéologie et des archives : Questions et certitudes » par Carole Puig (« Parler de certitudes, c’est un peu bling-bling, l’histoire est une science humaine, il n’y a pas de certitudes ! ») le 5 février ;
- et « Perpignan, capitale des comtes de Roussillon (991-1172) : Synthèse bibliographique », par Michelle Pernelle (« c’est intéressant de se rendre compte qu’on est avant tout Roussillonnais ! ») le 22 février. Un véritable « fil rouge chronologique », explique l’archiviste.
Donner de la voix aux vieilles pierres de Perpignan …
« Michelle Pernelle m’a demandé de travailler sur ce « millénaire », les quelques dates où le nom de Perpignan apparaît pour la première fois », explique Georges Castellvi. « On s’interroge sur l’origine de la ville : Qu’est-ce qui a fait que ce petit habitat médiéval est devenu une ville ? Par rapport aux autres sites du Roussillon, pourquoi Perpignan et pas Bages ? » continue Carole Puig, archéologue et historienne de l’Université Jean Jaurès de Toulouse.
« On a très peu d’informations sur l’origine de Perpignan », explique la chercheuse. Depuis le début de sa collaboration avec la ville en 2007, « on a des choses nouvelles à raconter. Ce n’est pas une science dure, ça évolue ». Michelle Pernelle, elle, présentera la façon dont Perpignan était gérée à l’époque – ce que l’on sait, en tout cas. Le Père Pigne, tel que représenté ci-dessus, fera certainement partie de la discussion.
… Et la porter auprès de (nouveaux ?) publics
« C’est un peu Perpignan pour les Nuls », rit Michelle Pernelle, faisant référence à la célèbre collection d’ouvrages de culture générale grand public. « Il faut s’approprier l’histoire. Ce qui me ferait plaisir, c’est que quand les gens passent devant le château Roussillon, ils pensent à la légende du châtelain qui a tué l’amant de sa femme et qui lui a fait manger son cœur ! ».
Justement, quel public pour cette grande fête intellectuelle de la naissance de la ville ? « Beaucoup de personnes plutôt âgées », anticipe Carole Puig. « Notre cible, ce sont les 25-30 ans. Mais c’est un public qui n’a pas de temps. C’est difficile quand on est jeune actif, quand on a des enfants. Une conférence en semaine à 18h30, c’est le pire horaire qui existe au monde ! » rit-elle. Si les ateliers archéologiques en milieu scolaire et les chantiers d’été attirent toujours la jeunesse, concernant la transmission pure du savoir, « il faut qu’on trouve des nouveaux formats, faire des conférences plus dynamiques. On est encore un peu « vieille génération », il ne faut pas nous en vouloir », dit en souriant la chercheuse de 52 ans.
Les défis de la transmission de l’héritage patrimonial
« Depuis 20 ans, il y a une très bonne vulgarisation [de l’histoire] des monuments, dans les rues de Perpignan, à la Casa Xanxo … », continue Georges Castellvi, lui-même originaire de Perpignan. « Ce qui nous manque, et je parle en tant que militant du patrimoine, c’est un musée de l’histoire du département. On a déjà défendu le fait que les archives de l’archéologie puissent être rassemblées avec les archives départementales, il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, un bel écrin, comme le Palais-Royal de Majorque, pourrait très bien présenter une belle exposition sur l’histoire du département. On pourrait parler aussi de l’archéologie sous-marine, où je me suis beaucoup investi. Une quinzaine d’épaves romaines, qui nous racontent l’histoire du commerce maritime méditerranéen sur cinq ou six siècles, dorment dans des dépôts de fouilles fermés au public. C’est regrettable ».
Si pour Carole Puig, le premier problème, c’est le manque d’argent, pour Georges Castellvi, « c’est un problème politique. Souvent la culture passe après les autres sujets. Aujourd’hui, la mode, c’est le patrimoine vivant, la culture vivante, tout ce qui est théâtre de rue, animation … Le terme de « musée », ça hérisse la majorité des gens qui travaillent dans la Culture, ils pensent que c’est un terme poussiéreux, alors que ce n’est pas du tout le cas ».
Mais l’archéologue et historien de 66 ans persiste à penser que « la ville est capable de relever des défis en matière de patrimoine, liés à l’université et à la jeunesse », comme avec la création en 2015 d’un Master Histoire de l’art, parcours Archéologie et préservation du patrimoine maritime à l’UPVD. « C’est un parcours archéologie, muséographie, et gestion des dépôts de fouille. Sachez qu’il n’y en a que deux en France, à Aix-Marseille et Perpignan ! ». Chaque année, entre huit et douze étudiants en sortent diplômés, direction musées, structures municipales, ou départ à l’étranger.
« C’est un puzzle avec beaucoup de trous »
Étape indispensable du montage d’une conférence : le recensement de tout ce qui a déjà été découvert, écrit, publié. « C’est là qu’on s’aperçoit qu’il y a très peu d’archéologie urbaine », explique Georges Castellvi. « C’est plus facile de fouiller dans les campagnes ».
Si les sources écrites et archivées vont apporter des informations juridiques et sociales – un document atteste que Monsieur Untel a acheté une maison sur le territoire Lambda -, l’archéologie fournit des informations matérielles : les ruines d’une maison ont été retrouvées sur le territoire Lambda, à qui appartenait-elle ? Le croisement des sources permet d’imaginer que la maison appartenait à Monsieur Untel. L’histoire et l’archéologie rassemblent des informations de nature différente, qui se complètent, explique Carole Puig.
Mais la difficulté, à Perpignan, c’est que « la période des origines de la ville est recouverte par des siècles d’histoire, elle est littéralement en sous-sol. Donc on n’en a qu’une vision partielle, très abîmée, de vestiges très enfouis. Il n’y a pas non plus beaucoup de sources pour les historiens, c’est une mention par-ci, une mention par-là. C’est un puzzle avec beaucoup de trous, qu’on essaye de reconstituer du mieux possible ».
Retrouvez l’intégralité du programme des 1000 ans de Perpignan sur le site de l’Office du Tourisme.
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