Article mis à jour le 14 janvier 2025 à 13:47
Le cinéma Castillet projetait jeudi 9 janvier 2025 le documentaire sur l’affaire dite « Sarkozy-Kadhafi », intitulé « Personne n’y comprend rien ». À cette occasion, Valentine Oberti, co-directrice de la rédaction du journal d’investigation Mediapart, était présente pour débattre à l’issue de la projection.
Près de 200 personnes étaient réunies au cinéma de Perpignan, pour visionner le film qui « permet de tout comprendre », à l’un des scandales les plus retentissants de la Ve République. Réalisé par Yannick Kergoat, le documentaire est en salle du 8 janvier au 4 février 2025.
« L’enjeu de ce film, c’est que tout le monde finisse par y comprendre quelque chose ! »
Pour Fabrice Arfi, journaliste et auteur, « le titre du film est un clin d’œil malicieux à une phrase de l’ancien président de la République, qui avait déclaré un jour au sujet des affaires qui le visent que ‘personne n’y comprend rien’. On le prend donc au mot pour rendre le plus accessible possible ce que l’on appelle parfois entre nous ‘l’affaire des affaires’ tant ce scandale mêle des questions d’ordres très divers : politique, diplomatique, financier, éthique, terroriste, militaire, judiciaire… »
« La réalisation de ce documentaire, c’est un an de travail », nous confie Valentine Oberti. « L’enjeu de ce film, c’est que tout le monde finisse par y comprendre quelque chose ! » Pendant plus de dix ans, Fabrice Arfi et Karl Laske, journalistes de Mediapart, ont enquêté et produit 160 articles, un livre, une bd… relatant tous les rebondissements de cette affaire. « L’idée est de proposer un produit qui balaie ces années d’enquête et qui permettent de comprendre l’histoire, son début, son milieu et sa fin. » Alors que s’ouvre le procès de l’affaire des financements libyens, la sortie du documentaire tombe à pic.
Au-delà du procès, une autre procédure judiciaire est toujours en cours. « La fausse rétractation de Ziad Tekkedine fait l’objet d’une enquête qui n’est pas jointe à l’affaire libyenne telle qu’on l’a racontée. Pour l’instant, on ne sait pas s’il y aura un procès », nous confirme Valentine Oberti.
Un débat organisé au cinéma Castillet
Valentine Oberti croit sincèrement en l’indépendance de la justice. « Je crois que sur cette affaire, la justice a démontré qu’elle était indépendante, qu’elle pouvait avancer contre vents et marées et qu’elle a pu amener devant un tribunal un ancien président de la République, trois anciens ministres. » Après 1h 43 de projection, les premières questions fusent dans la salle.
« C’est grâce à vos articles et à votre travail qu’un procès a débuté le 6 janvier pour une suspicion de corruption majeure », entame un premier spectateur. « Je voulais savoir si vous avez poussé vos investigations sur les circonstances de la mort de Kadhafi ? » Le documentaire diffuse en images l’assaut du convoi de Kadhafi. Blessé, il est emporté par ses opposants.
« Au moment de sa fuite, il était poursuivi par des avions français, il a été ciblé, il en est réchappé, et ensuite, peut-être que ça a été des bombardements américains. La façon dont il a été tué n’a pas pu être établie précisément », répond Valentine Oberti. « Ce qui serait intéressant, c’est de savoir quels ordres ont été donnés. »
Pour Valentine Oberti, il y a une réussite à cette affaire d’État qui fait scandale, le fait d’enquêter et de produire des faits qui ont de l’impact. « Cette affaire, c’est aussi l’histoire de magistrats opiniâtres qui, pendant des années ont poursuivi leur enquête dans 17 pays avec parfois, ils le soulignent dans l’ordonnance de renvoi, un manque de volonté politique. Cela rejoint la question que vous posiez sur la mort de Kadhafi, il y a encore, sans doute, des choses à connaître et à révéler. »
Les dessous d’une enquête menée par Mediapart
L’enquête menée par les journalistes dévoile l’existence, grâce à des traces bancaires, de paiements partis de la dictature libyenne et arrivés dans des poches françaises, détaille Fabrice Arfi, qui évoque une somme de 440 000 euros, virée sur le compte d’un proche de Nicolas Sarkozy. « J’avais une question, sur les rapports entre la justice et Mediapart », questionne un homme dans la salle. « Est-ce que vous êtes soumis à des perquisitions sur les pièces que vous avez découvertes et est-ce que la justice peut vous les saisir ? »
« Oui, de manière générale je peux répondre qu’on a parfois des réquisitions judiciaires. Il nous est déjà arrivé qu’on nous demande nos rushs. C’est-à-dire l’ensemble des images qu’on a tournées, mais nous refusons systématiquement. On peut y répondre favorablement, au cas par cas, pour les éléments déjà rendus publics. Et même si c’est une obligation, il nous arrive de refuser pour garantir la protection de nos sources », nous explique la journaliste.
« Je vais peut-être enfoncer une porte ouverte mais je trouve extrêmement inquiétant que Mediapart soit l’un des seuls médias à avoir traité l’affaire », affirme une spectatrice. « C’est difficile de se mettre à enquêter, si on n’a pas les bonnes sources et les bons documents. D’autant plus que c’est une affaire très sensible. Certains médias ne reprennent pas les informations de leurs confrères, et puis, il y a même pire, puisqu’on montre dans ce documentaire qu’il y a des médias qui sont carrément complices d’une stratégie de manipulation des faits et de la justice », dévoile Valentine Oberti.
La liberté de l’information toujours plus menacée
« Est-ce que ces personnalités politiques, qui sont mises en cause, menacent de porter plainte pour diffamation ? Leur volonté n’est-elle pas de vous assommer sous les frais que vous serez obligés d’engager pour faire face à ces plaintes ? », interroge un autre spectateur.
« Ces menaces ne sont pas toujours suivies de faits », rassure Valentine Oberti. « C’est souvent de la communication. Mais c’est arrivé plusieurs fois sur cette affaire, et nous n’avons jamais perdu aucun des procès intentés contre nous. » Selon la journaliste, « Vincent Bolloré est par exemple très coutumier des procédures devant le tribunal de commerce. C’est une façon de détourner des procédures judiciaires, de nous dissuader d’enquêter ». Chaque année, Mediapart dépense 250 000 euros pour les frais de justice et l’accompagnement d’un cabinet d’avocat.
« Moi, je voulais juste intervenir pour vous remercier de venir nous présenter ce film et de le rendre accessible au grand public qui ne va pas forcément aller lire des journaux ou des articles », lance une spectatrice. « Dans un contexte de défiance vis-à-vis des médias, il est important de soutenir des médias indépendants, auxquels il faut s’abonner, qui mettent en lumière un certain nombre d’éléments poussant la justice à réagir », souligne une autre jeune femme dans le public.
« Personne n’y comprend rien » n’a pas vocation à faire un procès, mais à raconter l’histoire de l’enquête de Mediapart débutée en 2011. Du côté de la défense de l’ancien chef d’État, on met en avant l’absence de preuve, mais aussi une absence d’enrichissement personnel. Questionné en 2012 par une journaliste de France Télévision, Mediapart serait pour Nicolas Sarkozy « une officine au service de la gauche » .
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